ALTERNANCE / FORMATION CONTINUE, ECOLES DE MANAGEMENT

Apprentissage : « Nous venons de vivre un moment historique »

Président de l’association de promotion de l’alternance Walt et directeur de Talis Paris, Yves Hinnekint est l’un des plus fins connaisseurs du monde de la formation professionnelle en France pour avoir notamment dirigé l’OPCO (opérateur de compétences) Octalia. Il nous livre ses réflexions sur un secteur en plein essor qui ne s’en interroge pas moins sur son avenir.

Olivier Rollot : En tant que président de l’association de promotion de l’alternance Walt (pour « We Are Alternants ») quelles sont vos propositions aux candidats à l’élection présidentielle ?

Yves Hinnekint : Nous faisons le constat que nous venons de vivre un moment historique. Depuis 2010 le nombre de contrats d’apprentissage a plus que doublé en passant de 353 000 à 720 000. Il est encore possible de progresser mais cela ne doit pas se faire au détriment d’une qualité aujourd’hui garantie entre autres par la démarche Qualiopi. La question est comment accompagner le digital, adapter nos titre, être agile ? Pour répondre aux besoins des entreprises, il faut accélérer la transformation de nos titres au moment où France Compétences a une politique serrée sur le renouvellement desdits titres.

O. R : Beaucoup de questions se posent également sur le financement de l’apprentissage. Le fonctionnement actuel, terriblement déficitaire, est-il soutenable ?

Y. H : Ce que nous disons au futur gouvernement c’est « Ne détricotez pas ce qui a été bien tricoté » ! Nous sommes en crise de croissance et il faut traiter tous les chantiers. La loi Pénicaud a ouvert les chakras et toutes les écoles sont devenues des CFA (centres de formation d’apprentis) de fait. Cela a permis d’éviter pendant la période Covid de mettre des dizaines de milliers d’élèves à la rue.

Maintenant il faut stabiliser le système. Nous avons été entendus jusqu’en janvier 2023 pour le financement de l’apprentissage et les primes pour le recrutement d’un apprenti ont quant à elles été maintenues jusqu’en juin 2022. Mais il est également possible de réfléchir à des mises à niveau progressives.

De même par une collaboration CFA et OPCO (opérateur de compétences), les procédures administratives pourraient encore être simplifiées.

O. R : Walt a justement produit une étude qui semble démontrer que l’apprentissage est plutôt une bonne affaire pour la puissance publique.

Y. H : Selon l’étude que nous avons mené le rapport investissement / bénéfices est nettement en faveur de l’apprentissage avec un gain net pour l’État de 1,8 milliard d’euros. Chaque jeune en apprentissage permet en effet à l’Etat d’économiser 3300€ par an. Financer l’apprentissage est un investissement qui rapporte et booste le pouvoir d’achat des jeunes Français.

Une autre étude montre que 80% des jeunes sont satisfaits de leur période en apprentissage. Quant à la prime que touchent les entreprises, la même étude montre que seulement 19% des chefs d’entreprise considèrent qu’elle a joué un rôle moteur dans leur choix de recruter un apprenti.

O. R : La progression de l’apprentissage a essentiellement eu lieu dans l’enseignement supérieur. Certains stigmatisent que les financements soient ainsi portés vers ce segment plutôt que vers d’autres.

Y. H : C’est logique que la progression la plus forte se déroule dans l’enseignement supérieur dans la mesure où c’était là que l’apprentissage était le moins développé. Pour autant tous les jeunes ne sont pas faits pour être alternants. Certains nous en parlent même comme si c’était en soi un métier et on leur explique que c’est d’abord un métier qu’il faut chercher à apprendre. Alors démarre notre action !

Aujourd’hui l’apprentissage est d’abord un accélérateur d’insertion professionnelle. C’est un investissement rentable pour les jeunes qui bénéficient d’une formation payés, d’un expérience et sont 70% à être embauchés à la fin de leur contrat. Cela aide les familles, c’est bon pour les entreprises, c’est rentable pour la puissance publique.

On peut néanmoins réfléchir à la révision des coûts contrat et à progresser avec tous les acteurs pour que le financement soit mieux assuré. Mais on ne peut pas financer avec les mêmes moyens 350 000, 720 000 et peut-être demain un million d’apprentis !

O. R : Si l’augmentation des contrats d’apprentissage est exponentielle c’est aussi parce que beaucoup de contrats de professionnalisation ont été transférés à l’apprentissage. Au global des deux contrats la hausse n’est que de 16%. Dans ce contexte à quoi cela sert-il de conserver deux types de contrat d’alternance différents ?

Y. H : Les contrats de professionnalisation financent parfois ce que les contrats d’apprentissage ne peuvent pas financer. Les CQP (certificats de qualifications professionnelles) par exemple ne sont pas accessibles par l’apprentissage.

On pourrait certainement rapprocher les deux contrats. Ce serait une simplification administrative qui permettrait d’investir plutôt sur l’ingénierie pédagogique.

O. R : Vous présidez depuis 10 mois aux destinées d’une école que des fonds d’investissement ont rachetée il y a un an. Comment cela se déroule-t-il ?

Y. H : Talis est effectivement la propriété des fonds Idi, Raise Impact et Aquiti, un fond de conseil dédié à la Nouvelle Aquitaine, qui souhaitent construire un réseau d’établissements d’enseignement supérieur. Nous avons ainsi déjà acté l’entrée dans Talis du Groupe AFC de Poitiers en octobre 2021. Nous devrions prochainement encore faire grandir la famille.

Culturellement j’ai été biberonné au paritarisme dans la direction de l’OPCO Opcalia de 2006 à 2014 puis de 2016 à 2020. Ici un seul collège de décision fait foi. Et si je compare cette direction avec celle du réseau d’enseignement supérieur Compétences et Développement, de 2014 à 2016, j’y retrouve le même métier, et la même passion de l’alternance acquise également dans le monde paritaire.

O. R : Talis Éducation Group c’est aujourd’hui plus de 5 000 étudiants. Comment s’est constitué le groupe ?

Y. H : Talis Éducation Group est en 1981 en Nouvelle Aquitaine où il possède cinq campus (Bordeaux, Bayonne, Périgueux et Bergerac) ainsi que 2 campus à Paris, et depuis peu 3 campus sur Poitiers. La moitié de nos 5 000 élèves préparent des BTS, les autres des bachelors, des masters 1 et masters 2 dans les ressources humaines, le management de projet, le marketing ou encore les relations commerciales.

O. R : Quel pourcentage de vos élèves suit son cursus en apprentissage ?

Y. H : Nous avons pris très rapidement le virage de l’apprentissage et aujourd’hui 90% de nos élèves sont apprentis.

O. R : Que pensez-vous du passage d’acteurs de l’enseignement supérieur au statut d’entreprise à mission ?

Y. H : Nous y réfléchissons d’autant qu’un de nos actionnaires, IDI et Raise Impact, sont des acteurs engagés dans les critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG). Nous souhaitons inoculer une stratégie ESG et responsabilité sociétale et environnementale (RSE) aux entreprises, au corps enseignant comme à nos élèves.

O. R : Si la pandémie semble aujourd’hui plus ou moins dernière nous, elle n’en a pas moins modifié les relations de travail. Comment le groupe Talis se positionne-t-il dans ces mutations ?

Y. H : Le monde a changé. Talis doit changer aussi. Le digital n’est plus une option, il doit faire partie de la trousse à outils de tous nos élèves. Aujourd’hui on admet plus facilement de ne pas se voir directement en présentiel et faire beaucoup de choses quand même en distanciel.

 

 

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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