17 000 candidatures pour 690 places : l’Insa Lyon est plus que jamais l’école d’ingénieurs postbac la plus courue. Pour autant son modèle financier reste fragile nous explique son directeur, Frédéric Fotiadu.
Olivier Rollot : L’explosion de leur facture énergétique est devenue un problème majeur pour l’enseignement supérieur. Qu’est-ce que l’Insa Lyon fait pour mieux gérer sa consommation ?
Frédéric Fotiadu : C’est un sujet dont nous nous sommes emparés bien avant l’explosion des tarifs que vous évoquez et qui pourrait représenter pour l’Insa Lyon un surcoût de 3,8 millions d’euros en 2022. Avec le plan Campus, le CPER, le plan France Relance et nos investissements propres ce sont près de 100 millions d’euros de travaux que nous avons entrepris ces dix dernières années pour rénover nos campus en faisant le choix de privilégier la performance énergétique et l’impact environnemental. Nous sommes également passés au chauffage urbain, qui utilise près de 70% d’énergie renouvelable.
L’ambition est de réduire notre consommation d’énergie de 50% dans les locaux d’enseignement et de 30% dans les locaux résidentiels. Nous avons planté beaucoup d’arbres pour réduire les îlots de chaleur urbain et développons les modes de transport doux, le vélo en particulier avec la Métropole de Lyon. Nous sommes devenus un campus assez exemplaire !
O. R : Cet effort pour devenir un campus responsable impacte également fortement vos formations, on l’imagine.
F. F : Nous accélérons nos efforts depuis 2019 pour faire muter la totalité de nos formations. Le rapport publié par le groupe Insa avec The Shift Project en 2022 est aujourd’hui un document de référence pour l’ingénierie. Mais nous ne voulons pas juste ajouter quelques modules de formation. Le sujet c’est de former de nouvelles générations d’experts capables de transformer les entreprises de façon inédite. Nous créons donc des contenus et des modalités permettant d’embrasser les problèmes dans toute leur complexité et développer des compétences nouvelles.
Ces réflexions, nous avons la volonté de les partager avec tous dans une démarche d’open innovation qui se traduit, notamment, par l’organisation de webinaires réunissant en général plus de 1 000 participants.
Il faut embarquer toutes les communautés et convaincre nos enseignants-chercheurs de sortir de leurs champs d’expertise respectifs pour aborder les défis de l’anthropocène dans une approche interdisciplinaire. Comment penser ensemble de nouveaux enseignements qui répondent à tous les défis auxquels la société est confrontée au-delà des enjeux climatiques ? Les étudiants des Insa travaillent depuis 2018 dans des « groupes transition », réunissant également des professeurs, pour inciter à cette transformation.
O. R : Peut-on enseigner à la fois les changements environnementaux et les fondamentaux ? Qu’attendent les entreprises de vos diplômés?
F. F : Nous ne relâchons rien sur l’enseignement des savoirs fondamentaux. Par exemple, nous avons plus que jamais besoin des mathématiques pour modéliser les systèmes.
Les entreprises ont bien conscience que si elles veulent attirer des talents dans un contexte hyper concurrentiel elles doivent également s’engager dans cette transformation. Nous avons aujourd’hui 12 chaires actives menées avec des entreprises qui veulent être accompagnées par nos experts et des talents nouveaux.
Opérer cette grande transformation résonne avec les valeurs profondes des Insa. La question de l’impact des sciences sur la société est consubstantielle de notre modèle dont l’objectif est de former des ingénieurs humanistes qui appréhendent la société dans toute sa complexité. Les sciences humaines et sociales font d’ailleurs partie intégrante du cursus.
Nous vivons aujourd’hui dans un sentiment d’urgence avec la nécessité de faire constamment évoluer nos enseignements. L’évolution est accélérée et permanente et nous devons nous montrer proactifs.
O. R : Tous les établissements lyonnais arrivent à travailler ensemble sur les questions de transition ?
F. F : Déjà, nous avons évacué la question des rapprochements institutionnels pour pouvoir nous concentrer sur des sujets de fond, dont la question des transitions. Notamment au sein du Collège d’ingénierie, qui réunit quatre écoles d’ingénieurs de Lyon et Saint-Etienne : Centrale Lyon, l’ENTPE, l’école des Mines Saint-Etienne et l’INSA Lyon. Nous travaillons avec tous les acteurs régionaux : l’université Lyon 1, l’université Jean-Monnet de Saint-Etienne, les sciences humaines et sociales de Lyon 2, Sciences Po Lyon, Lyon 3 pour le droit et souhaitons avancer avec l’ENS.
Ensemble nous nous apprêtons à déposer un projet ExcellenceS sur « l’ingénierie pour les transitions » afin de mobiliser tous les talents du site sur les enjeux socio-climatiques autour de trois grands axes : la décarbonation, l’économie circulaire et la société numérique responsable.
O. R : On le sait les finances de l’Insa lyon ont toujours été dans un état délicat. On imagine que la facture énergétique que vous avez évoquée va encore les dégrader. Que pouvez-vous faire ?
F. F : L’INSA Lyon est un modèle singulier d’établissement, notamment parce que nous opérons nous-même, depuis notre création en 1957, sans passer par le CROUS, les services d’hébergement et de restauration de nos élèves. Or, nous ne sommes pas financés comme un opérateur de vie étudiante, en particulier pour les repas à tarif sociaux. Cela conduit à un déficit structurel d’1,6 million d’euros par an. Par ailleurs, le surcoût énergétique pour 2022 est quant à lui estimé à 3,8 millions d’euros sur un budget de 135 millions d’euros. C’est évidemment considérable, en particulier du fait des 3100 logements étudiants que nous gérons sur le campus. Nous faisons donc face à une hypertension financière et avons entamé un dialogue avec l’Etat pour tâcher d’y remédier.
O. R : L’apprentissage fait-il partie du modèle Insa ?
F. F : Nous avons aujourd’hui cinq filières en apprentissage que nous voulons développer et faire évoluer. De fait, il devient difficile de financer une filière d’apprentissage spécifique avec les coûts contrat actuels que nous accorde France Compétences : moins de 10 000 euros de financement pour un coût complet autour de 12 000 euros. Il nous faut donc créer des modes d’alternance différents.
O. R : A quel niveau allez-vous recruter les étudiants de BUT ? Dès un BUT2 ou seulement après leur diplôme final ? Un problème d’autant plus compliqué que les IUT doivent intégrer de plus en plus de bacheliers technologiques.
F. F : Nous allons voir au cas par cas. Nous ne souhaitons pas déséquilibrer les effectifs des BUT.
L’entrée des bacheliers technologiques dans nos cursus est un vrai sujet. Nous développons aujourd’hui deux nouveaux dispositifs pour leur donner toutes leurs chances. Comme pour les BUT, nous sommes convaincus qu’ils ont besoin d’une année supplémentaire pour réussir dans des cursus exigeants.
Nous souhaitons ainsi créer une Classe Préparatoire à l’Enseignement Supérieur (CPES) avec le lycée Arbez Carme d’Oyonnax pour préparer des bacheliers technologiques boursiers à entrer dans notre cursus ingénieur en cinq ans.
O. R : L’Insa Lyon a fait partie des premières écoles d’ingénieurs à dispenser un bachelor. Mais il reste très peu connu. Doit-il évoluer ?
F. F : Nous dispensons effectivement un bachelor d’élite international très sélectif : 100% en anglais, réservé aux étudiants internationaux, particulièrement celles et ceux issus de systèmes de type anglosaxon. Il s’agit d’un dispositif que nous expérimentions et qui a démontré toute sa pertinence. Nous réfléchissons désormais à un passage à une échelle plus importante et à ouvrir d’autres spécialités. Et aussi à son coût, pas encore totalement équilibré aujourd’hui, avec un tarif de seulement 6500€ par an.
O. R : Vos droits de scolarité devraient-ils augmenter dans les années à venir ?
F. F : Précisons avant tout que cela ne pourrait être qu’une décision du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche (MESR), notre tutelle, qui définit seul nos droits d’inscription par arrêté. Pour ce qui concerne le Groupe INSA, nous ne l’avons envisagé que dans la perspective du renforcement de l’ouverture sociale et des diversités au sein de nos écoles. L’augmentation des droits n’a donc été prise que comme une hypothèse, uniquement afin de financer un modèle solidaire envers les étudiants les moins favorisés socialement, mais aussi au bénéfice de tous.
Aujourd’hui le Groupe INSA dépense environ deux millions d’euros par an pour soutenir ses élèves et alimenter son modèle social par des actions en amont. Si nous voulons créer des dispositifs encore plus puissants pour les étudiants des milieux défavorisés, nous avons besoin de ressources supplémentaires. Pourquoi donc ne pas réfléchir à un nouveau modèle de droits solidaires variable selon les revenus des familles ?
O. R : Quelques chiffres pour terminer cet entretien. L’Insa Lyon reçoit beaucoup de boursiers ? De filles ? D’étudiants internationaux ?
F. F : Nous sommes forcément très sélectifs en recevant chaque année environ 17 000 candidatures pour 690 places. Nous pourrions en former beaucoup plus si nous avions les moyens pour cela.
Nous accueillons 21% de boursiers, chiffre qui baisse de manière continue de 0,5% par an ces dernières années. C’est donc un sujet de préoccupation majeure pour l’INSA car l’ouverture sociale est au cœur de notre modèle. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes engagés depuis deux ans dans un travail en profondeur à l’échelle du Groupe INSA. Après avoir partagé les constats en septembre 2021 dans le premier tome du livre blanc « Diversités et ouverture sociale », le tome 2, à paraître dans les prochains jours, présentera les solutions que nous proposons et qui peuvent inspirer l’ensemble de l’enseignement supérieur.
Pour les filles nous en sommes à 45% pour la promotion que nous venons de recruter, soit une hausse de 15% ces dix dernières années. Elles sont même majoritaires avec 53% en génie civil et urbanisme. Même si elles sont moins nombreuses dans le département d’informatique, nous sommes très au-dessus des moyennes observées dans les spécialités du numérique.
Enfin nous recevons environ 29% d’étudiants internationaux de 80 nationalités.