Composé d’écoles reconnues comme l’Iscom, Pigier ou encore Tunon, le Groupe Eduservices compte 34 000 élèves dont une large majorité d’apprentis. A l’heure où la réforme de l’apprentissage entre dans une nouvelle étape son président, Philippe Grassaud, s’interroge sur la volonté politique du gouvernement de poursuivre son développement. (Photo : Diane Arques)
Olivier Rollot : Le groupe Eduservices que vous dirigez donne une place largement prépondérante à l’apprentissage dans ses formations. Comment jugez-vous la remise à plat de la réforme de l’apprentissage que France Compétences lance le 1er septembre pour revenir peu à peu à l’équilibre financier ?
Philippe Grassaud : Le gouvernement semble avoir changé de paradigme. En quelque sorte l’administration a pris le pas sur le politique pour imposer une version macro-économique fondée sur des principes généraux sans entrer dans le détail. En décidant très tôt de maintenir, sans recul les aides aux entreprises, le ministère du Travail fait le choix de booster la demande en espérant créer ainsi des économies d’échelle du côté des CFA (centres de formation d’apprentis) et récupérer ainsi une partie de son engagement. Mais le raisonnement repose sur un exercice de comptabilité analytique et indifférenciée des CFA qui exclut les investissements, et les impôts.
Le choix est donc de préserver les aides aux entreprises pour l’embauche au détriment de la qualité de la formation et de la pérennité des contrats. Tout en maintenant l’objectif d’atteindre un million d’apprentis au plis vite. Mais quelle sera alors la qualité de l’apprentissage ainsi obtenu ? On a le sentiment que l’ambition politique de l’apprentissage est abandonnée. Qu’on défait ce qui a été fait. Les entreprises ne peuvent pas développer l’apprentissage sans les CFA. Si les CFA sont affaiblis nous n’atteindrons jamais l’objectif d’un million d’apprentis.
O. R : Maintenir les aides aux entreprises vous semble légitime ?
P. G : Elles sont nécessaires et ont toujours existé. Simplement ce n’est pas le même investissement pour une entreprise de recruter un jeune après le bac ou après un bachelor ou en master. Et les enjeux ne sont pas non plus les mêmes pour une grande entreprise du CAC 40 que pour une PME. Pourquoi donner 8 000€ à une entreprise de 10 000 personnes pour embaucher un apprenti de dernière année d’une grande école ?
O. R : La baisse des coûts de formation va atteindre 10% avec deux paliers, le 1er septembre prochain et le 1er avril 2023. Avez-vous déjà une idée de l’impact que cela aura pour vos formations ?
P. G : Prendre la question par les coûts c’est comme si on affirmait que plus vos coûts sont élevés plus vous êtes rémunéré. Aujourd’hui les écoles ou associations qui fonctionnent avec les coûts les plus élevés sont mieux prises en charge que les plus vertueuses qui ont su limiter leurs dépenses. Raisonner comme cela c’est pousser les acteurs à ne rien faire pour réduire leurs coûts de formation.
Quant aux coûts par formation que nous allons constater ils dépendent également de la volonté des branches qui peuvent rémunérer du simple au double, de 5 000 à 10 000€, la même formation de niveau 6 ou 7. Les calculs sont d’autant plus compliqués que beaucoup d’opérateurs sont des associations dont la comptabilité est parfois plus difficile a lire d’autant qu’elles ne doivent pas dégager d’excedants.
Calculer arbitrairement que le coût d’une formation de niveau 5 doit être de 4 500€, c’est une aberration qui dévalorise la formation. Aujourd’hui nous pouvons voir un titre dont le financement baisse de 40% quand un autre monte de 5%. Au global nous devrions subir une baisse de 10 à 13% du financement de nos formations. Il n’y a pas de solution simple : il faut entres dans le dossier dans toute la complexité.
O. R : La part des contrats d’apprentissage dans les dispositifs d’alternance est devenue quasiment hégémonique. Mais que sont devenus les financements destinés aux contrats de professionnalisation, qui eux ont vu leur part considérablement baisser sans pour autant disparaitre ?
P. G : France Compétences gère l’ensemble des contrats. Les contrats de professionnalisation avaient une gestion beaucoup plus souples mais étaient moins rémunérés pour les apprentis comme les CFA. Les contrats d’apprentissage étaient quant à eux réservés à un certain nombre d’opérateurs qui touchaient une sorte de rente depuis 30 ans. En réformant l’apprentissage le niveau de prise en charge du système s’est établi sur celui de l’apprentissage. Les organismes privé qui étaient arbitrairement limités jusqu’ici au contrat de professionnalisation, dans un contexte difficle et étaient donc forcément extrêmement efficaces, ont naturellement saisi l’opportunité. L’enseignement privé a ainsi été le moteur du développement de l’apprentissage.
O. R : La réforme a totalement changé le système. Que demandez-vous pour le pérenniser ?
P. G : Oui. Aujourd’hui l’exigence de France Compétences que ce soit au niveau de la regulation comme de la certification est extrémement élevée. Par exemple celle d’exiger des CFA de jouer un rôle de remontée d’information que jouaient jusqu’ici les branches. Cela va être difficile pour les petits CFA d’y parvenir tout en gérant la baisse de leurs rémunérations. Un certain nombre risquent de disparaitre.
Aujourd’hui ce que nous demandons c’est une vraie politique à cinq ans qui permette de définir le rôle des CFA, des Opco et des branches professionnelles plutôt que de désigner des CFA comme boucs-émissaires parce que qu’ils feraient trop de marges. Le système ne peut fonctionner que si les CFA fonctionnent bien. Sinon tout le développement que nous connaissons va retomber comme un soufflé. Les CFA ont un rôle essentiel dans l’économie générale de ce grand enjeu pour les jeunes, il ne faut pas en jouer, l’équilibre est fragile.
O. R : Ce sont 800 millions d’euros que France Compétences veut économiser avec la remise à plat des financements. Mais cela reste très loin d’un déficit qui dépassait les 3 milliards en 2021, sans être pour autant entièrement lié à l’apprentissage. Comment équilibrer le financement de l’apprentissage ?
P. G : Les représentants des entreprises ne veulent pas donner un euro de plus de système. Ils incitent même les entreprises volontaires à le refuser alors que l’aide de 8 000€ qu’elles touchent dépasse souvent le montant même de la formation. Quant aux universités elles sont en quelque sorte rémunérées deux fois, d’abord pour le gouvernement, ensuite par France Compétences, pour la même formation. De plus les étudiants leur versent des frais d’inscription. Pourquoi ne pas demander à tous les étudiants en apprentissage de contribuer au même niveau que pour une inscription à l’université ? Quant à l’Etat il incite aujourd’hui France Compétences à s’endetter pour ne pas prendre en charge le déficit. Il faut absolument réfléchir à un répartition différente des ressources. Mais personne ne veut bouger et on demande finalement aux CFA d’absorber tout l’effort.
Aujourd’hui les familles se sont rendu compte de l’efficacité du système tant pédagogiquement qu’en termes d’insertion professionnelle. Il faut absolument préserver l’ambition de cette réforme et ne pas revenir à un ersatz de ce qu’elle aurait pu devenir. J’espère que le sens politique va l’emporter. Pour les jeunes et pour notre pays.