Toute la formation professionnelle va être impactée dans le cadre d’une réforme qui devrait bientôt aboutit. Mais pas dans les mêmes proportions alors que la réforme de 2014 avait vraiment provoqué une sorte de « big bang » dont les effets se font encore sentir aujourd’hui. Revue de détails avant la signature, qu’on attend pour la mi-février, d’un « accord national interprofessionnel » dont les éléments devraient constituer une loi dont la présentation devait avoir lieu mi-mars. Mais on a déjà quinze jours de retard après une reprise des négociations entre les partenaires sociaux le 2 février (lire aussi ci-dessous sur la question de l’apprentissage).
Centre Inffo réunit tous les deux ans lors de son congrès l’ensemble des acteurs de la formation professionnelle : Opca, Fongecif, organismes, associations, acteurs publics… en tout 900 participants cette année à Biarritz. « Centre Inffo est une association quadripartite dont le conseil d’administration regroupe aussi bien des représentants des partenaires sociaux, que des régions ou de l’Etat. Un lieu neutre dont l’objet est d’informer sur la formation professionnelle », explique son président, Louis-Charles Viossat. Son financement se partage équitablement entre des subventions et la vente de publications, fiches pratiques mais aussi de formations. Le site Actualité de la formation fait chaque jour le point. Avec des innovations constantes. « Nous sommes en train de construire un incubateur edtech au sein de Centre Inffo pour faire la passerelle entre l’institutionnel et les edtech », confie son directeur général, Julien Nizri, qui a également le projet de créer une « maison des associations de la formation » dès 2018.
Un constat : la nécessité de former. « Maintenant que la croissance est là elle va créer des emplois mais il y a déjà une difficulté à trouver les compétences voulues. 330 000 emplois sont aujourd’hui non pourvus », se désole la ministre du Travail, Nicole Pénicaud, lors du congrès consacré à la formation professionnelle de Centre Inffo (photo). Et d’analyser : « Nous avons tellement vécu avec un chômage de masse que nous découvrons seulement maintenant le gap qu’il y a entre les métiers d’aujourd’hui et les qualifications. Il faut prendre la mesure de la rapidité des changements du monde du travail ».
Selon les statistiques les plus réalistes ce sont de plus 10 à 15% des emplois qui vont disparaitre dans les 10 ans du fait de la digitalisation et autant qui seront créés. Mais en tout ce seront au moins la moitié qui seront profondément impactés. « Et pour la première fois dans tous les secteurs à la fois. Notre premier défi collectif de prendre conscience de l’ampleur de la mutation. La compétition entre les grandes économies va se jouer sur ce domaine ; et nous n’avons pas vocation au low cost ! », insiste la ministre avant de conclure, citant un poète français du XVIème siècle, Rémi Belleau : « Qui manque de connaissances est sans cesse à la merci du changement ».
Une négociation à pas feutrés. Pendant que régions et syndicats patronaux se sont publiquement étripés pour se saisir de la gestion de l’apprentissage, la négociation entre les partenaires sociaux sur les autres dispositifs s’est faite dans une relative sérénité. Ce qui ne signifie pas qu’il ne va rien se passer. Le congé individuel de formation (CIF) serait ainsi promis à une mort certaine dans le cadre d’une fusion avec le CPF – que vont devenir les Fongecif qui gèrent le CIF ? – alors que les OPCA (organismes paritaires collecteurs agréés) pourraient bien… être privés de la collecte au profit de l’Urssaf. « L’important n’est pas de savoir qui collecte mais de maintenir nos missions de financement de la formation », relativise Stéphanie Lagalle-Baranès, directrice de l’OPCA de la métallurgie, par ailleurs « très favorable à la réforme ».
Même attitude du côté des Fongecif. « Nous allons sans doute devoir nous réinventer pour répondre plus à des demandes d’accompagnement professionnel », imagine le directeur du Fongecif Bourgogne Franche-Comté, Francis Jérôme, qui compte aujourd’hui 30 salariés, et a déjà bien dû se résoudre, d’année en année, à financer de moins en moins de CIF faute de moyens. « En France nous en sommes à 50 000 par an avec un coût moyen de 25 000 € essentiellement composé des remboursements des salaires », rappelle-t-il. 800 millions d’euros pour seulement 50 000 personnes : un investissement dont ne veut plus entendre parler le gouvernement même si pour la CGT il faudrait à tout prix le préserver.
Le « certifiant » progresse. Le plus grand fléchage des fonds mutualisés vers les formations certifiantes / diplômantes commence à produire ses effets dans les entreprises selon l’enquête annuelle sur les Achats de formation en entreprise qu’a publié Centre Inffo à l’occasion de son congrès. En 2017, une forte proportion d’entreprises (79%) a ainsi investi dans des formations certifiantes, soit une hausse de 10% par rapport à 2015. « Les salariés achètent autant une formation qu’un titre pour se protéger dans leur parcours. Il faut pouvoir ensuite « revendre » cette formation certifiante dans le cadre de son parcours professionnel », commente le président de Centre Inffo, Louis-Charles Viossat. Sans pour autant avantager de façon déterminante les établissements les plus renommés selon lui : « Il faut aller plus loin que la marque grâce à une qualité qui s’évalue et permet de choisir une formation qui a de la valeur. Soit dans le DataDoc, soit avec des labels comme celui du Cnefop ».
Le président de Centre Inffo n’en regrette que plus l’absence de la quasi-totalité des établissements d’enseignement supérieur – seule est présente Paris-Dauphine mais d’abord parce qu’elle délivre une formation aux formateurs – a son rendez-vous. Ce qu’il explique ainsi : « Ce sont des administrations distinctes qui gèrent l’enseignement supérieur et la formation professionnelle, les organisation syndicales et patronales n’y jouent pas le même rôle, les systèmes sont clivés mais nous essayons de les rapprocher ».
Ce sera peut-être grâce aux nouveaux contours du Compte personnel de formation (CPF). Si sa mission originale était de permettre à chacun de se former comme il le souhaitait, il a finalement été largement préempté par les branches pour délivrer des formations de base. Aujourd’hui tout pourrait changer avec l’absorption du CIF qui en ferait un moyen pour continuer à financer des formations de longue durée. Mais pas forcément le salaire… Le tout sans indication de valeur de la formation en euros qui resterait uniquement marquée en heures.
Priorité aux chômeurs. C’est une constance dans le discours gouvernemental : la priorité des financements va aller du côté de chômeurs qu’on espère bien ainsi ne plus l’être. Adopté en septembre 2017 le plan d’investissement dans les compétences (PIC) entend ainsi en former 1 million en plus d’un autre million de jeunes décrocheurs. Un investissement de quelques 15 milliards d’euros qui réjouit particulièrement le président de la région Nouvelle Aquitaine, Alain Rousset qui engage sa région dans 11 500 parcours de formation supplémentaires moyennant une enveloppe financière de 52 millions d’euros : « Je salue le nouveau montant de la prise en charge des formations par l’Etat, qui monte à 4000 euro, contre 3000 euros dans le cadre du plan « 500 000 formations » ».
Un financement obtenu dans le cadre de la signature d’une déclinaison régionale du PIC avec la haut-commissaire à la Transformation des compétences, Estelle Sauvat, qui insiste sur « la nécessaire adaptation du dispositif dans chaque région » tout en se disant « vigilante sur l’utilisation des deniers de l’Etat ». Car personne ne veut plus entendre parler des formations « bidon » qui ont émaillé le développement du plan « 500 000 »…
Le Grand Plan d’Investissement 2018-2022 consacre 15 milliards d’euros à la formation professionnelle sur un total de 57 milliards d’euros.
Le rôle crucial de DataDock. Ce n’est pas une accréditation mais une base de données sur laquelle il est pratiquement indispensable d’être référencé. Il y un an 19 des 20 OCTA ont réuni leurs forces pour créer une base de données référençant l’ensemble des organismes de formation : Datadock. Aujourd’hui 54 000 organismes de formation ont demandé à être référencés et 33 000 ont été intégrés sur les 80 000 que compte la France. Un processus sans fin puisque 20 000 organismes disparaissent chaque année quand 20 000 autres naissent. Des organismes accrédités dans leur ensemble par le ministère du Travail. Ce qui ne va pas sans certaines difficultés quand ils réunissent des compétences très différentes. « La CCI Paris Ile-de-France gère par exemple des institutions aussi différentes que HEC et Ferrandi et nous sommes en train de réaliser un travail pour mieux identifier chacun », confie Stéphanie Lagalle-Baranès, responsable du GIE qui gère DataDock.
« Cette année nous entendons aller plus loin en entrant dans une phase de contrôle qui concernera de l’ordre de 800 organismes par an », annonce Stéphanie Lagalle-Baranès. Chaque contrôle coûtant de l’ordre de 2000€ on parle d’un investissement de près de 1,6 million chaque année qui sera confié à 80% à des organismes en voie d’être choisis. « Ce n’est pas notre métier de contrôler mais la mission nous a été confiée et nous allons la remplir avec d’abord la volonté de faire progresser les organismes, pas de les sanctionner sachant qu’il n’y en a de toute façon qu’une infime minorité qui ne respectent pas leurs engagements. » Aujourd’hui le référencement sur DataDock ne se fait que sur la base d’un déclaratif des organismes de formation. Un peu insuffisant pour garantir leur qualité alors que l’utilisation des fonds publics promet d’être de plus en plus surveillée dans les années à venir au sein du monde de la formation.
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