ECOLE D’INGÉNIEURS

« L’économie, la gestion et la sociologie représentent une part importante de la formation au génie industriel » : Bernard Ruffieux, directeur de Grenoble INP – Génie industriel

Le « génie industriel » est un métier d’ingénieur très spécifique que nous décrit Bernard Ruffieux, directeur de Grenoble INP – Génie industriel. Une école qui recrute chaque année 90 élèves en CPGE que viennent rejoindre une vingtaine d’élèves issus des prépas des INP et une trentaine d’admis sur titre, notamment pour la filière apprentissage. Cette année un nouveau concours a été créé pour encore mieux trouver les profils adaptés.

Bernard Ruffieux

Olivier Rollot : Ce n’est pas banal de voir un économiste comme vous à la tête d’une école d’ingénieurs. Pouvez-vous nous expliquer en quoi Grenoble INP – Génie industriel est justement une école tout à fait particulière ?

Bernard Ruffieux : Je suis effectivement un économiste qui travaille depuis très longtemps dans une école d’ingénieurs spécialisée dans la discipline toute particulière qu’est le « génie industriel ». Sa terminologie anglo-saxonne (« industrial engineering and management ») explique d’ailleurs peut-être mieux ce que nous faisons dans une école où l’économie, la gestion et la sociologie représentent une part importante de la formation.

La formation au génie industriel hybride un tiers de mathématique et d’informatique, un tiers de technologies et un tiers de sciences sociales et humaines orienté vers le management. Nos ingénieurs s’intéressent à l’optimisation économique des processus industriels, que ce soit les processus de conception de produits, de production ou de logistique étendue. Nous sommes l’école leader de la conception et de l’organisation industrielle.

O. R : Que demandent au juste les entreprises à vos diplômés ?

B. R : Elles cherchent des ingénieurs capables de les rendre toujours plus efficaces. Ils doivent avoir une vision globale et systémique de l’entreprise qui va de la finance à la conception en passant par la qualité et la logistique. Nos ingénieurs font l’interface entre de nombreux métiers. Ces interfaces requièrent de comprendre les enjeux de chacun et de les intégrer. Cette intégration est aujourd’hui très sophistiquée : faite de lourds systèmes d’information, de réalité virtuelle, de processus qualité et d’amélioration continue, de calculs d’optimisation. Ce sont croyez-moi de vrais métiers d’ingénieurs !

Ces activités transversales d’intégration de multiples spécialités se retrouvent partout dans l’entreprise d’aujourd’hui : en conception par exemple, on intègre le marketing aux contraintes d’approvisionnement et de fabrication ; en organisation, on intègre l’optimisation des lignes à la conduite du changement et à l’innovation future. Aujourd’hui, pour piloter un projet d’investissement robotique dans une usine ou sur une plateforme de logistique urbaine, il faut être capable de travailler aussi bien avec les opérateurs qu’avec les fournisseurs d’équipements et les clients. Il faut ensuite rendre compte du projet de façon synthétique et convaincante au directeur financier et mobiliser les équipes pour le réaliser. Ces métiers s’apprennent dès l’école.

O. R : Vos diplômés peuvent travailler dans des entreprises qui ne sont pas forcément industrielles. En logistique par exemple ?

B. R : Le génie industriel concerne tous les secteurs d’activités. Le mot « industrie » signifie pour nous « production de masse », mais ces produits peuvent être aussi variés que les soins hospitaliers ou le luxe, la conception de matériels sportifs ou la grande distribution, plus traditionnellement l’automobile ou l’alimentation. La conception de produits nécessite un ancrage technologique qui hybride la mécanique au numérique, aux nouveaux matériaux, aux biotechnologies. Le logistique, que vous prenez en exemple, est quant à elle plus directement encore « tous secteurs », même si la logistique des fruits et des légumes n’est pas la même que celle des machines-outils, les enjeux d’ingénierie industriel sont en grande partie communs, les outils pour les gérer aussi.

 

O. R : Quels types d’étudiants recherchez-vous ?

B. R : Ils viennent essentiellement de classes prépas scientifiques, par le biais des Concours communs polytechniques, et de la prépa intégrée des INP. Nous cherchons de bons élèves qui maîtrisent les langues, sont curieux, ouverts, audacieux, créatifs. Nous apprécions ceux qui ont été délégué de classe ou ont été membres d’association. Tous ceux qui sont ouverts au collectif et ont un bon sens du leadership. Le concours est le moment d’identifier de tels profils et de leur présenter l’intérêt pour eux des métiers du génie industriel.

O. R : Vous recrutez également à d’autres niveaux ? Sur quels profils, quels diplômes ?

B. R : Le nouveau concours que nous proposons cette année concerne le recrutement en première année de l’école, à bac+2. A ce niveau d’entrée, nous recrutons aussi en admission sur titre les majors de certains IUT et à la sortie des prépas intégrées des INP. En deuxième année, niveau master donc, l’école recrute en double diplôme et en mobilité internationale. Tous nos élèves font une mobilité internationale durant leurs études, nous accueillons donc en échange de nombreux élèves étrangers. En dernière année d’école, ils sont souvent plus nombreux dans les cours que nos propres élèves recrutés en première année. En double diplôme, nous accueillons des étudiants internationaux de prestigieuses universités de génie industriel, mais aussi des spécialistes sectoriels, comme des étudiants en pharmacie en filière industrielle, qui deviendront des experts en conception de produits, en industrialisation et en logistique dans leur secteur.

O. R : Mais comment leur faites-vous connaître les spécificités de votre école ?

B. R : C’est difficile. En sortant des classes préparatoires, les élèves désirent faire une très bonne école d’ingénieur, mais n’ont qu’une idée très vague des métiers et des enjeux de l’industrie. C’est normal, cela ne leur a pas été enseigné et peu ont des parents ou amis aptes à leur expliquer. Du coup, quand les élèves de prépas passent les concours, ils connaissent essentiellement les grandes écoles généralistes et quelques écoles très pointues, en particulier dans les disciplines qu’ils ont apprises en prépa : les maths ou la physique.

La plupart n’ont aucune idée de ce qu’est l’organisation d’une entreprise, ce que sont les activités et les métiers de conception ou de production. Si quelques idées existent, elles sont caricaturales et souvent négatives : l’industrie pollue, file dans les pays lointains, est en décroissance. Sur le plan pratique, c’est pire encore. Pour eux c’est un peu comme un hôpital : ils savent ce que fait un médecin mais n’ont aucune idée du fonctionnement global d’un CHU, encore moins de ce qui fait l’efficacité d’un tel établissement et de ce qu’un ingénieur en génie industriel peut lui apporter. Notre concours sert à éclairer leur lanterne.

O. R : Comment se déroule votre phase de recrutement ?

B. R : Depuis l’origine de l’école, nous recrutons différemment. L’an passé, quand nous avons remis le concours en cause, nous avons décidé après mûre réflexion en interne et avec notre club d’industriels – le think tank de l’école – de maintenir un entretien individuel, face à un professeur et un industriel. Il s’agit d’évaluer si un candidat a ou non la fibre industrielle. Une grille très précise de neuf critères a été mise au point cette année pour cette évaluation. Cette grille est disponible sur notre site et donc aux candidats. A l’issue de l’entretien, le jury rend d’ailleurs compte à chaque candidat de son évaluation sur ces 9 critères. Il lui propose si nécessaire une orientation vers un type d’école d’ingénieur plus adéquat à son profil.

Mais nous avons aussi estimé cette année, et c’est là le cœur de notre nouvelle formule de concours, qu’il fallait avant cet entretien une « piqure de découverte de nos métiers ». Pendant une heure, on leur propose de regarder différentes vidéos qui présentent aussi bien l’histoire de nos métiers que leur avenir et des anciens élèves en situation professionnelle.

Des étudiants de première année viennent présenter l’école, mais aussi un produit 100% conçu et fabriqué dans l’école, sur nos plateformes technologiques. Cette année, il s’agissait d’un joli badge en bois avec un insert très précis de plexiglass gravé au nom de chaque candidat. C’est là une bonne occasion de parler du génie industriel et de son école sous toutes ses facettes, en partant d’un exemple concret et attractif que chacun à sous les yeux. Le génie industriel étant très prisé à l’international (Industrial Engineering and Management en anglais, Wirtschaftsingenieurwesen en allemand) ; des interviews de professeurs de prestigieuses universités étrangères permettent une prise de conscience des enjeux mondiaux. Cette phase de découverts se termine par un travail de 20 minutes en groupe, pour définir ce qu’est selon eux le génie industriel et répondre individuellement à des questions précises liées à chacun des 9 critères.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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