Des étudiants sur le campus de Skema à Belo Horizonte
« Les écoles de management font une contribution particulièrement importante dans la stratégie d’accueil d’étudiants internationaux de la France », félicite Donatienne Hissard, la directrice générale de Campus France quand Vincenzo Esposito Vinzi, directeur de l’Essec et vice-président de la Conférence des directeurs des écoles françaises de management (Cdefm) rappelle que « c’est dans les écoles de management que la croissance des étudiants internationaux est la plus importante ». Le colloque annuel de sa conférence se tenait le 23 mai dans les locaux de l’EM Normandie à Paris sur le thème « Mobilité étudiante et employabilité des internationaux : quels enjeux pour nos écoles ? ». L’occasion de rencontrer nombre d’acteurs du système et de présenter plusieurs études sur les étudiants et jeunes internationaux menées par Campus France, l’Edhec NewGen Talent Centre et la Fondation Higher Education For Good.
Des étudiants internationaux de plus en plus nombreux. C’est spectaculaire : le nombre d’étudiants étrangers en école de management a connu une hausse de 80% entre 2017 et 2022. Missionné par la Cdefm, l’Edhec NewGen Talent Centre a conduit la première étude sur les profils des étudiants internationaux des grandes écoles de management. Avec plus de 2 000 répondants de plus de 100 nationalités différentes, cette étude reflète la diversité des étudiants étrangers en management en France dont 82% sont en mobilité internationale majoritairement diplômante. « Ce sont des étudiants qui ont une vision très positive du monde de l’entreprise, bien plus que les étudiants français. En revanche la question de l’environnement à moins de poids qu’en France », commente Manuelle Malot, la directrice l’Edhec NewGen Talent Centre.
Avant leur séjour académique en école de management, 22% des étudiants internationaux ont déjà des expériences internationales, notamment en France où la durée moyenne de leur cursus est de 16 mois. Au bout de leur séjour 76% des étudiants internationaux estiment que leurs études avant d’arriver en France les ont suffisamment sensibilisés aux enjeux sociaux mais plus de la moitié estiment que ces enjeux sont plus souvent pris en compte en France. Quand ils ont une préférence, les étudiants internationaux aimeraient travailler en Europe. Mais pas forcément en France… ne parlant pas assez bien français. « Nous sommes peut-être allés trop loin pour accueillir le maximum d’étudiants internationaux en leur donnant des cours en anglais et en demandant aux étudiants français de leur parler en anglais », s’interroge Manuelle Malot.
Une question cruciale alors que la compétition entre les pays dans l’accueil des étudiants internationaux tient également à la possibilité ou pas d’y poursuivre ensuite leur vie professionnelle. « Aujourd’hui l’Allemagne insiste beaucoup sur ses besoins en recrutement pour recruter des étudiants internationaux. En France c’est un non-dit », remarque Adrienne Hissard en présentant son enquête sur le parcours de 10 000 étudiants internationaux venus se former en France. Il en résulte notamment que 87% ont trouvé leur premier emploi moins d’un an après la fin de leurs études dont les trois-quarts en moins de six mois (81% après une école d’ingénieurs, 73 % après une école de commerce et 70 % après l’université). Pour 91 % des répondants, le séjour d’études en France a été un atout dans l’obtention de ce premier emploi alors que 44% vivent toujours en France. Un taux qui baisse avec le temps : seuls 10 % des alumni ayant fini leurs études avant 2005 vivent encore en France contre 20% entre 2010 et 2014.
La mobilité internationale des étudiants est-elle pérenne alors que les établissements s’engagent dans leur transition écologique et sociétale ? A l’Essec, la mobilité internationale représente chaque année 1100 étudiants internationaux de 98 nationalités différentes et 1 100 mobilités internationales inter-campus. La France, pays qui possède le plus de campus internationaux au monde (164), juste derrière les Etats-Unis et le Royaume Uni, a un rôle particulier à jouer alors que, comme le rappelle Elian Pilvin, directeur général de l’EM Normandie, « le développement international est attaché au modèle économique des écoles, qui devient central pour l’attractivité ».
Mais, à l’heure où les écoles sont invitées à renforcer leur responsabilité sociétale et environnementale, les écoles entendent des injonctions contradictoires Pour Isabelle Jauny, la directrice de Skema Transitions « une partie de la mobilité internationale, dans les écoles de commerce est incompressible car elle est inscrite dans leur ADN ». Scott Blair, éditeur de contenu pour le Sulitest et directeur de l’AIAASC (American International Accreditation Association of Schools and Colleges), pose alors la question suivante : « Pour avoir un impact, la mobilité doit-elle forcément être loin ? »
En mars 2024, le BNEM (Bureau national des étudiants en management) a publié un rapport sur la transition écologique dans les écoles de management basé sur les réponses de 3 000 étudiants. Il en ressort que, même si les étudiants se sentent de plus en plus concernés par la transition écologique, l’insertion professionnelle reste la priorité. Elian Pilvin met lui en garde contre une atteinte aux libertés individuelles, en particulier celle de pouvoir vivre une expérience unique à l’étranger. Selon lui, les « mobilités longues sont à privilégier » et il pointe les dérives qui peuvent exister au niveau des mobilités dans le cadre des programmes courts. Chris Crabot, directeur associé de Nottingham Trent University, explique qu’au contraire son établissement « opte de plus en plus pour des mobilités courtes, pour en faire bénéficier le plus grand monde, mais tout en privilégiant l’Europe aux destinations lointaines ». Son objectif est d’impacter le plus grand nombre d’étudiants, parmi les 44 000 que compte son université, alors que seulement 5% d’entre eux font une mobilité aujourd’hui.
Prendre en compte un impact à 360°. Si l’impact environnemental des déplacements des étudiants est très important pour les établissements il faut aussi en mesurer la portée pédagogique et économique. Les participants de la table ronde « Quel avenir pour la mobilité étudiante ? » s’accordent ainsi à dire qu’avec un échange à l’étranger, il y a un avant et un après : il a un impact significatif sur l’expérience, le réseau professionnel, et une accélération dans l’acquisition de compétences comportementales. 3 compétences semblent particulièrement visées : l’adaptabilité, l’autonomie et l’ouverture d’esprit.
« La mobilité doit être win win win : pour le parcours de l’étudiant bien sûr, mais aussi pour l’établissement d’accueil, et pour l’établissement d’origine puisque l’expérience associée à une mobilité rejaillit positivement dans la communauté ESR à tous ces niveaux », considère Isabelle Jauny quand Elian Pilvin rappelle le « rôle que jouent les étudiants français qui partent étudier dans le monde entier en matière de soft power ». Pour Donatienne Hissard, à l’image du Times Higher Education qui publie depuis trois ans un classement des établissements en fonction de leur impact « il est essentiel de prendre en compte un impact complet, c’est-à-dire l’impact positif qu’a une expérience en mobilité sur les 16 autres ODD ». Un point sur lequel la France n’est pas en avance selon elle : des campus sont bâtis aujourd’hui en tenant compte de tous les ODD dans plusieurs pays en voie de développement.
Comment calculer l’impact environnemental d’un établissement ? La dimension RSE est de plus en plus prise en compte dans les classements à l’image du Financial Times qui a introduit en 2023 la part des enseignements des problématiques « environnementales, sociales et de gouvernance » parmi ses critères. Mais comment calculer et comparer le bilan carbone des établissements ? La démarche est aujourd’hui fastidieuse, et surtout il n’y a pas deux écoles qui calculent leur bilan carbone de la même façon. Doit-on inclure au calcul les stages, les années de césure, la mobilité entrante, les trajets domicile-campus… ? Ces derniers peuvent représenter jusque 40% des émissions de GES. Un groupe de travail piloté par le MESR et comprenant la Cdefm, la Cdefi, France Universités, l’Amue ou encore l’ADEME travaille justement sur la mise au point d’outils d’une définition de ce bilan adapté au secteur : référentiel d’activités, modes de calcul et règles d’usage normalisés.
Autre initiative, le groupement de recherche « Labos 1point5 », créé en 2019, est un collectif académique partageant un objectif commun : mieux comprendre et réduire l’impact des activités de recherche scientifique sur l’environnement, en particulier sur le climat. Il a proposé une méthodologie de calcul du bilan adapté à un laboratoire de recherche, 100% en open source, et est en train de concevoir son pendant pour un établissement d’enseignement.
Des étudiants internationaux qui veulent avant tout apprendre à vivre ensemble. « Cela a été une surprise pour nous. Lorsque leur est posée la question de ce qu’ils ont besoin d’apprendre à l’école pour atteindre le futur qu’ils souhaitent, les jeunes demandent alors à ce que l’apprentissage des valeurs et des vertus soit au cœur de l’éducation qu’ils reçoivent, ce qui est très éloigné des pratiques actuelles », commente Marine Hadengue, CEO de la Fondation Higher Education For Good et directrice de Youth Talks, plus grande consultation jeunesse jamais réalisée à l’échelle mondial avec plus de 45 000 participants âgés de 15 à 29 ans venant de 212 pays et territoires, qui reprend : « Les jeunes mettent ainsi les éducateurs d’aujourd’hui au défi de transformer ce qu’ils enseignent, de se concentrer sur la nécessité de réapprendre à vivre ensemble et à interagir harmonieusement les uns avec les autres. Non pas que les disciplines fondamentales traditionnelles n’aient plus d’importance, mais l’urgence de “refaire société” semble aujourd’hui la priorité pour les jeunes ».
Si ce désir qui a été exprimé partout dans le monde, à l’exception notable de la Chine, sur d’autres questions clés Youth Talks met en évidence un clivage clair entre les jeunes occidentaux et leurs homologues du reste du monde comme le note encore Marine Hadengue :« Les jeunes occidentaux semblent plus ancrés dans des préoccupations matérielles. Leur situation financière est leur principale préoccupation des jeunes occidentaux : environ un tiers des participants occidentaux le mentionne comme leur priorité, contre seulement un dixième des autres ».