Comme la plupart des établissements d’enseignement supérieur, l’IPAG Business School a observé une minute de silence à la mémoire des victimes du 13 novembre. Guillaume Bigot, son Directeur général, a voulu aller plus loin en organisant un débat avec les étudiants. Il raconte sa démarche et pourquoi il entend promouvoir le retour du service national ainsi qu’un patriotisme fondé sur les valeurs de notre république.
Olivier Rollot : Pourquoi ce débat avec vos étudiants ?
Guillaume Bigot : Après Charlie, nous avions déjà observé une minute de silence et chanté la Marseillaise. À l’unisson du reste du pays, le 18 novembre, nous avons observé à nouveau une minute de silence et ré entonné notre hymne national. Mais cette fois, le choc était bien plus violent. C’est la jeunesse qui était visée. Aussi, j’ai cru utile de rappeler que notre hymne est un chant de révolte face à l’injustice et un chant de guerre, le sang impur du refrain étant celui des simples soldats, paysans pour la plupart, qui étaient prêts à le répandre pour stopper les tyrans. L’émotion était cependant trop forte pour ouvrir un débat et tenter de comprendre ce qui nous était arrivé. J’ai donc attendu le 25 novembre pour proposer à ceux qui le voulaient, de se réunir afin de réfléchir à cette attaque.
O. R : N’est-ce pas un peu difficile pour une école d’ouvrir ce genre de débats ?
G. B : Non, au contraire, le socle de la liberté académique, c’est la croyance dans le primat de la vérité sur l’erreur et de la supériorité du débat sur l’obscurantisme mais ces croyances servent aussi de socle à la République.
L’ignorance et les non dits sur lesquels prospère le fanatisme doivent devenir les ennemis de tous. J’ai aussi pris la peine de préciser, en ouvrant ce débat par une mini conférence, que je ne m’exprimai pas en tant que chef d’établissement mais en tant qu’auteur ayant écrit plusieurs ouvrages hélas prémonitoires et en lien direct avec la crise actuelle (par exemple, « Le jour où la France tremblera : Terrorisme islamiste : les vrais risques pour l’Hexagone » en 2005, « les 7 scénarios de l’Apocalypse » en 2000 ou encore « Le Zombie et le Fanatique », en 2002). Si certains sujets restent tabous, tel que la position de l’Islam face à la violence, ce n’est pas en les étouffant que l’on désarmera les fanatiques qui se réclament du Coran et les imbéciles qui seraient tentés de s’en prendre aux mosquées. Or, les questions furent nombreuses et passionnantes, exprimant parfois des désaccords mais elles manifestaient toutes un profond respect des opinions divergentes. C’est bien cela la démocratie, pouvoir débattre sans se battre.
O. R : Finalement, vous avez engagé un débat un peu politique ?
G. B : Un établissement d’enseignement supérieur doit maintenir une stricte neutralité politique au sens où il ne doit pas faire de politique politicienne mais notre mission ne consiste pas qu’à former des cadres performants mais aussi des citoyens réfléchis, patriotes et ouverts. Faire vivre ensemble, sur un même territoire, des hommes et des femmes en se respectant n’est possible que si ce que le latin appelle un affectio societatis puissant les unit. La paix n’est pas une donnée mais un héritage à préserver et à défendre, y compris par les armes si besoin.
Lors de ce débat, j’ai rappelé que l’être humain n’est pas une pure conscience individuelle mais aussi un mammifère grégaire qui a besoin d’un territoire et d’une fierté collective pour exister. L’homme ne vit pas que de pain. J’ai également rappelé que dans notre tradition française, la nation n’était pas ethnique. Les tribus « indigènes » qui ont fondé la France étaient diverses et la France n’est pas un « vivre ensemble » spontané mais une volonté de vivre ensemble artificielle et fragile, ce qui est fort différent. J’ai aussi rappelé à quel point notre tradition rendait notre rapport au culte particulier. La France a refoulé les cultes, tous les cultes dans la sphère privée et dans les lieux de culte. Bref, autant d’évidences qui furent trop longtemps refoulées.
O. R : Comment expliquez-vous le désarroi, qui peut mener jusqu’à une révolte fanatique, d’une partie de la jeunesse française ?
G. B : La mondialisation civilisée, fondée sur le caractère indépassable de la notion de bon plaisir individuel et dans laquelle les frontières politiques mais aussi morales s’étaient effacées a engendré un frère jumeau, monstrueux, une mondialisation barbare. Cette mondialisation djihadiste veut, elle aussi, effacer les frontières, dissoudre les États mais cette fois non plus au profit de l’économie mais du religieux, l’individu disparaît au profit du groupe (« Islam » veut dire soumission), le futur au profit du passé (« salaf » veut dire « ancêtres »), l’image au profit du texte, le « tout est permis » est remplacé par le « tout est interdit ».
Pour écraser nos ennemis, il ne faut donc pas dire « Je suis Paris » ou « Je suis ceci ou cela » mais justement réapprendre à dire « Nous sommes ». Je suis persuadé que seule le retour à une forme de fraternité et de cohésion sera en mesure d’asphyxier la tumeur djihadiste. Au moins sur notre territoire.
O. R : Justement, vous préconisez le retour au service militaire obligatoire. Pour tous !
G. B : L’institution du service militaire était extrêmement importante pour rappeler que le bon plaisir individuel ne saurait fonder une société. Dans la caserne, c’est à l’individu de se plier au groupe et à la hiérarchie et pas le contraire. En uniforme, on se découvre, pour un moment, identique, tous les mêmes sous un même drapeau. Plus la nation est diverse et plus cette fonction de brassage social, ethnique, confessionnel est essentielle.
Mais au-delà du creuset national, c’est la question de la violence que le service militaire permet de traiter. On fait comme si la violence n’était pas au cœur de l’homme et tout particulièrement des garçons de 15-20 ans. Thanatos est pourtant un instinct comme Eros. Freud a raison, nier l’instinct, c’est le plus sûr moyen de le déchaîner. Les sociétés qui répriment la sexualité sont des sociétés obsédées. La pornographie d’aujourd’hui n’est plus le sexe mais le sang. On croît que la violence ne fascine pas ? Plus d’un million d’exemplaires de « GTA » se vendent chaque année en France. C’est vraiment cachez ce sein que je ne saurais voir. Ces jeux sont des « DAESH virtuels » et certains adolescents souhaitent passer de l’autre côté de l’écran, c’est aussi cela DAESH.
O. R : Mais qu’apporterait le retour du service militaire ?
G. B : L’armée est un rite initiatique qui apprend à canaliser les pulsions violentes comme les sports de combat par exemple et à les transformer en force. La force est à la violence ce que l’amour est au sexe, une sublimation socialement utile. La société deviendrait donc moins violente si nous rétablissions le service militaire. Apprendre à se défendre est également essentiel. Croit-on que l’on a stoppé Hitler avec Imagine de John Lennon ? Le courage physique n’étant plus une vertu, il suffit d’un loup pour terroriser un poulailler. Plus nous seront forts moralement et physiquement et plus le djihadisme reculera. C’est pour cela que je préconise le retour à un service national comportant une formation aux armes, même si ce service national peut et même doit déboucher sur d’autres formes d’engagement.
O. R : Quel format devrait avoir ce service national ?
G. B : Il faut instituer une période de formation militaire courte – trois ou quatre mois ,- pendant laquelle toute une génération, garçons et filles, riches et pauvres, juifs et musulmans, se retrouverait en uniforme et apprendraient à se respecter et à se défendre. On redécouvre avec l’état d’urgence que les forces de sécurité sont vite débordées, il peut s’avérer très utile de disposer de nombreux personnels sous les drapeaux. Puis certains pourront se former à un métier, coopérer avec des pays francophones, servir une cause sociale, écologique, humanitaire, etc.
O. R : Ne pourrait-on pas limiter ce service aux seuls volontaires ?
G. B : Le limiter aux seuls volontaires serait un contre sens révélant que le monde « adulte » n’ose pas aller contre la loi absolue du « bon plaisir individuel ». De plus, ce sont les volontaires qui en ont le moins besoin. La mixité sociale est également essentielle pour que ce service puisse servir de creuset national en réunissant des garçons et des filles parfois enfermés dans leur religion et doivent expérimenter l’égalité de tous devant la loi, retirer leur voile par exemple. La fraternité est liée à l’égalité. J’ai grandi dans des quartiers qui étaient déjà des ghettos et je suis certain que les jeunes s’adapteraient facilement à l’exigence physique et morale et rechercheraient une égale dignité. D’ailleurs, 20% des policiers et des militaires français sont aujourd’hui de confession ou d’origine musulmane, c’est bien la preuve que cela peut fonctionner. Il ne faut jamais oublier la juste formule de Jaurès, « La patrie est le bien de ceux qui n’ont rien ».
O. R : Cela suffira à détourner du djihadisme tous les jeunes qui s’y fourvoient aujourd’hui ?
G. B : Non cela ne suffira pas mais cela limitera considérablement le pouvoir de séduction de cette idéologie en bouchant les interstices qu’elle remplit efficacement (besoin de fierté collective, d’appartenance, de discipline, de courage, d’utilité sociale, de partage et de dépassement de soi, de fraternité, d’adrénaline aussi). Il ne faut pas se voiler la face, plus de 20% des djihadistes français sont des « Gaulois » qui n’ont aucun rapport avec la tradition musulmane, c’est bien la preuve que le phénomène est un phénomène de génération et pas seulement d’immigration.
La jeunesse en général souffre considérablement de tolérance et d’écoute. Je le dis de manière volontairement provocatrice mais les générations plus âgées n’offrent pour ainsi dire que cela à la jeunesse : de l’écoute et de la tolérance. On a atteint l’overdose ! La jeunesse a aussi besoin de modèle à imiter ou à rejeter, elle a besoin de transmission pour s’en inspirer ou s’en écarter, la jeunesse a toujours eu besoin de maîtres. Il arrive un âge où l’on rejette les parents mais c’est aussi à cet âge que l’on recherche des modèles adultes, rôles que jouent parfaitement les djihadistes. Prétendre que les jeunes savent tout et que le moment le plus intéressant de la vie, c’est l’adolescence est terriblement destructeur. Ce système est mortifère et génère d’ailleurs des comportements d’autodestruction plus ou moins dangereux (le djihadisme en est une illustration extrême et rarissime mais le binch drinking en est une autre hélas plus répandue).
O. R : Mais comment faudrait-il parler aux jeunes alors ?
G. B : Vous savez pour détruire son ennemi, il faut parfois s’en inspirer, à tout le moins comprendre ce qui fait son succès. On a stoppé Staline en faisant la Sécu. On ne stoppera pas l’islamisme sans retrouver des valeurs et des idéaux qui dépassent l’individu. Pas la peine d’aller très loin pour les retrouver, notre histoire est celle d’un grand peuple, elle est pleine de héros et de valeurs qui sont profondément liés à la défense de la dignité humaine.
Hegel expliquait que l’être humain est le seul mammifère qui met sa vie en danger pour obtenir la reconnaissance de ses congénères. Cette attaque ignoble, atroce, parfaitement inique aura eu ce seul effet positif : nous faire redécouvrir ce que nous sommes. Le général de Gaulle ne disait-il pas qu’ « un pacte millénaire unit la France et la liberté du monde » ?
O. R : La question des droits des femmes revient également souvent dans le discours islamiste.
G. B : La France est à la fois un pays représenté par une femme (Marianne, la République, on dit « la » France ; etc.) et en même temps, un pays qui honore les femmes, leurs intelligences, leurs influences et même leur courage (Jeanne d’Arc, la liberté guidant le peuple, etc). C’est le chevalier français du Moyen âge qui laisse la dame présider la table. C’est tout cet héritage que les islamistes ne peuvent supporter. La France était déjà le cauchemar d’Hitler (relisez « Mein Kampf »), il est désormais celui des djihadistes.
O. R : Vous en parliez déjà en 2002 dans votre livre « Le Zombie et le fanatique ».
G. B : Oui j’avais trouvé mon titre dans la chute d’Alain Finkielkraut dans « La défaite de la pensée », j’y mettais en perspective ce zombie, qui ne croit plus en rien, et le fanatique qui n’est que son envers. Ce que nous traversons, c’est aussi l’importation sur notre sol d’une crise de modernité traversée par de nombreuses sociétés d’Afrique et du moyen Orient. Nous avons aussi connu ailleurs ce moment extrêmement dangereux où la tradition, en étant contesté par la modernité, peut muter et devenir cancéreuse, c’est ce que l’on appelle le totalitarisme (le quasi génocide des Vendéens, l’hitlérisme, le stalinisme, le maoïsme, le khomeynisme en Iran, etc). C’est le tour de la tradition arabe sunnite de produire ce genre de « crise d’adolescence » moderne. Disons que le choc entre le totalitarisme paranoïaque de DAECH et la post modernité narcissique de l’Occident provoque des étincelles de Kalachnikov !
Avec l’islamisme, ce qui est encore plus problématique, c’est que nous sommes face à une forme de dégénérescence d’une grande religion.