ECOLE D’INGÉNIEURS, POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

« Si on veut transformer la société il faut s’appuyer sur l’enseignement supérieur »

En cette année pré-présidentielle et post Covid les enjeux sont multiples pour l’enseignement supérieur et les grandes écoles. Président de la Conférence des grandes écoles (CGE) depuis juin 2021, directeur général des Arts et Métiers, Laurent Champaney nous livre sa vision des grands enjeux de l’enseignement supérieur. Et s’interroge sur son financement.

Olivier Rollot : Comment se déroule cette rentrée qu’on espère bien être celle du post Covid ?

Laurent Champaney : 90% des étudiants sont vaccinés et respectent massivement le port du masque une fois dans leur établissement. Nous essayons par ailleurs de ne pratiquer aucune ségrégation en fonction du pass sanitaire. Tous peuvent entrer dans nos écoles et le passe n’est requis que pour assister à certains événements avec des moments de convivialité. Les étudiants étrangers issus de pays à risque doivent quant à eux respecter une quarantaine de dix jours. Ils peuvent s’isoler dans une résidence universitaire et nous avons pu constater que les autorités viennent s’en assurer.

La question de la présentation du pass se pose pour la restauration collective. Celle-ci respecte les distances d’un mètre entre les clients mais c’est très difficile pour de petits restaurants universitaires de réduire la jauge et de rester équilibrés financièrement. Or tout près d’eux se trouvent des restaurants souvent qui exigent le passe. Autant contrôler les passes dans les petits restaurants universitaires s’il y a d’autres moyens de se nourrir autour. Cela permettrait de gérer des flux plus importants et d’éviter les files d’attente.

O. R : 2022 est une année présidentielle. Comment la Conférence des Grandes grandes écoles va-t-elle s’inscrire dans la campagne ?

L. C : 2022 sera une année charnière à bien des égards avec la stabilisation sanitaire, les efforts de la société en matière de responsabilité sociétale et environnementale (RSE) ou encore des changements attendus dans l’organisation du travail. Il faut que les femmes et les hommes politiques aient bien en tête que l’enseignement supérieur forme des étudiants qui pourront changer la société. Dans ce cadre les Grandes écoles sont particulièrement à l’écoute des attentes des entreprises quand les universités pensent l’ensemble des mutations.

Si on veut transformer la société il faut s’appuyer sur l’enseignement supérieur : c’est le message que nous voulons faire passer à des politiques qui se préoccupent plus du collège et du lycée que de l’enseignement supérieur où tout se décide. Nous travaillons d’ailleurs beaucoup sur ces questions de société. Que ce soit sur l’insertion des étudiants en situation de handicap avec la secrétaire d’État, Sophie Cluzel, ou sur la prévention des violences sexuelles et sexistes (VSS). Les mesures que nous prenons en amont imprégneront petit à petit toutes les entreprises.

Aujourd’hui nous organisons des ateliers avec toutes les commissions de la CGE pour réfléchir à toutes ces questions et être l’arête dorsale des réflexions à apporter avec les entreprises. La création de la Conférence des directeurs des écoles françaises de management (Cdefm), après la Cdefi (Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieur), pousse d’ailleurs la CGE à plus encore se positionner sur les questions macro-économiques ou internationales.

O. R : S’il est un sujet qui préoccupe particulièrement vos étudiants c’est le développement durable. Il y a quelques semaines vous avez indiqué avoir « même affaire à une génération de quasi militants du développement durable ». Comment répondez-vous à leurs attentes ?

L. C : Ce sont des étudiantes et des étudiants qui placent au premier rang de leurs préoccupations – mais aussi de leurs exigences vis-à-vis de leurs futurs employeurs – l’avenir de notre planète et les actions à mener pour la préserver. Les entreprises l’ont bien compris. Mais des militants peuvent être parfois extrêmes. Notre rôle c’est de monter aux jeunes qu’ils doivent garder leurs convictions tout en trouvant des solutions réalistes.

Les entreprises inventent des solutions et doivent maintenant passer à l’échelle industrielle. Pour cela elles ont besoin de recruter des cadres qui ont les transitions environnementales à l’esprit. Mais elles sont pour certaines bien obligées de constater qu’elles ne parviennent pas à recruter des jeunes parce qu’ils les considèrent comme des pollueurs. Pour que les choses évoluent nous devons pousser nos diplômés à aller vers ces entreprises plutôt que d’être déçus pas des cabinets de la transition énergétique qui ne connaissent pas les entreprises, échouent donc à les faire évoluer et les accusent alors de ne pas jouer le jeu.

O. R : Mais comment faut-il alors enseigner la transition environnementale et sociale ?

L. C : On ne peut pas se contenter d’inviter une grande entreprise pour parler de transition. Il ne faut pas non plus ajouter des cours sur le climat. Ce qu’il faut c’est embarquer tous les professeurs dans toutes les disciplines. Avec des exemples adaptés.

O. R : Le manque de diversité sociale dans l’enseignement supérieur, et particulièrement dans les Grandes écoles, est un autre thème très important aujourd’hui. Comment jugez-vous les différentes initiatives prises aujourd’hui par les Grandes écoles ?

L. C : Quand on parle diversité on regarde surtout ce qui se passe à l’École polytechnique, Sciences Po et HEC. Avec différentes mesures, comme des points en plus donnés aux boursiers aux concours, elles vont déplacer des boursiers vers elles. C’est bon pour leur image, c’est bon pour notre image mais pourquoi n’évoque-t-on jamais la reproduction sociale en médecine ? De même on évoque toujours le taux de boursier à l’entrée en licence mais jamais à la sortie en master où il se rapproche de celui des Grandes écoles.

La vraie question est de comment amener en amont plus d’élèves issus de milieux défavorisés vers les Grandes écoles. C’est indispensable alors que nous ne formons aujourd’hui pas assez de jeunes pour répondre aux besoins des entreprises. Il y a tout un travail en amont à faire, sur les salons ou ailleurs, notamment pour faire connaitre à tous ces jeunes les classes préparatoires. Aujourd’hui les écoles internes aux universités savent mieux accueillir ces profils que nous.

O. R : Les bachelors sont-ils un point d’entrée moins stressant pour des étudiants qui ont du mal à s’inscrire, notamment financièrement, dans une démarche en cinq ans menant au diplôme d’une Grande école ?

L. C : La finalité des bachelors que proposent les Grandes écoles n’est pas encore comprise par tous. En baptisant leur nouveau diplôme en trois ans le bachelor universitaire de technologie (BUT) les instituts universitaires de technologie ont heureusement simplifié la situation. Ce qu’il faut expliquer à tous les futurs bacheliers c’est que les bachelors sont une filière sécurisée qui permet aussi bien de se former à bac+3, et d’entrer sur le marché du travail, que de poursuivre son cursus. C’est la différence avec les classes préparatoires, intégrées dans les écoles ou dans les lycées, où il faut tout de suite se sentir assez solides pour aller jusqu’à bac+5.

Mais qui dit poursuite d’études après le bachelor ne signifie pas forcément dans exactement les mêmes filières. Nous le constatons ici aux Arts et Métiers : les titulaires de notre bachelor, recrutés parmi des bacheliers STI2D, ont beaucoup de mal à rattraper leur retard initial dans les parties scientifiques par rapport aux élèves de classes préparatoires. En revanche ils sont excellents dans les formations de spécialités et intègrent avec succès notre cursus en apprentissage jusqu’à bac+5. A nous ensuite de valider que ce ne seront pas des ingénieurs moins bien payés que les autres.

O. R : Vous évoquiez la création du BUT. Un vif conflit a opposé cette année la Cdefi et la Conférence des présidents d’université (CPU) sur le niveau auquel les titulaires d’un BUT pourraient intégrer une Grande école d’ingénieurs. Pour la Cdefi c’est forcément en troisième année du cursus quand la CPU souhaitait que le BUT soit bien reconnu à bac+3. Quelle est votre position sur ce sujet ?

L. C : Il faut être pragmatique. Prenons l’exemple du campus des Arts et Métiers d’Angers. Un département scientifique de l’IUT est logé dans nos locaux et nous y travaillons en bonne intelligence avec l’université. Aujourd’hui nous recrutons ensemble des étudiants qui obtiennent à la fois notre diplôme et un DUT et peuvent ensuite intégrer notre bachelor en dernière année.

La question est de savoir ce que les étudiants de BUT apprendront vraiment en troisième année. Est-ce que sera un complément de formation à l’actuel DUT ou la même formation diluée en trois ans ? Aujourd’hui on penche plutôt pour la seconde hypothèse. Et alors ce sera clairement impossible de les intégrer en deuxième année d’écoles d’ingénieurs. En France les étudiants sont diplômés plutôt jeunes. Dire qu’il faudrait forcément obtenir un diplôme de niveau bac+5 en cinq ans c’est aberrant.

O.R : On le sait : le modèle économique des établissements d’enseignement supérieur est tendu. Cette année vous avez émis l’idée d’augmenter les frais de scolarité de vos étudiants. Pourquoi la mesure a-t-elle été finalement retoquée par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation ?

L. C : Nous envisagions une augmentation de 1900€ par an pour les 80% de nos élèves qui ne sont pas boursiers – pas plus qu’aux étudiants déjà dans l’école – soit un total de 2500€ par an qui nous aurait permis de dégager chaque année deux millions d’euros supplémentaires sur un budget total de 120 millions. Une hausse qui nous aurait mis au même niveau que la plupart des écoles qui nous précèdent dans les classements. Mais nous avons rencontré l’opposition d’un certain nombre d’étudiants et d’alumni qui mettaient en avant des questions d’ascenseur social.

Aux Arts et Métiers nous sommes loin aujourd’hui de l’époque de l’avant Seconde guerre mondial quand nous recrutions à 14 ans de futurs contremaitres. Aujourd’hui la grande majorité de nos étudiants sont des enfants d’ingénieurs. Et n’ont aucun problème pour financer leur cursus. Il suffit de regarder la filière en apprentissage que nous avons ouverte en 2015 : alors que plus de 130 entreprises nous proposent de recruter nos élèves, ils ne sont encore que 19 à y être inscrits. Ils n’en ressentent sans doute pas le besoin alors que leur cursus ne leur revient qu’à 600 € par an et qu’ils touchent 7000€ pour six mois de stage, plus trois fois les 1900€ qu’on envisager de leur demander. Certains investissent même 50 000$ pour obtenir un master aux États-Unis après leur diplomation.

Les profils moins favorisés sont en plus petits flux puisque nous recevons 20% de boursiers qu’on retrouve beaucoup dans notre filière en apprentissage. Tout le paradoxe est d’ailleurs qu’en regardant le montant que nous versent leurs entreprises pour financer leurs cursus, ils se sont rendu compte qu’ils finançaient les études des non-apprentis…

O. R : L’augmentation des frais de scolarité des écoles d’ingénieurs, à l’image de ce qui s’est déjà produit à CentraleSupélec ou aux Mines, est absolument nécessaire pour assurer leur financement ?

L. C : Ce n’est pas notre seule source de financement. En plus des allocations de l’Etat – 60% de notre budget – nous faisons de la formation continue, de la recherche partenariale, répondons à des appels à projets. Mais demander aux familles, sans laisser personne sur le carreau, n’est pas illogique. D’ailleurs si la réponse du ministère a été négative c’est avant tout parce que la crise sanitaire nous impactait. L’année présidentielle qui commence ne le permettra sans doute pas non plus.

Or ce qu’il faut comprendre c’est que les frais de scolarité sont une ressource prévisible, contrairement aux contrats sur projet, et une ressource versée tout de suite à la différence des financement des régions ou de l’Europe, qui ne sont versés qu’à la fin de travaux. Et requièrent donc de notre part de dégager de la trésorerie. Si les établissements privés parviennent à si bien emprunter c’est qu’ils peuvent le faire sur des effectifs prévisibles. Aujourd’hui nous, établissements publics, nous ne pouvons pas emprunter pour financer l’achat d’équipements ou rénover nos locaux. A Cluny un de nos chantiers est bloqué faute de comptes courants.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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