POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

Comment enseigner le changement climatique dans l’enseignement supérieur ? : 2. Un engagement de plus en plus affirmé

En cette année de campagne des élections présidentielles, la responsabilité sociétale et environnementale (RSE) est plus que jamais au cœur des projets politiques. Un contexte dans lequel la Conférence des Grandes écoles (CGE) compte ainsi bien rappeler le rôle clé de l’enseignement supérieur. « Si on veut transformer la société il faut s’appuyer sur l’enseignement supérieur : c’est le message que nous voulons faire passer à des politiques qui se préoccupent plus du collège et du lycée que de l’enseignement supérieur où tout se décide », exprime son président, Laurent Champaney.

Les établissements d’enseignement supérieur sont en effet des acteurs clés dans la transition vers la neutralité carbone et des sociétés durables, ainsi que dans la réalisation des objectifs de l’Agenda 2030 des Nations Unies et du Green Deal de l’Union européenne. L’Association européenne des universités publie justement la première enquête jamais menée auprès des établissements d’enseignement supérieur de l’Espace européen de l’enseignement supérieur (EEES) sur « l’écologisation dans les établissements d’enseignement supérieur » (« Greening in European higher education institutions »).

Des responsables et des actes. C’est en 2017 que l’Université Paris Nanterre s’est dotée du tout premier service entièrement dédié à la responsabilité sociétale des universités et au développement durable (RSU-DD) « ouvrant ainsi une voie nouvelle dans le paysage de l’ESR français et dans le rôle attribué à l’université ». Mais c’est bien quatre ans avant, en 2013, que le poste de Head of Sustainability and Global Responsability avait été créé à Grenoble EM. Jaclyn Rosebrook-Collignon l’occupe depuis : « Aujourd’hui 150 personnes travaillent dans six groupes différents et un Student Sustainability Pathway permet à chaque étudiant de suivre tout ce que nous faisons ».

La prise de conscience de tous passe par l’organisation d’événements dédiés. Dans le cadre des Semaines européennes du développement, l’Université Paris-Saclay organise ainsi les Semaines du développement soutenable sur ses campus, du 14 septembre au 8 octobre 2021. Exposition, webinaires, friperie, World Clean Up Day, journée de la mobilité et projection de film sont prévus tout au long de ces semaines alors que, durant l’année 2020/2021, l’Université a plus particulièrement illustré son engagement avec la mise en place d’une démarche participative qui a conduit ses personnels et étudiants à proposer plus d’une cinquantaine de projets. Les Fresques du Climat sont quant à elle devenues peu à peu un moment incontournable des rentrées étudiantes. « En 2019 nous avons rencontré 20 000 jeunes. Nous voulons monter à 100 000 par an avec tous nos bénévoles », explique son fondateur, Cédric Ringenbach.

Au-delà des étudiants ce sont maintenant tous les personnels qui suivent ces formations. Après ESCP, pionnière en la matière, c’était cet été au tour d’Audencia d’organiser cet été une Fresque du Climat pour l’ensemble de ses 416 collaborateurs au cours de son séminaire de rentrée. Les écoles s’engagent maintenant à permettre à l’ensemble de leurs collaborateurs et enseignants-chercheurs de devenir à leur tour « fresqueurs », afin de poursuivre la diffusion de la fresque auprès du plus grand nombre. L’Université Grenoble Alpes (UGA) a quant à elle convié pendant l’été 2021 l’ensemble de sa communauté – étudiants et personnels – à une semaine entièrement dédiée à la RSE. Intitulée « L’UGA, actrice des transitions socio-écologiques », cette semaine de rendez-vous, d’échanges, de conférences scientifiques et de débats en ligne a eu pour objectif de « sensibiliser, faire connaître, fédérer les énergies autour de ce sujet central et de trouver des manières de travailler ensemble ».

De nouvelle stratégies. Les défis sociétaux et environnementaux sont au cœur de la nouvelle stratégie menée par Grenoble INP. Comme l’explique son administrateur général, Pierre Benech, il s’agit de « proposer des projets inspirants pour les jeunes ». Grenoble INP a créé à cet effet une vice-présidence développement durable et responsabilité sociétale et entend mettre sa recherche en ordre de marche en ce sens : « Nous menons notamment des recherches importantes sur le développement des réseaux électriques. Le défi des années à venir, c’est de faire en sorte que les sources d’énergie contrôlables (hydraulique, charbon…) puissent suppléer à l’intermittence de la production des énergies renouvelables, sans pour autant provoquer de blackout susceptibles de conduire à des drames ».

Début septembre l’ensemble des écoles de l’Institut Mines Télécom (IMT) ont de leur côté signé une Charte pour une transition écologique et sociale pour notamment « contribuer au soutien économique à long terme des territoires en accompagnant la transformation des modèles de production de l’industrie vers des modèles d’écologie industrielle ». Deux écoles de l’Institut Mines-Télécom, IMT Atlantique et IMT Nord Europe, font déjà parties du réseau engagé Campus Responsables.

Cette stratégie passe par la création de départements dédiés dans les universités comme les école d’ingénieurs. C’est plus rare dans les écoles de management. ESCP est ainsi la première à avoir créé un département académique sustainability qui compte 12 professeurs et cinq doctorants. « Cela nous permet notamment de piloter la montée en puissance de ces sujets dans l’ensemble de l’école, avec pour objectif d’atteindre cette année les 100% des étudiants formés l’année prochaine, comme recommandé par le rapport Jouzel », précise Aurélien Acquier. MBS poursuit quant à elle le renforcement des apprentissages liés à la transition sociétale et environnementale, en s’appuyant notamment sur sa recherche et son Sustainability Lab.

Une transformation qui va jusqu’à toucher les fonds d’investissement des grandes universités américaines. Après des années de protestation de ses étudiants, l’université d’Harvard abandonne ainsi peu à peu ses investissements dans les énergies fossile comme le révèle cette semaine le Times Higher Education (Harvard to divest from fossil fuels after decade of protests).

Des programmes dédiés ou impactés. De plus en plus de programmes sont créés pour répondre à la demande des étudiants comme celle des entreprises. Au niveau européen l’EUA mesure ainsi que 61% des programmes sont aujourd’hui impactés par les questions environnementales. On monte même à 95% dans les activités extra-universitaires.

Avec sa licence Sciences pour un monde durable PSL a lancé en 2019 un premier cycle universitaire, généraliste et sélectif, alliant sciences de la nature, de la matière et de la vie, sciences économiques et sociales, et sciences humaines. « Nous voulons former des jeunes qui auront l’information au sens très large pour évoluer dans un domaine complexe en bénéficiant de l’expertise de tous nos champs du savoir », confie le président de PSL, Alain Fuchs. De même ESCP a créé en 2016 un MSc in International Sustainability Management qui connait un franc succès et organise pour chaque rentrée depuis 3 ans un séminaire intitulé « Designing tomorrow Business & Sustainibility » suivi de trois mois de travail sur une controverse. « Nous avons commencé par créer un programme de spécialistes destiné aux spécialistes puis il nous est apparu que ces questions étaient trop importantes pour que tous nos étudiants n’y soient pas formés », définit Aurélien Acquier, le doyen associé à la transition durable qui dirige une équipe en charge de faire le lien avec les différentes parties prenantes internes (administration, différents campus européens, élèves) avec des « ambassadeurs sustainability » sur chacun des campus.

Si des cursus sont totalement dédiés tous les programmes sont peu à peu impactés. emlyon BS a ainsi rendu cette année le cours « Agir pour le Climat  obligatoire pour la nouvelle promotion de son PGE. Ce cycle se projette sur 10 semaines à raison d’un séminaire par semaine animé par des experts reconnus de l’urgence climatique. La conférence d’ouverture a ainsi été donnée par Pascal Canfin, directeur général du WWF France de 2016 à 2019, et désormais député européen et président de la commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire (ENVI). Autre processus à Grenoble EM où des capsules « Think Sustainability » dédiées sont créées cette année sans être pour autant obligatoires. « Nous tenons à ce que soit un acte volontaire en dehors du cursus. Les étudiants qui veulent aller plus loin peuvent le traduire par des actes avec des capsules Act & Think Sustainability, le tout entrant dans un Passeport Sustainability », relève Jaclyn Rosebrook-Collignon.

Pour aller encore plus loin Audencia crée cette année une école dédiée, Gaïa, à laquelle elle consacrera un bâtiment dédié en 2023. « Nous voulons leur permettre d’intégrer le paramètre des ressources dans leur réflexion sur l’économie. Ils doivent acquérir un nouveau statistique suffisant pour élaborer des raisonnements éclairés », explique son directeur, José Maillet. Tous les étudiants de l’école y suivront à terme obligatoirement des cours, ceux de la Grande école pouvant même y suivre tout un semestre s’ils le souhaitent. « Nous nous focalisons d’abord sur la Grande école pour étalonner les niveaux puis nous passerons aux bachelors, au MBA, etc. » Certains cours existent déjà, comme « Economie et transition énergétique », d’autres seront créés dès septembre 2022.

Plus largement c’est l’ensemble des disciplines qui est peu à peu impacté. Avec plus ou moins de mal comme nous le confiait en 2020 Marie-Laure Djelic, à l’époque directrice de l’École du management et de l’innovation de Sciences Po : « En finance, nous avançons vers la finance durable mais c’est un travail très long de mettre en concordance finance durable et finance classique. Le monde va très vite sur certains axes alors qu’il existe encore des doctrines très ancrées qui ont du mal à évoluer. Nous sommes poussés par les étudiants qui relèvent les incohérences qui subsistent entre nos cours. Les entreprises aussi nous demandent d’avancer dans ce sens ».

Comment écologiser l’enseignement supérieur ? Faites ce que je dis c’est bien, faites ce que je fais c’est mieux. Si 82% des établissements d’enseignement supérieur interrogés par l’Association européenne des universités ont adopté des mesures pour améliorer leur bilan écologique, les débats restent vifs quand il faut par exemple réguler les déplacements. En pointe les universités suisses limitent ainsi strictement les déplacements en avion.

L’université de Genève spécifie ainsi dans son règlement intérieur que « sans justification, l’utilisation de l’avion n’est pas autorisée pour les destinations accessibles en train depuis Genève en 4h de trajet ou moins ». De plus les professeurs ou chefs de groupe doivent « compenser leurs vols et ceux de leur équipe sur leurs fonds universitaires ». Alors que, 68% des émissions produites par MBS (Montpellier BS) sont dues aux déplacements ponctuels et quotidiens des salariés et des étudiants, Cinq actions ont donc été mises en place pour réduire cet impact et MBS vient ainsi de rejoindre le programme « Tous covoitureurs » avec KLAXIT. Dans le schéma ci-dessous l’EUA montre comment la « greening mobility » se développe.

Au-delà c’est toute la vie des campus qui est impactée. En s’appuyant sur les résultats de son bilan carbone, MBS a par exemple pu « identifier les actions prioritaires pour réduire son impact environnemental » en attendant de s’installer sur son nouveau campus à empreinte carbone négative en 2024.

Au sein de GEM les groupes de travail sur la RSE sont aussi bien chargés des questions de pédagogie que de fonctionnement de l’école avec un objectif de neutralité carbone dès 2030. Un engagement qui passe également dès cette année par des campus « Zéro Déchet ». Les collaborateurs et étudiants de GEM peuvent ainsi prendre leur repas à emporter en mode consigné dans la cafétéria du campus grenoblois. De même les gobelets seront bientôt tous réutilisables et une fontaine transforme l’eau du réseau en boissons aromatisées et sans déchet. Le tableau ci-dessous montre les différentes mesures prises sur les campus européens.

Former des cadres conscients des enjeux. « Ce qui va le plus impacter les entreprises dans les années à venir c’est la transition écologique », assurait l’ancien directeur général de l’Organisation mondiale du commerce et actuel président de la Fondation Jacques Delors, Pascal Lamy, lors de son intervention à Dirigeants en pays d’Avignon, l’événement organisé chaque année par le groupe IGS. Et Philippe Donnet, le directeur général d’un des principaux groupes d’assurance mondial, Generali, d’enfoncer le clou devant les chefs d’entreprises et DRH un peu médusés : « Les entreprises ont une vision à beaucoup plus long terme que les politiques. Je crois à l’entreprise responsable et engagée. Notamment face aux défis environnementaux qui vont considérablement faire monter les primes d’assurance ».

Toutes les entreprises sont impactées et les compétences de plus en plus recherchées. « Les entreprises sont en plein désarroi alors que l’Union européenne accélère sa environnementale avec son Green Deal. Les assureurs n’ont pas encore assez d’actuaires capables de fixer les futures primes d’assurance liées aux événements climatiques. L’agro-alimentaire peine à recruter des diplômés qui demandent du sens », explique encore José Maillet quand Cédric Ringenbach insiste : « Il ne faut pas hésiter à aller travailler dans des entreprises qui semblent peu concernées encore par le sujet, pour les aider à évoluer ». Président de l’association étudiante ImpAct de Grenoble EM, au sein de laquelle 90 étudiants mènent des actions de sensibilisation à la RSE, Yanis Badin va dans le même sens : « Il n’y a pas assez de postes spécifiquement dans la RSE. Afin de sensibiliser les étudiants aux carrières à impact positif, nous recevons des professionnels de l’audit-finance, du marketing digital ou encore du conseil pour qu’ils nous expliquent comment ils ont une démarche responsable sans être pour autant responsables RSE ». Ce que résume ainsi Aurélien Acquier : « Il n’est pas question de dire à un étudiant de ne pas travailler dans la finance de marché. Mais pourquoi pas autrement ? »

  • 372 établissements d’enseignement supérieur de l’EEES ont participé à l’enquête de l’EUA, dont 305 avaient mis en place des mesures et des initiatives d’écologisation et ont été pris en compte pour l’évaluation. La répartition géographique est inégale et ne correspond pas à la taille du secteur de l’enseignement supérieur dans chaque pays. La France, l’Espagne, l’Autriche, le Kazakhstan, la Roumanie et l’Italie – dans cet ordre – ont eu les taux de réponse les plus élevés.
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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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