ECOLES DE MANAGEMENT

« Notre défi aujourd’hui est la reconnaissance par les managers » : Michel Kalika (IAE LYON & Business Science Institute)

La Fnege (Fondation Nationale pour l’Enseignement de la Gestion des Entreprises) vient de publier une étude sur « L’impact de la recherche en management ». Ont été interrogés des managers issus des 87 institutions représentées à la Fnege et 1300 réponses exploitées. L’un de ses trois auteurs, Michel Kalika, professeur à l’IAE Lyon et conseiller scientifique du Business Science Institute, explique pourquoi cet impact est encore insuffisant dans les entreprises et comment l’accroitre.

Michel Kalika

Olivier Rollot : Pourquoi avoir mené cette étude ?

Michel Kalika : La « Revue française de gestion » a été créée en 1975. La recherche française en gestion a ainsi un peu plus de 40 ans et est aujourd’hui publiée dans 37 revues académiques. Elle a reçu ses lettres de noblesse quand, il y a encore vingt ans, certains refusaient encore de la reconnaître dans les milieux académiques. La question que nous nous sommes posées c’est de savoir si les managers en étaient conscients ? Une question légitime quand on connaît l’investissement des écoles de management et des instituts d’administration des entreprises (IAE). Passée la phase de reconnaissance académique, notre défi aujourd’hui est celui de la reconnaissance par les managers.

O. R : Vous demandiez par exemple de citer spontanément les auteurs les « plus influents en management dans le monde ». Vous n’avez pas été surpris de voir sortir les noms de Richard Branson ou Bill Gates ?

M. K : Effectivement les managers confondent auteurs et managers influents mais les cinq premiers cités n’en sont pas moins des enseignants comme l’Américain Michael Porter (premier cité) ou, en France, le professeur d’ESCP Europe Isaac Getz.

O. R : N’y a-t-il pas une surreprésentation des grands auteurs américains ?

M. K : Michael Porter, Henry Mintzberg et Clayton Christensen sont effectivement les trois les plus cités. Leur ancienneté paye comme le fait d’être cités dans tous les cours car les professeurs sont le premier vecteur d’influence. Mais ce sont surtout des auteurs qui publient des livres lisibles par les managers. C’est d’ailleurs aussi le cas des trois premiers français cités (Isaac Getz, Henri Savall, Jean-Marie Peretti) qui ont fait un effort de traduction de leurs analyses scientifiques dans un langage compréhensible.

C’est un message qu’il faut faire passer aux enseignants : bien sûr on vous incite à publier dans des revues académiques mais les managers ne vous liront pas. Jean-Marie Peretti a lui été lu par des générations de DRH avec son manuel de référence dans la gestion des ressources humaines. Il ne faut pas négliger l’influence des cours et des manuels.

O. R : Bien sûr mais encore faut-il que le système valorise d’autres publications que les revues académiques !

M. K : Les professeurs sont rationnels : ils font ce que le système attend d’eux. Il faut donc pouvoir évaluer leur production au-delà du seul impact académique. Ce professeur publie-t-il des livres, tribunes, poste-t-il des vidéos, un blog, donne-t-il des conférences ? Aujourd’hui l’AACSB (Association to Advance Collegiate Schools of Business) mesure l’impact global d’une institution et la Fnege et l’EFMD ont créé le BSIS (Business School Impact System) pour également mesurer l’impact d’une business school dans son environnement.

O. R : Mais comment effectuer cette étude d’impact au-delà des seules publications dans les revues ?

M. K : Effectivement aujourd’hui c’est relativement facile de mesurer la valeur d’une recherche en fonction de la qualité de la revue qui la publie. Il faut définir une grille de critères plus large pour estimer son impact sur les managers. Les recherches académiques sont-elles juste un système pour gérer les carrières des professeurs et les accréditations des business schools ou doivent-elles influencer les pratiques managériales ?

O. R : Le meilleur indicateur n’est-il pas le financement de la recherche par les entreprises ?

M. K : On peut effectivement considérer que les entreprises sont rationnelles et investissent donc dans des recherches qui ont un impact pour elles. Mais il peut également y avoir pour elles des considérations d’image. Surtout la recherche ne doit pas être exclusivement tournée vers l’intérêt direct des entreprises. Il faut pouvoir travailler sur des sujets émergents et cela fait partie de l’autonomie des chercheurs. Recherches fondamentale et appliquée ne doivent pas être opposées. On peut avoir les deux et la recherche doit être évaluée sur les deux dimensions d’impact académique et d’impact managérial !

O. R : Quel est le vecteur d’influence le plus porteur aujourd’hui dans le management ?

M. K : L’édition française de la « Harvard Business Review » a aujourd’hui un impact considérable. Un succès qui s’explique par la qualité de sujets lisibles par tous les managers. Le site The Conversation France a un impact mais essentiellement auprès de la communauté académique. Ensuite il faut regarder du côté des ouvrages publiés par les éditeurs spécialisés (Dunod, Eyrolles, etc.) mais aussi grands publics comme Fayard, Odile Jacob, etc.

O. R : Les business schools ont également investi dans des portails ou des revues qui mettent en avant leur recherche.

M. K : IAE LYON a créé une revue à destination des managers dont le nom est justement « Impacts ». D’autres Ecoles ont décidé que chaque article de recherche devait fait l’objet d’une vidéo. Toulouse BS propose des journées de restitution de la recherche. Il y a une véritable prise de conscience de la nécessité de rendre la recherche utile. Mais c’est une autre démarche et certains font même travailler des professionnels de l’écriture pour « traduire » la recherche. Les cas pratiques sont également un excellent moyen de création d’impact car ils sont utilisés partout.

O. R : Le manque d’intérêt pour les managers ne vient-il pas tout simplement de la façon dont sont formés aujourd’hui les enseignants en gestion ?

M. K : Quand je participe à un jury de thèse je demande toujours aux doctorants ce qu’ils expliqueraient de leur thèse s’ils étaient devant 250 managers. Sans grand résultat probant car ce n’est pas la finalité de la thèse qui est un exercice d’insertion dans le corps social académique. Nous suggérons donc que tout jeune chercheur en gestion passe six mois à un an dans une entreprise.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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