ECOLE D’INGÉNIEURS, PROGRAMMES

Comment former les ingénieurs de demain ?

Mais comment doit-on former aujourd’hui les ingénieurs ? Dans son rapport Quels ingénieurs pour l’industrie du futur ? le think tank des Arts et Métiers s’est attaché à « identifier les principales attentes, les besoins et les facteurs de différenciation des futurs ingénieurs ». « Les ingénieurs, comme les scientifiques universitaires, maîtrisent traditionnellement bien les mutations technologiques, leurs formations ont bien intégré le besoin d’ouverture sur le monde et son multiculturalisme. A eux maintenant d’inventer le management permettant de mobiliser les hommes et les femmes sur des projets correspondant à leurs valeurs. Ils seront alors naturellement les managers du futur », commente le président de la Fondation Arts et Métiers, Charles Dehelly (lire l’entretien qu’il nous avait accordé au moment de la parution du livre blanc « Se former aux métiers de demain »).

Les qualités nécessaires aux futurs ingénieurs. Les auteurs du rapport insistent tout de suite sur ce point : « Si les soft skills sont devenues en quelques années des marqueurs différenciant pour les parcours professionnels, tous les spécialistes rencontrés s’accordent sur le fait que l’ingénieur devra préserver un socle scientifique robuste : les disciplines de base des cursus sont et resteront essentielles pour être en capacité d’évoluer et de s’adapter aux environnements multi-technologiques ». Comme le rappelle Michel Mudry, Président honoraire de l’université d’Orléans, ancien délégué général de la Cdefi (Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieur) et co-fondateur du cabinet de conseil Ither Consult « le stock de connaissances disponibles est évidemment en constante expansion. Puisqu’il n’est pas question d’alourdir sans cesse des études longues, comment choisir ce qu’il faut enseigner pendant les cinq ans que dure un cursus ? On sent bien qu’il y a des bases importantes – l’électricité, la mécanique, la thermodynamique, les mathématiques de l’ingénieur -, qu’il faut absolument maîtriser si on veut ensuite se former tout seul ».

C’est le deuxième point sur lequel insistent les auteurs du rapport : un ingénieur doit produire des raisonnements scientifiques « robustes » : « Pour une grande part, la valeur ajoutée d’un ingénieur est sa capacité à résoudre des problèmes technologiques. Ses connaissances constituent une base fondamentale, qu’il fait évoluer au gré de ses besoins. Ses approches et méthodes constituent le second pilier du savoir-faire qu’il doit démontrer. Sa capacité à raisonner, c’est-à-dire à construire un enchaînement logique d’actions à partir de son diagnostic de situation, est un facteur de succès indéniable ». Pour s’adapter à de nouveaux enjeux technologiques, à de nouvelles questions et des situations plus complexes, l’ingénieur de demain devra aussi augmenter sa capacité à faire évoluer ses connaissances et ses compétences. Un point sur lequel Charles Dehelly est particulièrement critique : « Le manque d’adaptation du management à ces mutations est probablement la cause des problèmes d’efficacité opérationnelle dont chacun peut constater des exemples. Dans son discours de politique générale le Premier ministre, Jean Castex, l’a dit très clairement : « L’intendance ne suit plus ». Et c’est sans doute une cause majeure du décrochement de notre PIB par habitant vis à vis de l’Allemagne ou des Etats-Unis ».

La dimension éthique du métier d’ingénieur est également largement mise en avant dans le rapport : « Avec la loi PACTE de 2019, le développement de la « raison d’être » et des entreprises à il convient d’anticiper une accélération des préoccupations sociales et environnementales dans nos entreprises et, avec elles, une évolution des profils des ingénieurs capables d’embrasser ce champ de contraintes pour le restituer en champs d’opportunités ». Comme le souligne François Taddei: « Il y a un besoin d’intégrer la dimension éthique dans la formation de l’ingénieur. Des études montrent que le niveau d’empathie et la capacité d’intégrer une réflexion éthique diminue avec le nombre des années d’études. L’enseignement doit donc ouvrir la pensée de l’ingénieur à ces domaines ».

 Sont également listées au titre des compétences de l’ingénieur : Être agile, autonome et capable d’intégrer un haut degré d’incertitude, Comprendre le numérique, ses impacts et son potentiel, Disposer d’une robuste culture du risque et de la Sécurité Globale, Maîtriser les approches système et les systèmes complexes, Générer de la valeur, Développer les humanités, Être communicant.

Comment former les ingénieurs ? Mais comment les écoles d’ingénieurs peuvent-elles répondre à ce « cahier des charges » ? D’autant que si « les ingénieurs d’hier ont appris à résoudre des problèmes compliqués, ceux d’aujourd’hui, et plus encore ceux de demain, vont être confrontés à des situations complexes » soulignent les auteurs du rapport. Pour y répondre l’interdisciplinarité doit « rapidement prendre une place majeure dans les projets et enseignements ». Et le groupe d’experts d’insister : « Être curieux des autres techniques, des autres activités, des autres modes d’organisation productive, y compris dans d’autres secteurs d’activités, apprendre à penser autrement, « out of the box », est le prix à payer pour innover, améliorer en continu et apporter de la valeur ». « Nous sommes bien conscients que nous avons encore trop tendance à proposer des enseignements théoriques, qui permettent uniquement de résoudre un problème type. Il faudrait aller plus loin en évaluant leur capacité à proposer et argumenter des solutions à des problèmes pas forcément bien posés », regrette Laurent Champaney, le directeur général des Arts et Métiers.

Autre nécessité : apprendre à gérer l’échec. « Si les choses n’échouent pas, vous n’innovez pas assez », professe Elon Musk quand les auteurs du rapport font le constat que si « l’échec fait partie de la vie humaine sa place reste portion congrue dans les enseignements »et que » les erreurs font parfois office de catalyseurs pour initier un raisonnement sur les causes de l’échec, ce qui enrichit le modèle mental de l’apprenant, transférer ce mode de raisonnement à des situations nou-velles16 et créer des solutions innovantes face à des situations inconnues ».

La solution ? D’abord le recours à la pédagogie par projets : « C’est le modèle qui répond le mieux aux exigences et aux pratiques professionnelles de ce début du XXIè siècle, tant par la maîtrise des méthodes que pour sa capacité à donner du sens aux enseignements. Il permet, en outre, d’engager cognitivement les apprenants à se questionner sur les ressources à développer et de susciter la recherche de solutions ».

Il faut également des interactions toujours plus fortes avec les professionnels. « Les écoles d’ingénieurs doivent faire des arbitrages pour décider de ce qui est primordial. Et pour cela il faut effectivement aussi qu’elles soient en prise directe avec les entreprises dans cet univers si volatil que j’évoquais plus haut. Et pourtant, étant dans l’action, celles-ci ne savent pas forcément elles-mêmes quels sont leurs besoins. Pour l’apprécier et traduire cela dans les formations, il faut que le corps enseignant sorte de ses laboratoires et y réfléchisse avec elles », relève Michel Mudry. Enfin un accompagnement tout au long de la vie est nécessaire pour constamment remettre à niveau les diplômés dans un monde fait d’incertitudes.

Crédit-photo-Arts-et-Métiers-ParisTech-Stefan-Meyer.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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