ECOLE D’INGÉNIEURS, EMPLOI / SOCIETE

Les entreprises du numérique à la recherche de compétences

Alors que toutes entreprises sont en pleine mutation numérique les entreprises du secteur, et notamment celles qui sont regroupées dans leur syndicat professionnel, le Syntec Numérique, ne savent plus comment trouver tous les cadres dont elles ont besoin. « Nous créons en moyenne 11 000 emplois nets par an et recrutons chaque année 40 000 cadres quand l’industrie en recrute 26 000, la banque-assurances 13 000 ou encore le commerce 18 000. Le numérique est un secteur qui tire la croissance de toute l’économie », assure le président de Syntec Numérique, Godefroy de Bentzmann, dont le syndicat professionnel s’attend à une croissance de +3,6 % en 2018 et revendique 19 000 créations nettes d’emplois en 2016. « Chaque année il nous manque 10 000 diplômés dans le branche, dont une majorité d’ingénieur », confirme Rémi Ferrand, délégué général de l’association Talents du numérique (ex Pasc@line) qui réunit entreprises et établissements du numérique.

Des ingénieurs ultra sollicités. Avec 1500 recrutements par an – à 95% en CDI ! -, le groupe de conseil en technologie Alten fait partie des principaux recruteurs de jeunes diplômés en France. « Nous recrutons à 90% des ingénieurs et cela dans tous les secteurs, dans l’énergie, la banque, la finance ou le nucléaire mais c’est dans le numérique – 20% de notre activité – que nous avons le plus de mal à les trouver tant ils sont sollicités », révèle Stéphane Dahan, directeur du recrutement d’un groupe qui compte quelques 25 000 salariés dans le monde entier. Un jeune diplômé du numérique qui prend le temps de mettre son CV en ligne reçoit en une demi-journée 250 appels, 100 e-mails et 70 SMS de recruteurs… Et la compétition est mondiale. Les entreprises françaises doivent se battre contre leurs homologues américaines capables de proposer aux ingénieurs français 60 à 80 000€ par an quand en France on plafonne plutôt à 40 000€. Des stagiaires dans la Silicon Valley peuvent aujourd’hui toucher 5000$ par mois. Pas mal même si les loyers y atteignent souvent les 2000$ !

Si la très grande majorité – 85% – des jeunes que recrute Alten sont issus d’écoles d’ingénieurs il apprécie également de recruter d’excellents étudiants titulaires de master universitaires et notamment en informatique où ils représentent 30% des embauches. Et ce ne sont pas seulement les formations spécialisées qui intéressent des entreprises comme Alten. Nombreux sont également ceux qui les rejoignent après une formation en agronomie ou biologie, peu porteuses sur le marché du travail, pour peu qu’ils aient une vraie appétence pour l’informatique.

Comment faire naître des vocations ? Selon la plateforme leader en France dans le recrutement d’étudiants et de jeunes diplômés JobTeaser, le secteur du développement informatique décroche la palme de ce qu’on appelle le « skill gap » : cette filière se classe en effet en 3ème position des offres de stages et en 2ème position des offres d’emploi des entreprises, alors qu’elle n’emporte que la 23ème place des recherches de stage des étudiants, et même la 30ème des recherches de 1er emploi. « Le manque va être de plus en plus grand dans les 5 à 10 ans à venir alors même que nous allons avoir besoin d’ingénieurs très pointus en algorithme pour programmer et utiliser les systèmes d’intelligence artificielle qui vont apprendre à améliorer constamment leurs performances », prévient Godefroy de Bentzmann. Mais comment générer des vocations, notamment chez les femmes particulièrement absentes d’un secteur qui garde une image de « geeks » noctambules et préfèrent souvent les métiers liés à la santé. « Nous avons besoin d’ingénieurs capables d’analyser des data, par exemple pour tester des médicaments et dont le travail est à mi-chemin entre le métier et l’ingénierie », reprend Stéphane Dahan pour lequel « les doctorants ne sont pas assez valorisés alors que la recherche est centrale dans le digital ».

Reste de plus à convaincre les recrutés de rester dans leur entreprise. « Nous investissons beaucoup pour les garder. Et là on ne parle plus seulement de salaire et de carrière mais de responsabilités, d’ambiance de travail – les jeunes sont très sensibles à l’équipe avec laquelle ils vont travailler -, mais se projettent moins dans l’avenir bien conscients qu’on ne connaît pas les métiers de dans 5 ans », juge Stéphane Dahan dont l’entreprise délivre beaucoup de formations aux soft skills et au développement personnel. Et cela dès les écoles d’ingénieur dans lesquelles Alten dispense par exemple des formations du type « communiquer pour convaincre ».

Le niveau en sciences baisse dangereusement. Le paradoxe est criant : plus on besoin de scientifiques moins on semble en former ! Jusqu’au bac S dont une grande partie des titulaires s’oriente dans des filières non scientifiques après le bac. « Dans le cadre de la réforme du bac nous souhaitons que soient créés des parcours scientifiques forts en maths et physique. La dégradation de l’enseignement des sciences au lycée ne peut durer », demande Mickaël Prost, président de l’Union des professeurs de classes préparatoires scientifiques (UPS), pour lequel il faut « assumer de donner suffisamment d’heures de cours alors qu’aujourd’hui les lycéens sont de moins en moins préparés à suivre des études scientifiques dans l’enseignement supérieur ».

Un problème qui remonte bien avant le lycée. De l’avis général le niveau en maths et en résolution de problèmes se dégrade à tous les niveaux. Selon l’étude Timss (Trends in International Mathematics and Science Study) parue début 2017 en vingt ans les élèves de terminale S ont perdu près de 20% de leurs capacités, passant d’un score de 569 en 1995 à un score de 463 en 2015, soit la plus forte baisse observée dans le monde. Mais les résultats sont encore plus décevants pour les élèves de CM1 où la France se classe bonne dernière des pays de l’Union européenne.

  • Face aux défis de la transformation numérique, Talents du Numérique (par l’Association Pasc@line) prône la création d’une licence technologique professionnalisante.
  • Lire aussi un article du Monde qui explique comment, en l’espace de vingt ans, la place des femmes en informatique a été divisée par deux.
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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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