Le Covid-19 comment vivre avec ? Parmi toute les business schools Skema BS a été l’une des premières à s’adapter en s’appuyant notamment sur l’expérience acquise sur son campus chinois. Son vice-dean, Patrice Houdayer en est certain : le « modèle Skema » est plus que jamais garant de son développement.
Olivier Rollot : Les décisions ont été longues à venir. Aujourd’hui toutes les questions qui se posaient quant à l’organisation des concours post-prépas sont-elles résolues ?
Patrice Houdayer : Prendre très tôt la décision de ne pas organiser d’oraux cette année a été un choix important. S’il a été très interrogé au début par les candidats, leurs familles comme d’autres parties prenantes, on voit maintenant que tout le monde a pris la même décision. Une décision qui résulte d’une dynamique collective au sein du Chapitre des écoles de management de la Conférence des grandes écoles.
De même, pour que cela bénéficie à la communauté, les écoles de management ont décidé ensemble de pas utiliser cette année la « marge de sécurité » de cinq étudiants qu’elles se donnent traditionnellement dans le recrutement des élèves de classes préparatoires après le Sigem. Après la suppression des oraux, nous avons également décidé de restituer la moitié des frais d’inscription aux candidats. Ce sont autant de décisions qui marquent la responsabilité collective des écoles pour l’intérêt commun.
O. R : Et qu’en est-il des questions sanitaires nécessaires pour préserver la santé des candidats ?
P. H : La santé et l’égalité de nos candidats sont primordiales. Les responsables des concours sont aujourd’hui en train de regarder comment garantir un espacement entre les candidats – quitte à en mettre moins par salle – dans les 58 centres d’examen où nous recevons chaque année quelques 10 000 candidats. Faut-il plus de salles, plus de centres d’examen? C’est aussi à considérer.
Pour l’ensemble des candidats marocains qui devaient passer le concours en France, nous sommes également en train d’organiser des centres d’examen au Maroc dans les mêmes conditions qu’en France.
O. R : Vous réfléchissez déjà à la réouverture de vos campus. A quelles dates pensez-vous les rouvrir à la rentrée ? Dans quelles conditions sanitaires ?
P. H : Nos étudiants feront tous leur rentrée mi-septembre. A l’exception de ceux en Mastères Spécialisés qui entrent début octobre, comme cela était déjà prévu. Nous actons ce décalage de deux semaines à la rentrée pour laisser aux candidats issus de classes préparatoires un mois entre leur affectation définitive et leur arrivée sur nos trois campus en France. Nous ne pouvions pas demander aux familles de trouver un logement en une seule semaine.
Ensuite nous travaillons sur une demi-douzaine d’hypothèses d’espacement des étudiants, en baissant les taux d’occupation grâce à une rotation des étudiants et à plus de cours en distanciel. Si besoin est, 100% des étudiants internationaux pourraient même basculer en distanciel.
O. R : Avez-vous déjà une idée du pourcentage d’étudiants internationaux qui pourraient ne pas rejoindre les campus de Skema suite à la pandémie et aux mesures restrictives de déplacement prises partout dans le monde ?
P. H : Aujourd’hui nous ne constatons aucune baisse et le nombre de prospects est même en hausse. Mais que va-t-il se passer dans les prochains mois ? Nous travaillons sur une hypothèse que 10 à 15% de nos étudiants internationaux pourraient ne pas nous rejoindre faute de visa ou de vol. Ils pourraient éventuellement nous rejoindre en janvier pour une deuxième rentrée, mais ce n’est pas l’hypothèse que nous privilégions.
Dans ce cadre nos campus internationaux, aux Etats-Unis, en Chine, au Brésil et en Afrique du Sud, nous permettent d’avoir des accueils régionaux et de recevoir les étudiants près de chez eux. Un Argentin pourrait aller au Brésil mais pas forcément en Europe. Nous accueillons 150 étudiants brésiliens au Brésil et pouvons accueillir près de 800 étudiants internationaux en plus, tout en maîtrisant la qualité de leur enseignement sur toute la ligne. Parce qu’il permet de recruter des étudiants partout dans le monde mais aussi de les accueillir, le modèle global de Skema est renforcé. C’est d’ailleurs parce que nous sommes présents en Chine que nous avons pris conscience de la crise du Covid-19 dès mi-janvier.
O. R : La grande satisfaction des établissements d’enseignement supérieur, c’est de constater que l’enseignement à distance fonctionne très bien. Comment êtes-vous passés du présentiel au distanciel en si peu de temps ?
P. H : C’est de la responsabilité des écoles d’apprendre, mais aussi de vivre le monde tel qu’il est. C’est en cela que le travail à distance tel que nous le pratiquons est un vrai apprentissage pour nos étudiants tout en en mesurant les limites en termes d’interaction. Je ne crois pas au « tout en ligne ». Je crois que le fait d’avoir des campus à travers le monde reste un avantage concurrentiel tout à fait exceptionnel.
Avec l’expérience acquise en Chine – où il nous a fallu deux semaines pour basculer tous nos enseignements en ligne – nous avons ainsi pu aller beaucoup plus vite en France où ce fut fait en quelques jours (du vendredi au lundi). Nous avions en effet eu un mois pour nous préparer à un éventuel confinement similaire à celui vécu préalablement en Chine. Nous avons également eu beaucoup de soutien de la part de Microsoft, avec qui nous avons un partenariat stratégique depuis plus de 10 ans. L’ensemble des outils, dont la plateforme Teams, a parfaitement fonctionné, sans aucune rupture de service.
Mais il faut aussi être conscient que les cours à distance tels que nous les délivrons maintenant sont des modalités exceptionnelles de crise. Ce n’est pas ce type de distanciel que nous pratiquons dans d’autres cadres. Aujourd’hui, nous réunissons chaque semaine les différentes équipes afin de nous réinventer et de faire en sorte que tout soit prêt pour la rentrée, et ce, dès le mois de juillet.
O. R : Le marché de l’emploi semble devoir être sinistré cette année. Comment allez-vous aider vos étudiants à décrocher un stage ou un contrat d’apprentissage et vos diplômés à trouver un emploi ?
P. H : Depuis deux mois, notre équipe Talents and Career a contacté des centaines d’entreprises pour minimiser le nombre de ruptures de stages. Dès mai, nous allons resigner des stages. Il y a aussi la question des contrats d’apprentissage (600 par an) et de professionnalisation (700 par an) dont nous voulons assurer la pérennité avec les grandes entreprises comme les ETI et les PME. Partout, du stage à l’emploi, nous savons qu’il y a une certaine récurrence dans les embauches. Nous devons garder le lien privilégié que nous avons avec les entreprises, et ce, dans le cadre d’un redémarrage de l’économie qui peut être long.
O. R : Les travaux sur votre campus parisien vont-ils bientôt reprendre ?
P. H : Dès début mai. En raison du Covid-19, le chantier s’est arrêté pendant quelques semaines. Nous avons pris deux mois de retard et pensons l’ouvrir en janvier 2021. Nous serons donc encore dans nos locaux à La Défense à la rentrée 2020.
O. R : S’il fallait positiver sur les moments difficiles que nous vivons que diriez-vous ?
P. H : Tout d’abord que, pour accompagner nos étudiants, nous avons vu une mobilisation incroyable de nos équipes, sur tous nos campus. En premier lieu pour les aider à rentrer dans leur pays d’origine : Air France a même mis en place un point de contact uniquement pour nos étudiants. En Chine 450 de nos 550 étudiants ont été rapatriés alors qu’au Brésil nous avons loué des bus pour les emmener prendre l’avion à Rio alors que l’aéroport de Belo Horizonte était fermé. Et il a aussi fallu les aider à se faire rembourser de leurs frais de résidence, résidence qu’ils quittaient du jour au lendemain. Sur chaque campus, pour chaque problème, tout le monde s’est mobilisé. Bien sûr cela n’équivaut pas à ce qui s’est passé dans le milieu hospitalier, mais la mobilisation de toute l’école a néanmoins été très forte.
L’autre point positif est tout ce que nous avons appris, au quotidien, sur l’enseignement à distance. L’ensemble de nos enseignants-chercheurs, sur nos sept campus, s’est énormément impliqué. Certains avaient déjà une grande expérience de l’enseignement à distance car nous avons plusieurs programmes on-line. D’autres se sont adaptés en quelques jours. Il est vrai que dès la phase préparatoire, nous avons réalisé des formations quotidiennes. De plus, des partages d’expériences pédagogiques entre professeurs se sont déroulés quotidiennement. Certains résultats ont été exceptionnels avec des taux de satisfaction de nos étudiants supérieurs à 95% pour certains cours. Pendant ces deux mois où l’école a donc fonctionné à 100% à distance, nous en avons appris autant qu’en deux ans !