ECOLES DE MANAGEMENT

«C’est notre responsabilité d’évoluer de la business school à la « school for business and society »»

Directeur général de Grenoble EM (GEM), Loïck Roche fait partie de ceux qui s’interrogent avec le plus d’acuité sur l’évolution de l’enseignement du management. Il a notamment créé pour cela le « GEM Labs » qui permet à ses étudiants d’expérimenter avant d’être confrontés à la théorie. Alors que GEM vient de lancer sa nouvelle identité de marque (lire plus bas), il explique sa vision de l’enseignement du management.

Loïck Roche (Photo Pierre Jayet)

Olivier Rollot : A l’heure de la montée en puissance de l’intelligence artificielle (IA), alors que les entreprises veulent recruter des diplômés directement opérationnels, prêts à s’investir dans des projets, que doit-on leur enseigner ? Quel sens donner à l’enseignement de la gestion ?

Loïck Roche : Tout ce qui faisait la gloire de l’enseignement supérieur est terminé. Dans un monde à inventer, ce qu’on enseigne aujourd’hui, par définition, est obsolète. Il faut donc travailler sur les compétences. Ce que nous appelons les « Cinq C » : être collaboratif, être critique, être créatif pour penser autrement et s’autoriser à innover, être communicant pour partager dans les langues étrangères mais aussi avec les nouvelles technologies et, bien sûr, avoir les connaissances nécessaires.

C’est pour cela que nous avons créé le « GEM Labs » qui permet à nos étudiants d’expérimenter avant, dans un deuxième temps, d’être confrontés à la théorie. Le « shop connecté », les fibres quasi invisibles dans les vêtements dans lesquelles des puces renseignent le fabricant ; comme en Chine, le système de reconnaissance des visages qui permet de savoir instantanément qui est présent sur le site… Comme le disait Gaston Bachelard : « Le je suis est plus fort que le je pense […] Notre appartenance au monde des images est plus forte, plus constitutive de notre être que notre appartenance au monde des idées ».

O. R : Les locaux des écoles de management sont-ils adaptés à ces nouvelles formes d’apprentissage ?

L. R: C’est déterminant de disposer d’un espace adapté. Dans l’idéal un immense espace totalement modulable, reconfigurable à dessein serait bien plus efficace qu’un espace clôt. Sur le modèle du GEM Labs nous en voudrions dix fois plus. Les étudiants ont moins besoin de nous pour acquérir des savoirs que pour apprendre à apprendre et à s’adapter, définition exacte de l’intelligence. Ici nous avons tous conscience de la nécessité de l’expérimentation. Si les écoles ne devaient faire que de l’enseignement et de la recherche, elles feraient quelque chose d’utile mais elles passeraient à côté de l’essentiel.

O. R : Quelles nouvelles missions doivent-elles remplir ?

L. R: C’est notre responsabilité d’évoluer du modèle de la business school à celui de la « school for business and society ». Une grande école doit répondre aux étudiants et au monde économique bien sûr. Mais elle doit aussi proposer une vision et des solutions aux grands défis humains. Pour exemple, nous avons une chaire Mindfulness, bien-être au travail et paix économique qui propose un contrepoint à la guerre économique. Nous avons également une chaire Femmes et renouveau économique. Ce n’est pas une posture, nous sommes imprégnés et constitutifs de ces valeurs.

O. R : Les étudiants qui vous rejoignent ont ces valeurs en tête ?

L. R: Il y a un principe de réalité : les candidats regardent d’abord les classements. Donner des valeurs aux étudiants, leur faire toucher du doigt ce que veut dire l’éthique, à savoir la capacité à penser l’autre, ce sont des priorités. Quand les entreprises nous disent apprécier nos étudiants parce qu’ils sont humbles, soucieux de progresser, en lien avec la vraie vie, capables de penser autrement, alors c’est que nous sommes sur la bonne voie.

O. R : Quelle mission assignez-vous à vos équipes de recherche ?

L. R: Notre recherche a beaucoup progressé avec la création de chaires de recherche abritées par la Fondation de France. Chacune de nos cinq chaires doit à terme récolter de 300 à 500 k€, le seuil pour embaucher des post doctorants, constituer une vraie équipe, répondre au besoin des entreprises et, sur ces travaux, publier au plus haut niveau académique. Le but ? Faire que 80 à 90% de nos activités de recherche soient financées par les entreprises.

Pour cela il faut aussi avoir des professeurs dont la notoriété est telle qu’ils peuvent donner envie aux entreprises « d’en être » et donc, d’investir. Aujourd’hui nous avons 150 professeurs, et 5 chaires. Demain, nous voulons dix chaires qui devront être financées à hauteur de 500 k€ chaque année. La recherche fondamentale représentera toujours 20 à 25% de l’ensemble de notre recherche. Mais il ne faut pas être seulement académique pour le monde académique. La recherche doit servir aux entreprises et donc à la société.

O. R : Le passage de Grenoble EM au statut d’EESC (établissement d’enseignement supérieur consulaire) en 2017 a-t-il modifié votre gestion ?

L. R: Ce passage modifie nos capacités d’agir. Nous pouvons faire désormais ce nous enseignons ! A commencer par les basiques, récompenser, sanctionner. Là où auparavant on travaillait avant tout sur la bonne volonté de chacun. Plus précisément, nous disposons désormais de vrais leviers de management et de leadership, communs en cela à ceux que l’on peut trouver dans une entreprise privée.

Le hall de Grenoble EM

O. R : Cela vous permet aussi de recruter plus facilement sur un marché des professeurs de gestion qu’on sait très tendu ?

L. R: C’est effectivement un marché très concurrentiel. Au-delà du recrutement, se pose la question de la fidélisation. Notamment des plus jeunes enseignants, notamment des enseignants étrangers.

Cela veut dire travailler le partage de notre vision, la notion d’équipe de recherche et de formation, le respect, la liberté… La capacité avant tout à les faire grandir, les accompagner dans leur reconnaissance et notoriété…. Si nous progressons bien en termes de rémunérations, nous avons encore des progrès à faire.

O. R : Le statut d’EESC a aussi dû modifier votre mode de gouvernance ?

L. R: En conformité avec la loi, la chambre de commerce et d’industrie est majoritaire au sein de notre conseil d’administration. Existe également en interne à GEM un comité exécutif que je dirige. Comité composé de 5 hommes et de 5 femmes . Nous avons également mis en place un International Advisory Board qui compte également des anciens et des deans français et étrangers.

Plus largement nous sommes une « entreprise libérée » avant l’heure. Par exemple, pour le management des enseignants, nous avons un doyen élu, mais également des comités de promotion et de rémunérations où ne siègent que des enseignants élus parmi leurs pairs. Nous essayons d’implémenter la même forme de management pour les administratifs. Cela s’accompagne et fait garanti d’une grande latitude entrepreneuriale des équipes.

O. R : Grenoble EM a également créé des fondations ?

L. R: Nous en avons deux (pour nos chaires de recherche) plus un fonds de dotation dédié au financement des études de nos 150 sportifs de haut niveau. Plus exactement de ceux et celles qui n’ont, malgré leurs résultats incroyables, que très, très peu de moyens.

O. R : Et les alumni, sont-ils indépendants ?

L. R: L’association, par définition, est indépendante de GEM. C’est elle qui accompagne les anciens tout au long de leur vie professionnelle. Qui anime des clubs thématiques, « finance », « supply chain », etc. Parmi nos 30 000 anciens beaucoup participent aux jurys, témoignent, partagent leur expérience. Ce sont également nos meilleurs prescripteurs dans les entreprises. Je pense aux activités de formation continue, mais pas que…

O. R : Vous êtes satisfait du développement de votre département formation continue ?

L. R: Nous sommes très bons quand il s’agit de faire du sur mesure. Moins bons quand il s’agit de proposer des formations inter-entreprises classiques. La force des business schools c’est de savoir écouter les entreprises, et répondre en incluant, lorsque c’est pertinent, des certifications voire de proposer des formations diplômantes.

O. R : Vous vous développez à l’international mais sans ouvrir de grands campus. C’est votre stratégie ?

L. R: Nos programmes sont implantés au sein d’établissements partenaires à Londres, Berlin… Nous voulons nous implanter au sein d’écosystèmes qui nous ressemblent, là où il y a de l’innovation, de la technologie, cela veut dire, par exemple en Corée du sud, à Taiwan ou encore au Japon. Les entreprises et les anciens nous attendent. À nous de savoir être prêts.

O. R : Et l’Afrique ? Tout le monde en parle comme d’un futur eldorado éducatif. Allez-vous vous y implanter ?

L. R: Nous sommes partenaires de l’Esca Casablanca depuis 1990. A l’époque nous étions les premiers. Avec l’Esca nous disposons d’un hub à destination des étudiants Africains. L’Afrique est un vrai défi et une vraie chance. Des difficultés demeurent à commencer par le modèle soutenable et pérenne qui devra être mis en place.

  • GEM vient de lancer  sa nouvelle plate-forme de marque pour « fédérer toutes les communautés de l’école et renforcer l’identité distinctive de GEM » en s’appuyant sur un environnement grenoblois composé de laboratoires, centres de recherche et départements R&D. Dans cet expritt l’expression « Business Lab for Society » vient désormais se positionner sous le logo de l’école pour affirmer cette spécificité. Quant à sa nouvelle signature, « ACTTHINKIMPACT », elle « incite à l’action, celle d’avoir un impact réel sur sa vie, sa carrière, son entreprise, et la société ».Pour assoir cette nouvelle vision de marque, GEM a choisi de revenir à ses racines grenobloises avec des photos de l’environnement alpin / urbain. Pour « exprimer le caractère participatif et collaboratif de ses publics », GEM privilégie désormais les portraits d’étudiants et de collaborateurs, de « manière brute, frontale, directe, spontanée, au flash, vivante, sans artifice, centrés sur la (les) personne(s) et toujours en grand format ». Le message est: « ce sont les personnalités et les individualités qui importent à GEM ». Voir le film de présentation.
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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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