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Deloitte veut élargir son recrutement: entretien avec Jean-Marc Mickeler, associé responsable de la marque employeur

Acteur majeur de laudit et du  conseil en France, Deloitte est un recruteur de premier plan pour les jeunes diplômés avec 800 à 1000 postes à pourvoir. Le cabinet a publié cette année son deuxième « Baromètre de lhumeur des jeunes diplômés ». Loccasion de revenir avec Jean-Marc Mickeler, Associé Responsable de la Marque Employeur chez Deloitte, sur lactualité de lemploi des jeunes comme sur celle dune entreprise qui fait aujourdhui près de 30 milliards deuros de chiffre daffaires dans le monde.

Jean-Marc Mickeler

Olivier Rollot : On a essentiellement retenu de votre étude que 27% des jeunes diplômés songeaient à faire carrière à l’étranger. Quels autres grands enseignements en tirez-vous ?

Jean-Marc Mickeler: La progression du nombre d’étudiants qui pensent que leur avenir sera à l’étranger est effectivement remarquable dans notre sondage : +14% d’étudiants y pensent. Avec d’importantes différences selon les profils : 94% des titulaires d’un DUT pensent travailler en France et 77% dans les grandes écoles. Le pourcentage de ceux qui pensent s’expatrier est donc tiré vers le haut par les profils universitaires. Je voudrais aussi m’attacher au temps de recherche d’emploi. S’il est en hausse (15 semaines en moyenne pour les étudiants en recherche d’emploi de notre panel) il ne faut pas non plus oublier que plus un étudiant a fait des études généralistes longues, plus il va mettre du temps à trouver car il sera plus sélectif dans sa recherche.

O. R : Vous lavez dit, votre panel est composé de deux sortes de jeunes : à 55% en poste et à 45% en recherche demploi. Y a-t-il entre eux des différences de perception significatives ?

J-M. M : Oui et notamment sur la confiance dans l’entreprise qui est en hausse de quatre points chez ceux qui sont en poste (63% ont confiance) quand elle baisse de trois points chez ceux qui ne le sont pas (54%). De même ces derniers, sont 9% de moins à penser que l’entreprise est un lieu d’épanouissement personnel (73%) quand c’est encore le cas de 83% de ceux qui ont un emploi. Ce chiffre monte même à 90% pour les diplômés d’une grande école. Au total, ceux qui ont un emploi mettent au même niveau l’emploi comme un « moyen de gagner de l’argent » et un « épanouissement personnel ». Ce dernier item progressant de 7% en un an. On comprend que les salariés analysent également que l’heure n’est plus forcément à la promotion et à l’augmentation !

O. R : Les titulaires dun DUT semblent eux toujours très facilement trouver un emploi ?

J-M. M : Grâce aux stages qu’ils effectuent, ils sont même 23% à ne même pas avoir dû envoyer de CV avant leur recrutement. Cela dit, ils acceptent aussi plus facilement de débuter par un CDD qu’ils espèrent convertir en CDI ensuite.

O. R : Dans les grandes écoles et masters universitaires y a-t-il des spécialités, plus porteuses que dautres ?

J-M. M : Ceux qui ont choisi des filières très généralistes (marketing, communication, etc.) ont aujourd’hui plus de mal à s’intégrer que ceux qui ont opté pour des filières plus spécialisées, comme le contrôle de gestion ou la finance. On constate que des  filières sont plus porteuses que d’autres.

O. R : On le sait, le marché de lemploi nest pas porteur pour la plupart des jeunes diplômés. Recevez-vous cette année plus de CV que les années précédentes ?

J-M. M : Le chiffre est monté à 60 000 contre habituellement 45 000 à 55 000 par an. Nous sommes effectivement une valeur refuge pour tous les diplômés en économie, gestion, écoles de commerce, etc.

O. R : Vous parlez, gestion, commerce, dautres profils peuvent postuler ?

J-M. M : Pratiquement tous nos recrutements se font au niveau Master. 60 % dans des écoles de commerce, 20% dans des écoles d’ingénieurs et autant à l’université. Pour ces derniers profils nous recevons parfois des CV atypiques, des diplômés d’histoire ou de langues. Si leurs parcours montrent aussi qu’ils sont passionnés de finance et ont réalisé des stages dans ce domaine, ils peuvent tenter leur chance chez nous.

O. R : Nest-ce pas tentant quand on reçoit autant de CV de ne recruter que des profils « idéaux », des HEC,  des Mines, Essec, Centrale, Dauphine, etc. ?

J-M. M : Nous devons d’abord être certains de l’intérêt réel pour nos métiers de ceux qui postulent chez nous. Comprenez, nous offrons une qualité d’expérience et de formation sur les deux premières années – au minimum trois semaines de formation à nos techniques, plus des supports d’e-learning en accès libre – nous savons que les candidats sont motivés pour nous rejoindre. Mais nous souhaiterions qu’ils restent au moins quatre ans chez nous. Après quatre ans nous l’assumons car il faut que nos cadres essaiment dans les entreprises. Notre but est alors de garder les meilleurs.

O. R : Cest quoi alors un bon équilibre dans le recrutement ?

J-M. M : Il faut aussi prendre garde à ne pas recruter que des « Zlatan Ibrahimovic ». Onze Zlatan dans une équipe cela fait trop d’égos à gérer et il faut une diversité de recrutement pour assembler des compétences diverses. Quand nous recrutons un HEC c’est aussi pour attirer des profils propres, des Centraliens, des ESTP, etc. Et il existe une saine émulation entre nos HEC et d’autres diplômés qui veulent démontrer qu’ils valent autant qu’eux. Mais si vous mettez ensemble dans une équipe trois HEC vous perdez le match.

O. R : Vous pensez recruter plus largement dans les universités à lavenir ?

J-M. M : Nous allons en tout cas lancer une grande étude de marché pour voir ce qu’offrent les universités et qui sont leurs diplômés qui peuvent s’épanouir chez nous. Nous les connaissons déjà bien mais nous voulons aller plus loin en allant voir les responsables de master dans les villes où nous sommes présents afin de lier des partenariats plus étroits.

O. R : Les diplômés des grandes écoles ne vous suffisent plus ?

J-M. M : Disons que leurs diplômés ont un vrai déséquilibre droits/devoirs. Compte tenu du discours élitiste qu’on leur tient tout au long de leur scolarité, ils considèrent qu’ils apportent tout de suite beaucoup à l’entreprise et qu’ils doivent donc recevoir beaucoup dès leur premier jour. Cette mentalité est beaucoup moins marquée dans le monde universitaire. A la sortie d’une grande école de management on a payé très cher et on demande donc beaucoup. C’est légitime de demander une belle rémunération. Mais c’est beaucoup plus compliqué quand il s’agit tout de suite de rémunérer un acquis plutôt que des services rendus.

O. R : Les jeunes diplômés ont donc tant changé ?

J-M. M : Il y a dix ans nous recrutions des jeunes qui avaient faim d’apprendre et de démontrer qu’ils méritaient des responsabilités. Nous sommes aujourd’hui face à des jeunes qui ont une culture du moi beaucoup plus assumée et veulent tout de suite beaucoup. C’est d’ailleurs assez frappant de voir des jeunes qui revendiquent de donner un sens à leur vie, avoir une telle sur-représentation du « moi » par rapport au « nous » !

Derrière de belles phrases il y a parfois une forme d’auto-justification de leur niveau d’exigence. Mais comment les faire cohabiter avec des générations âgées de vingt ans de plus, qui elles donnaient beaucoup avant de recevoir quand aujourd’hui il faut une récompense au bout d’un an ? C’est pourquoi Deloitte accompagne ces jeunes diplômes dans la gestion et la progression de leur carrière.

O. R : À lembauche, vous rémunérez mieux un diplômé dHEC ou de Polytechnique que dune école moins cotée. Est-ce bien normal alors quils vont finalement accomplir le même travail ?

J-M. M : Croyez-vous qu’un diplômé de l’université de Caroline du Sud gagne autant que s’il sortait d’Harvard ? Pensez-vous vraiment qu’un jeune diplômé qui ait les capacités d’entrer à HEC choisisse une école moins renommée ? Pour autant nous prenons l’engagement qu’à performances comparables les deux types de diplômés touchent le même salaire au bout de quatre ans et cela même s’ils ont démarré avec une différence qui peut atteindre les 8000 euros par an. C’est un pacte d’entreprise équitable qui efface cette surcote initiale. Si après quatre ans passés chez Deloitte on a fait ses preuves dans un métier exigeant, cela n’a pas de prix sur le marché du travail.

O. R : Quand on pense audit et conseil on pense aussi entreprise « presse citron ». Quen dites-vous ?

J-M. M : Si nous avons la réputation d’être ultra-exigeant c’est parce que nous offrons la possibilité à tous nos collaborateurs de progresser. Ailleurs il faut aussi beaucoup donner pour progresser et c’est parfois plus dur car ce n’est pas organisé. Quand un jeune entre chez nous il bénéficie d’une force fantastique et quand il part, au bout de quatre ans par exemple, et retrouve ses amis de promotion c’est pour les diriger. C’est une quasi certitude car en quatre ans chez Deloitte il aura été promu trois fois, aura encadré des équipes et travaillé avec plusieurs clients.

O. R : Des anciens salariés reviennent aussi chez vous ?

J-M. M : Cela a toujours existé mais on en voit de plus en plus qui se rendent compte qu’après quelques années dans l’entreprise, ils en ont fait le tour et que l’entreprise n’a pas forcément envie de les voir évoluer. Ils sont souvent partis pour un poste qu’ils appellent « opérationnel » en négligeant le fait que chez nous aussi on manage des équipes et des projets en interne passé quatre/cinq ans dans l’entreprise. Par le réseau des anciens salariés (Deloitte Alumni) ils savent que les retours chez nous sont possibles et on est ravis de les voir revenir avec des compétences plus affirmées dans un domaine précis.

 O. R : Le cabinet Mazars lance cette année son propre MBA. Est-ce une idée que vous pourriez vous aussi imaginer mettre en œuvre ?

J-M. M : Sûrement pas. Il n’y a qu’un seul type de MBA qui ait de la valeur : celui des grandes signatures du monde de l’enseignement supérieur, qu’il s’agisse des universités américaines de l’Ivy League, de l’IMD ou de l’Insead. Les autres coûtent très chers aux écoles qui les proposent. Pourquoi aller y associer sa marque entreprise ? Deloitte a préféré investir 300 millions de dollars dans une université interne pour nos collaborateurs et nos clients pour lesquels nous développons des cursus de formation.

L’académique pur ce n’est pas notre mission et nous préférons aussi nous associer avec des établissements comme HEC avec laquelle nous avons monté une chaire « Énergie et finance ». Enfin, pour tous nos collaborateurs qui souhaitent reprendre des formations diplômantes, nous les cofinançons avec des programmes Parcours choisis, Temps expert, Projet Personnel, en leur libérant du temps.

O. R : Quels sont vos grands concurrents ?

J-M. M : Nous faisons partie des big four mais nous sommes la seule firme qui n’a jamais cessé d’investir à la fois dans l’audit et le conseil. Nous voulons d’ailleurs favoriser la transversalité nombre de nos consultants sont d’anciens auditeurs. Dans le cadre d’un réseau mondial qui fait 30 milliards d’euros de chiffre d’affaires dans le monde, nous sommes très forts en France et cela nous permet de transmettre du chiffre d’affaires à nos implantations à l’étranger et, en contrepartie, de déployer facilement nos cadres en dehors du territoire français.

Nous sommes une firme 100% indépendante qui appartient aux associés français dans une entreprise mondiale. Ainsi les évaluateurs sont très proches des producteurs. Nos clients sont très sensibles à une prise de décision qui se fait là où ils sont. Il n’y a rien de plus désagréable, quand on est un cadre dirigeant que de s’entendre dire qu’il faut attendre une décision prise à New York.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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