L’Institut des hautes études pour la science et la technologie (IHEST) vient de fêter ses 10 ans. Chaque année elle forme des cadres du privé et du public, des chercheurs et de futurs responsables de l’enseignement supérieur, aux derniers débats scientifiques. Un lieu unique d’échanges dans le cadre d’un cursus à temps partiel d’une année.
Se confronter à d’autres profils
« C’est après avoir fait le constat avec des industriels en 2010 qu’il n’y avait pas en France de lieu où les professionnels pouvaient réfléchir et débattre des questions scientifiques et technologiques que nous avons commencé à penser au concept même de l’IHEST. » Deux ans plus tard naissait l’Institut des hautes études des sciences et techniques (IHEST) que Marie-Françoise Chevalier Le Guyader dirige encore pour quelques semaines, plus que jamais persuadée que chacun vit et travaille « dans un monde limité dont il faut sortir pour confronter sa vision ».
Cette dimension d’ouverture du monde de la recherche aux autres professions est au cœur des missions de l’IHEST. « Nous revendiquons le rôle de la recherche comme créatrice d’emploi et d’innovation. C’est intéressant de pouvoir communiquer avec d’autres profils, des juges, des policiers, des publicitaires, sur leur vision de la recherche », confie l’actuel directeur de l’Inria, Antoine Petit, qui fit partie de la deuxième promotion de l’institut.
Membre quant à elle de la première promotion, aujourd’hui présidente de la Conférence des grandes écoles et directrice générale de Montpellier SupAgro, Anne-Lucie Wack vivait alors un tournant de sa carrière, après avoir essentiellement travaillé en coopération scientifique avec les pays du Sud et de la Méditerranée : « Je venais de passer plus de 15 ans au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), où j’occupais des fonctions de management. J’avais certes une bonne vision des dispositifs agronomiques internationaux mais je connaissais en fait moins la France et les autres secteurs. L’IHEST m’a permis de bien comprendre le dispositif de l’ESRI en France et son positionnement dans le monde ».
Le décloisonnement public/privé est aussi une partie essentielle des missions de l’Institut. Anne-Lucie Wack comme Antoine Petit avaient d’ailleurs déjà suivi un enseignement similaire à celui de l’IHEST mais plus porté vers l’entreprise : l’Insead pour la première, l’Institut des hautes études de l’entreprise pour le second. « J’avais suivi le cursus « International Executive Programme » de l’Insead en 2002 pour pouvoir mieux comprendre la culture du privé et nous n’étions d’ailleurs que deux à être issus du public dans cette promotion », se souvient Anne-Lucie Wack, qui « croit beaucoup à ce décentrage intellectuel alors qu’il y a beaucoup de postures liées à un déficit de connaissance réciproque : on ne se connaît pas, donc on se méfie! » Dans sa promotion de l’IHEST, elle a pu par exemple rencontrer les directeurs scientifiques de L’Oréal, la SNCF ou encore Rhodia avec lesquels elle a continué à travailler par la suite.
Constituer un réseau
Quand elle démarre son cursus à l’IHEST, Anne-Lucie Wack vient de quitter le Cirad pour monter le dossier de réseau thématique de recherche avancée (RTRA) en agronomie et la Fondation de coopération scientifique dont elle prendra la direction, dans le cadre des nouvelles dispositions de la loi de Programme pour la Recherche (LPR) de 2006 : « Les liens tissés avec les membres de ma promotion IHEST m’ont beaucoup appris et me servent toujours dans mon travail». Cette capacité à sortir de sa « zone de confort » c’est ce que recherchait également Antoine Petit : « Face à des hommes politiques, journalistes, juges, directeurs de la recherche d’entreprise, etc. c’est l’occasion de s’aérer en rencontrant des gens qui occupent des postes comparables dans des structures différentes ».
Depuis sa nomination à la tête de l’Inria Antoine Petit encourage d’ailleurs ses collaborateurs à suivre sa voie et, quasiment chaque année, l’un d’eux suit les cours de l’IHEST. « Ce qui m’a marqué c’est cet espace qui force à prendre du recul et à maturer pour mieux se situer dans sa communauté. Il faut former plus de gens qui ont une vision globale. Il y a toujours le risque et la tentation de l’hyperspécialisation. Il faut se benchmarker », insiste de son côté Anne-Lucie Wack, qui souhaiterait qu’on « qu’on prenne mieux en compte dans l’IHEST les questions et enjeux liés à l’enseignement supérieur » : « Pour avoir basculé de la recherche à l’enseignement supérieur, je sais que ce sont des sphères dont les zones de recouvrement sont encore étonnamment limitées ».
Un benchmarking international
Même si certains auditeurs, comme Anne-Lucie Wack, ont déjà une bonne connaissance de l’international dans leur domaine, les auditeurs de l’IHEST apprécient plus que tout les « learning expeditions » à l’étranger, dont une en dehors de l’Europe, qui ponctuent leur cursus et leur donnent un benchmark plus global. A leur retour ils publient d’ailleurs un livret résumant leur découverte. « Cette année ils ont découvert comment l’université de Manchester, l’une des plus dynamiques du Royaume-Uni, interagissait avec son territoire dans le cadre d’une réforme universitaire qui a confié sa tutelle à la région », explique Marie-Françoise Chevalier Le Guyader, toujours à la recherche des « choix précurseurs » qu’on peut découvrir à l’étranger.
« La distinction enseignant-chercheur / chercheurs que nous connaissons en France n’existe quasiment pas ailleurs où on peut juste moduler sa charge d’enseignement en fonction de ses performances en recherche », note Antoine Petit, qui a également pu voir comment on pouvait avoir des positions à la fois dans la sphère privée et publique aux Etats-Unis alors que cela existe très peu en France : « En France c’est parfois difficile de conclure des accords entre les organismes de recherche et entreprises quand c’est très simple là-bas. Il n’y a qu’en voyageant qu’on peut appréhender ces dimensions culturelles ».