La plus prestigieuse des écoles de commerce françaises sera aussi la première à lancer ses cours en ligne gratuits, les fameux MOOCs, sur le site Coursera dès février 2014. Elle sera également présente sur le site français FUN. Bernard Ramanantsoa, son directeur général, revient avec nous sur ses motivations sans éluder les questions qui se posent encore sur le modèle économique des massive open online courses (MOOC).
Olivier Rollot : Vous lancez deux MOOCs sur le site américain Coursera. Qu’est-ce qui vous a décidé à vous lancer dans l’aventure des MOOCs?
Bernard Ramanantsoa : Il s’agit d’abord pour nous de comprendre ce qui se passe avec les MOOCs et d’apprendre en quoi c’est différent d’enseigner dans un environnement totalement ou partiellement (ce qu’on appelle le « blended learning ») numérique. Il y a de nouveaux savoirs faire à acquérir et une question à se poser : la gestion peut-elle s’apprendre à distance comme par exemple la chimie ? La finance comme le droit ? Il y a peut-être des règles du jeu différentes. Au final peut-être va-t-on se dire que les MOOCs ne changent pas grand-chose ou au contraire que cela change tout ! Produire des MOOCs nous permettra en tout cas de peser un peu plus sur les règles qui vont peu à peu voir le jour.
O.R : Comment avez-vous choisi les deux premiers cours, l’un en anglais sur l’Europe, l’autre en français sur l’évaluation financière de l’entreprise.
B.R : Il fallait déjà des volontaires, ensuite qu’ils aient le temps et enfin que les sujets traités soient porteurs. De plus, ce ne sont pas de simples cours introductifs à une discipline, comme on en voit parfois dans les MOOCs, mais de vrais cours d’HEC dispensés par deux enseignants de renom.
O.R : Pourquoi avoir choisi la plate-forme Coursera ? Et quels cours mettrez-vous sur la plate-forme française FUN ?
B.R : Coursera, c’était parce que nous avons eu un bon contact et que la solution technique était bonne. Disons-le aussi parce que financièrement c’était intéressant. Sur FUN nous mettrons des cours différents. Et vous savez que le MESR doit nous soutenir financièrement.
O.R : Tous les enseignants sont susceptibles de produire demain leur MOOC ? N’y a-t-il pas des profils plus adaptés, plus communicatifs ? Certains ne vont-ils pas au contraire absolument s’y refuser ?
B.R : On entend souvent que les enseignants les plus « sachants » ne sont pas forcément les meilleurs en salles de classe. Nous avons donc étudié la question de savoir s’il y avait ou non une corrélation entre la qualité des recherches d’un enseignant et sa pédagogie. Eh bien il n’y en a pas. Un Prix Nobel d’économie peut être parfaitement passionnant comme parfaitement rébarbatif ! Quant aux refus possibles, c’est comme pour toutes les évolutions, il faut du temps. Souvenez-vous des Powerpoint : au début beaucoup disaient qu’ils n’en feraient jamais puis tout le monde s’y est mis.
O.R : Cela ne risque-t-il pas de créer une nouvelle catégorie d’enseignants « stars » parce que massivement regardés ?
B.R : C’est certain que quand votre cours est vu par des dizaines de milliers de personnes vous allez ensuite être sollicités par le monde entier. Avant on ne savait pas vraiment qui était le plus apprécié dans l’amphi, aujourd’hui déjà sur YouTube ou iTunesU, demain encore plus avec de développement des MOOCs, on le saura. Certes il y a des techniques à apprendre pour devenir un prof « acteur » mais l’écart risque de grandir entre les professeurs « showmen » enthousiastes et les autres. Cela nous ramènera d’ailleurs à un autre vieux débat entre l’enseignant « vedette », parce qu’il a écrit un livre qui se vend très bien mais n’est pas forcément toujours très précis, et d’autres enseignants qui n’écrivent, eux, que des articles très pointus lus par cinquante personnes.
O.R : Et au-delà, ne risque-t-on pas d’avoir plusieurs catégories d’institutions d’enseignement supérieur ?
B.R : Je rappellerai d’abord qu’il y a bien longtemps que le Collège de France produit des vidéos visibles par tous. On n’invente rien aujourd’hui avec les MOOCs. Mais il est aussi vrai qu’il risque d’y avoir demain une division entre, d’un côté, des grandes institutions possédant des enseignants-chercheurs et des « stars » – qui ne seront pas forcément les mêmes – et, de l’autre, des institutions qui feront en quelque sorte du coaching. À l’extrême, on pourrait imaginer qu’Harvard produise tout le savoir du monde !
O.R : Alors les universités vont-elles pouvoir résister à la déferlante MOOC ? Pourquoi préserver des campus « réels » quand tout peut se dérouler dans le monde virtuel ?
B.R : Récemment je lisais un entretien avec le Dean de l’université de Princeton dans lequel il disait que le haut de gamme serait toujours constitué d’étudiants qui seraient venus étudier dans les grandes universités. C’est bien de s’être formés en ligne mais, à la fin, c’est mieux de pouvoir dire « Moi j’étais à Princeton ». Ou à HEC !
O.R : Mais là ce sont plusieurs catégories d’étudiants que l’on crée. D’un côté ceux qui n’auront vu leurs enseignants que pas écrans interposés. De l’autre ceux qui pourront les approcher physiquement.
B.R : Mais c’est déjà le cas aujourd’hui avec les livres écrits par les enseignants les plus reconnus. Il y a ceux qui les lisent seulement et ceux qui ont la chance de pouvoir discuter avec ceux qui les écrivent. Mais ce n’est pas parce qu’on possède tous les livres qu’on a le niveau d’un diplômé. Le livre n’a pas plus tué les business schools que ne le feront demain les MOOCs.
O.R : La question à laquelle personne ne répond c’est « Quel modèle économique pour les MOOCs ? ». Vous-même, avez-vous une réponse ?
B.R : Personne aujourd’hui n’a une idée précise du business model ! Le plus simple est sans doute de faire payer ceux qui veulent obtenir un certificat après avoir suivi leur MOOC. Question : viendront-ils passer leur examen sur un campus ou tout se passera-t-il à distance ? Nous ne le savons pas encore. Pourrons-nous par exemple trouver des sponsors ? Je ne le sais pas et je crois que personne ne le sait. Tout dépendra aussi du succès ou pas de nos MOOCs. Certaines grandes institutions, comme par exemple la London Business school, préfèrent d’ailleurs attendre que le marché soit stabilisé pour se lancer.
O.R : Cela pose aussi beaucoup de questions quant aux rémunérations des enseignants qui vont produire ces MOOCs.
B.R : Le temps de travail des enseignants est régulé depuis cinquante ans par des règles qui indiquent par exemple qu’une heure de cours équivaut à quatre heures de préparation. Qu’en est-il avec les MOOCs ? Combien d’heures de travail pour produire 12 minutes de vidéo ? Quelle rémunération la première année où elles sont diffusées, la deuxième, quand ils les mettent à jour… les questions sont multiples.
O.R : Au-delà des MOOCs c’est toute la question du retour du retour du e-learning dans l’enseignement qui se pose.
B.R : On rêve tous que les cours de base soient donnés en numérique. Au lieu de donner des livres à lire aux étudiants de notre Executive MBA, nous leur diffusons déjà des contenus à distance. Nous pouvons ainsi valider qu’ils possèdent bien le minimum de connaissances nécessaire. Quant au fait de filmer tous les cours, cela peut être intéressant pour certains qu’on a vraiment envie de revoir, et ceux-là on les filme, mais pas systématiquement. Mais alors il faut bien faire attention à sa pédagogie : faire rire un amphi c’est souvent efficace mais peut-on vraiment faire rire dans une vidéo sans interaction avec son public ?
Merci Olivier ROLLOT !
Cet article fera date et voilà pourquoi, à mon avis.
Tout d’abord, c’est un remarquable travail de journaliste que d’avoir réussi à mettre ce monstre sacré de Bernard RAMANANTSOA en confiance au point qu’il accepte de se livrer autant.
Connu pour agir en grand séducteur, Monsieur le Directeur Général du Groupe HEC, se lance dans les MOOC « pour comprendre ». Le charme est dans cette apparente humilité. Celui qui ose se lancer « pour voir », c’est l’aventurier !
N’a-t-il pas peur de cette aventure ? Apparemment non : pour lui, entre MOOC et livres il y a de telles analogies que l’on ne peut qu’avoir confiance. Le modèle doit être maitrisable, même si le « business model » n’est pas encore pleinement établi. On entendrait presque la voix profonde de Sean CONNERY rassurer une ravissante idiote qu’un combat contre le monstre ne fait pas mal.
Au passage le corps enseignant en prend pour son grade : « pas de corrélation entre star et sachant », « en quatre heures de préparation on met au point une heure de cours, c’est mathématique », « faire rire en amphi, ça c’est être un bon prof », etc. C’est fort plaisant !
Loin des numéros de charme, Monsieur le Directeur Général du Groupe HEC, revenez s’il vous plait aux fondamentaux. Ce qui justifie qu’un enseignant appartienne aux « cycles supérieurs », ce n’est pas ce qu’il sait mais l’originalité de ce qu’il sait et sa capacité à faire partager son point de vue novateur à de jeunes gens doués. Les autres enseignants, ceux des cycles courts, font perdurer les traditions et les savoirs établis (beaucoup le font avec excellence… et certains avec le « faire rire » qui va bien en amphi). Il existe déjà deux sortes de MOOC, au moins, et il ne serait pas mauvais que l’élite dans laquelle vous vous comptez sache en prendre la mesure. Or l’excellent Olivier ROLLOT ne recueille aucun mot de cela dans les propos que vous lui confiez. Surprenant !
Déjà en 1970, de grandes écoles disposaient de circuits de télévision internes. Elles y diffusaient des cours en amphi où les « plans américains » sur les profs alternaient avec des zooms sur les formules qu’ils écrivaient au tableau. Confort, soin de préparation, sourires, tout était là ! Les élèves-ingénieurs, eux, ne parvenaient pas à rester devant l’écran. Pas plus qu’un spectateur ne reste devant du théâtre filmé.
Les MOOC pionniers d’aujourd’hui tracent d’abord une route, en diffusant la plupart du temps des contenus convenus dont les autodidactes sont friands, comme ces publics sont friands des grands amphis du Collège de France. Ces contenus ne servent qu’à une chose : montrer que le media fonctionne, tout comme on fait circuler une draisine sur une voie ferrée nouvellement posée afin de s’assurer que l’écartement est convenable…
La vraie vie est ailleurs, et c’est sans doute là que se situe l’aventure, la vraie, en tout cas lorsque l’on fait profession de formation.
Ce que permettront les (canaux de diffusion qui sous-tendent les) MOOC, c’est la possibilité d’une toute autre pédagogie. Comptez combien de films de cinéma pourraient aujourd’hui être représentés sur une scène de théâtre, cette proportion est infime. Le cinéma a formé son propre langage pour mettre en lumière d’autres sujets, d’autres façons.
Les anciens circuits de télévision internes des grandes écoles ont tous été déposés. Dans l’incompréhension totale. Le gaspillage de moyens a parfois été imputé aux élèves, « trop blasés », « trop chouchoutés » et qui « ne se rendaient pas compte de ce que l’on faisait pour eux ». Le lecteur rira franchement si on lui dit que ces dépôts ont été faits avant même l’arrivée de la « génération Y »… Cette fameuse génération qui consomme la communication autrement.
Pourrions-nous trouver à la génération d’étudiants actuels une pédagogie qui soit à la mesure de sa modernité ?
Allons, nous voici encore une fois ramenés à la même question : si ce n’est pas le contenu des cours qui fait l’excellence d’une formation, alors qu’est-ce ?
Qu’apprend-on à l’école ? Les choeurs populistes répondent « rien » et ils ont tort. On apprend qui l’on est, pour mieux le devenir. C’est toute la problématique philosophique de Paul RICOEUR et de ce que ce philosophe nomme « l’identité de l’être ». Comment l’apprend-on ? Parfois par la fréquentation d’un Campus où l’on peut apprendre à se connaître au contact bénéfique de quelques « alter-égaux ». Parfois au détour d’une lecture. Parfois grâce à un enseignant et à la pédagogie qu’il sait déployer. Trop nombreux sont les enseignants qui ne savent pas ce qu’ils produisent, ni en bien, ni en mal. Et, pour contrer l’adage, à ceux-là qui ne savent pas ce qu’ils font, il ne faut pas pardonner.
Former est un métier. C’est le métier des professeurs et celui des écoles, conjointement. Il y a loin d’un métier à l’aventure. La possibilité des MOOC, leur diffusion et l’accueil dont ils bénéficient sont des opportunités de développer une pédagogie particulière, utile, efficace et nouvelle, pas de filmer des amphi(théâtres). C’est à ces façons de proposer ces sortes de MOOC qu’HEC et l’enseignement supérieur français devraient/ pourraient se consacrer. C’est une exigence de métier et cette exigence est à la hauteur de l’excellence dont se targue cette profession.
Bien sûr, c’est moins glorieux de faire oeuvre de métier que de partir pour l’aventure, car il faut chercher et travailler. Quand cette leçon-là finira-t-elle par être sue ?
A vous la suite de l’enquête, Olivier ROLLOT, et merci encore !