La voie classique, ce n’est pas celle qu’a prise François Germinet. Quand 97% des diplômés de l’Ecole des Ponts se lancent immédiatement dans la vie active, il démarre un DEA (diplôme d’études approfondies) : « Après ma classe préparatoire scientifique je trouvais bizarre de ne plus faire des mathématiques à un haut niveau. C’était absurde de ranger au placard tout ce que j’avais commencé à apprendre. En dernière année des Ponts je me suis donc inscrit à Paris 7 en maîtrise de mathématiques. L’année suivante, une fois diplômé, j’ai poursuivi en DEA. Puis en doctorat ».
- Portrait publié pour la première fois en novembre 2021 avant sa nomination au SGPI en janvier 2023.
Le sens du collectif
Né en 1970, François Germinet est Parisien. Il passe toute son enfance dans le quartier des Buttes-Chaumont où il va « ramasser les marrons en automne comme tous les enfants du quartier ». En 6ème, il a la révélation de son sens du collectif. Le voilà pour la première fois délégué de classe. Et journaliste. Il publie avec ses camarades de classe un petit journal intitulé « Le Révélateur ». « Aux Ponts aussi je publierai le journal « Correspondances », consacré cette fois aux arts et à la philosophie, avec un ami qui, comme moi, « tournera mal » : il bifurque vers un doctorat en philosophie puis en devenant professeur de philo au lieu de devenir ingénieur ! »
François Germinet profite également de son cursus aux Ponts, où il fait partie de la dernière promotion parisienne de la rue des Saints-Pères, pour se cultiver. Il va tous les samedis matin au Louvre, se passionne pour les expositions au Jeu de Paume, engloutit Proust dans la Pleïade, ne rate aucune rétrospective cinématographique sur Bergman, Kurosawa ou Godard, ou encore va suivre des cours de philosophie d’Alain Renaut.
Classe prépa scientifique, Grande école et université
Mais avant il y eut le passage par un bac C (S aujourd’hui) au lycée Bergson puis deux années de classes préparatoires au lycée Saint-Louis. « J’avais des facilités pour les mathématiques. Pour me détendre je faisais même des exercices. Les mathématiques c’est facile, c’est la vie ! » En prépa, c’est d’ailleurs en faisant ces exercices de maths les samedis soir qu’il rencontre celle qui deviendra son épouse.
A Paris 7, il retrouve tout son enthousiasme pour la discipline. « En classe préparatoire on apprend. A l’université les mathématiques deviennent une matière vivante, en construction. » Il y suit les enseignements de grands professeurs, qui « respirent les maths », et embraye sur une thèse de doctorat en physique mathématiques. « Pendant toute ma vie de matheux j’avais jusque-là appris à résoudre des exercices. Je ne savais pas trop si j’allais pouvoir inventer de nouvelles mathématiques. C’est là que mon directeur de thèse m’a dit que « ça allait bien se passer ». Il avait raison. » Trois ans plus tard, il est docteur en mathématiques.
Une âme de challenger
De toute cette époque de formation intellectuelle, François Germinet se souvient aussi d’avoir toujours été le deuxième de sa classe. « Un sain rappel qu’il y a toujours meilleur que soi ! », dit-il. Challenger, comme aujourd’hui à la tête d’une université parmi les plus récentes du paysage universitaire. « Etre président de CY me convient très bien. Diriger une institution qui se croit leader, ce n’est pas pour moi. On a toujours le sentiment d’être dans une citadelle assiégée et forcément on a du mal à prendre des risques. Au contraire un challenger peut faire des pas de côté. »
Des pas de côté, il n’en fait pas vraiment jusqu’à la sortie des Ponts : « J’ai suivi ce qui était alors le destin tracé des jeunes bons en maths. Un bac scientifique, une classe préparatoire scientifique puis la meilleure école qui vous accepte. Je n’avais même pas regardé des écoles moins bien classées pour voir si elles pouvaient m’intéresser ». Une orientation somme toute subie qu’il juge en « complet décalage avec l’accomplissement des étudiants tel que le définit aujourd’hui l’éclaireur François Taddei avec son « Ikigaï ». « Il faut trouver sa raison d’être en lien avec les besoins du monde. Une osmose nécessaire pour assurer l’avenir de la jeunesse, de la société et de la planète », insiste François Germinet.
L’entrée dans la carrière
Devenir professeur n’est pas un projet de toute une vie mais une évidence qui s’impose peu à peu. « A la fin de mon cursus aux ponts j’ai fait un stage passionnant à Cofiroute. Mais il m’est également apparu clairement que je n’avais pas envie de travailler en entreprise. Ce n’est pas une question d’idéologie. C’est simplement que l’idée qu’une entreprise fasse des profits avec mon travail m’est étrangère. » Six mois après sa soutenance de thèse, François Germinet devient donc maître de conférence à l’université Lille 1 : « J’aime beaucoup enseigner aux étudiants de première année. C’est plus physique. On doit faire le show pour saisir l’attention des étudiants. Monter et descendre dans les amphis, s’engager. C’est beaucoup plus théâtral que les cours de master devant vingt étudiants. »
De nouveau François Germinet est très impliqué dans les tâches collectives, s’occupe de la mise en place du LMD – on est juste après le début du « processus de Bologne » – ou du développement de la filière mathématiques dans son université. Peu après c’est un grand saut dans l’inconnu : il part comme assistant professeur aux Etats-Unis, près de Los Angeles à UC Irvine. « C’était un poste de visiting professor qui comprenait quelques heures d’enseignement pour payer mon loyer. Avec deux collaborateurs, un aux Etats-Unis, l’autre en France, nous avons également pu publier une belle série d’articles de recherche. »
Professeur à l’université de Cergy
Cinq ans après, en 2003, HDR (habilitation à diriger les recherches) en poche, François Germinet devient professeur à l’université de Cergy-Pontoise où il « connaissait tout un groupe de professeurs de mathématiques et physique proches de ses thèmes de recherche ». Dont le professeur Vladimir Georgescu – un célèbre théorème porte son nom -, qui lui avait « donné les plus beaux cours » qu’il ait jamais suivis alors qu’il était en DEA.
Là aussi ses capacités à animer un collectif sont vite mises à contribution. « Je m’occupe de la maîtrise appliquée, je négocie les bourses de DEA, des subventions pour acheter des livres de maths. A chaque fois je reviens avec des résultats sans avoir de conflits avec tout le monde. » C’est donc tout logiquement qu’on le nomme en 2005 directeur adjoint de l’UFR de mathématiques. Et comme à 35 ans il à toujours un physique d’étudiant, certains s’y trompent. « Quand je fais le tour des secrétariats pour me présenter, une assistante m’indique que « à cette heure le bureau n’est pas ouvert aux étudiants ». »
Vice-président puis président
Ce look éternellement jeune n’empêche pas le président de l’université, Thierry Coulhon – aujourd’hui président du Hcéres (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) après avoir été conseiller enseignement supérieur d’Emmanuel Macron -, de le nommer vice-président recherche en 2006 : « Je découvre les laboratoires et leurs pratiques de recherche et recrutement. En Ile-de-France comme au niveau national je rencontre les autres vice-présidents. Cela me passionne de voir des expériences au-delà de mon université ».
Après le départ de Thierry Coulhon pour le cabinet de la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, Valérie Pécresse, la nouvelle présidente de l’université, Françoise Moulin-Civil, le nomme vice-président ressources humaines et stratégie. « C’est le début des initiatives d’excellence, Idex, Labex, et nous montons le labex « Patrima » avec l’Université Versailles-Saint Quentin (UVSQ) puis d’autres projets jusqu’au Campus Versailles « Patrimoine et Artisanat d’excellence » que nous venons d’inaugurer en 2021. »
Mais c’est en 2012 que François Germinet succède à François Moulin-Civil, partie diriger la Comue avec Anne-Sophie Barthez, l’actuelle directrice générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnel du MESRI. Après un premier mandat où il va consolider les bases de l’université – elle connait alors son premier et seul déficit budgétaire suite à l’accession à la gestion de la masse salariale -, François Germinet sera réélu en 2016. Il prend enfin en 2020 la direction d’une toute nouvelle université qu’il vient de créer : CY Cergy Paris Université.
La création de CY Cergy Paris Université
En 2013 une heureuse conjonction de talents nait à Cergy : Jean-Michel Blanquer vient de prendre la tête de l’Essec, Anne-Sophie Barthez dirige la Comue et François Germinet l’université. Ensemble ils vont peu à peu construire le projet d’une nouvelle université. A leurs côtés également un homme moins connu mais dont l’apport est décisif, Nesim Fintz, fondateur d’une école d’ingénieurs de Cergy, l’Eisti, qu’il souhaite voir intégrer une université. « Notre premier projet d’Idex est retoqué. Nous revenons avec un projet plus abouti. A la toute dernière question du jury « Quelle différence y a-t-il avec votre premier projet » nous répondons que « notre premier dossier était un projet et que là nous construisons une université« ».
Le projet « Paris Seine Initiative » décroche le label I-SITE en 2017. Trois ans plus tard nait CY Cergy Paris Université. Un choix de nom qui a pu en étonner plus d’uns « Avec le cabinet de conseil en stratégie de communication No Com nous avons étudié les noms des universités du top 200 mondial. 70% portent le nom de leur ville. Nous ne voulions pas d’acronyme. Nous aimions le Y (c’est Cergy lu à l’envers, c’est notre ancien logo, et c’est le symbole de la confluence entre la Seine et l’Oise). Nous voulions que cela se dise facilement et que cela se retienne. Nous avons finalement retenu la première et la dernière lettre de Cergy et ajouté Paris parce que, vu du reste du monde, Cergy c’est Paris. »
Un peu plus d’un an et demi après CY Cergy Paris Université est une marque reconnue et une autre marque s’y est adossée, CY Tech, qui regroupe l’Eisti mais aussi les facultés de sciences et d’économie-gestion de l’université. « Nous voulons en faire une Grande école qui compte. Elle est déjà la première école d’ingénieurs postbac publique d’Ile-de-France et nous comptons bien la faire entrer dans le top 3 national demain. »
Se connaître pour inventer le monde de demain
Mais François Germinet voit beaucoup plus loin. Avec la nécessaire transition environnementale, l’enseignement supérieur fait son lui face à un « mur qu’il va falloir surmonter » : « La difficulté est sans commune mesure avec tout ce que nous avons connu. Il nous faut changer de paradigme dans l’approche de nos étudiants qui vont devoir inventer les solutions que nous n’avons pas su inventer ».
A l’image traditionnelle et monolithique du professeur qui sait doit selon lui se substituer celle d’un professeur double qui à la fois transmet ses connaissances et accompagne l’étudiant acteur de demain. Cela implique un positionnement plus humble face à un étudiant qui « doit inventer un avenir collectif et durable » : « Dans l’enseignement supérieur le rapport à soi reste un tabou. Les professeurs considèrent pour la plupart que ce n’est ni à eux, ni à l’institution d’aider les étudiants à s’interroger sur ce qu’ils sont et là où ils vont. Mais il n’y aura pas d’accompagnement à la transition si on ne travaille pas le rapport de soi à soi, de soi à l’autre et de soi à la planète ».
- Des rapports qui comptent. Pendant toutes ces années François Germinet ne s’est pas contenté de diriger son université. Il a également publié des rapports nationaux qui ont et beaucoup d’impact. Le premier sur le développement de la formation professionnelle à l’université, en 2015, le second sur la professionnalisation du premier cycle postbac, en 2019, de concert avec le président de l’Association des directeurs d’IUT (Adiut) de l’époque, Rodolphe Dalle. « Tout le paradoxe c’est qu’on me parle constamment du premier rapport, qui n’a pas débouché sur de grands bouleversements alors qu’on me parle rarement du second qui est pourtant à la base du lancement du bachelor universitaire de technologie (BUT) et du nouvel arrêté sur les licences professionnelles. » Toujours persuadé qu’on ne pourra développer la formation continue dans les universités qu’en créant des postes dédiés, pas en surchargeant encore plus les mêmes professeurs, il constate que « le sujet de ne passionne guère – on n’a jamais vraiment fait de PIA pour soutenir la formation continue – alors que les recteurs nous sollicitent constamment pour recevoir toujours plus d’étudiants en licence. Et aujourd’hui en master ».