ECOLES DE MANAGEMENT

«En recherche en sciences de gestion les grandes écoles sont aussi bonnes que les universités»: entretien avec Jean-Philippe Ammeux, directeur de l’Iéseg

Directeur de l’IESEG school of management depuis 1994, Jean-Philippe Ammeux a su transformer une petite école postbac en l’une des meilleures business schools françaises. Retour sur la réussite d’une école créée en 1964 et est implantée depuis 2009 à Paris en plus de son campus lillois.

Olivier Rollot : Après avoir reçu l’année dernière l’accréditation internationale Equis, sans doute la plus difficile obtenir, voilà l’Iéseg dans le saint du saint de l’excellence académique. Que vous reste-t-il encore à obtenir ?

Jean-Philippe Ammeux : Nous étions trop petits et nous voulions devenir incontournables. Alors, un peu comme ces pays émergents qui s’inquiètent quand leur croissance n’atteint plus les 10% par an, nous nous sommes habitués à croitre chaque année à un rythme annuel supérieur à 10%: 600 élèves en 2000, 3000 cette année. Pendant le même temps, notre budget a été multiplié par dix. Pour autant nous ne cherchons pas à être une « grosse » école : la qualité est au centre de notre approche et les accréditations sont là pour le démontrer.

O. R : Qui postule chez vous ? Les mêmes élèves qu’en prépas ?

J-P. A : 80 à 90% de nos élèves étaient également admis dans une classe préparatoire. Les étudiants qui nous rejoignent ne souhaitent pas rester dans l’ambiance du lycée. Ils ne veulent pas attendre deux ans avant d’être confrontés à l’entreprise et à l’international. Pour autant nous ne convenons pas non plus à ceux qui veulent être tout de suite sur le terrain. C’est la raison pour laquelle, comme en prépa nous accordons beaucoup d’importance à la culture générale, indispensable pour comprendre le monde et s’adapter à un environnement changeant.

O. R : Quelles grandes compétences entendez-vous donc aujourd’hui apporter à vos étudiants?

J-P. A : Nous avons une responsabilité sociale considérable. Les deux tiers de nos diplômés sont aujourd’hui confrontés à une problématique internationale au moins une fois par semaine, bientôt ils seront 90%. Ils doivent donc apprendre à travailler avec des équipes multiculturelles composées de professionnels venus de tous les pays. Je vois la mondialisation comme une source d’opportunités, pas comme un problème et nous voulons donc faire de nos étudiants des managers acteurs du changement dans un monde complexe qu’ils comprennent et qui ne leur fait donc pas peur.

 

O. R : Cinq ans c’est absolument nécessaire pour se former ?

J-P. A : Le modèle du Bachelor américain en quatre ans, qui était pertinent autrefois, est devenu trop court en raison d’une complexité croissante des problèmes à traiter dans une économie globalisée. En cinq ans, nous donnons à nos étudiants une formation solide avec une dimension conceptuelle et pratique. Nous donnons également une importance toute particulière à la compréhension de l’environnement et de ses mutations avec des enseignements en économie, histoire, sociologie…  Ils doivent devenir des managers généralistes, aussi bons en marketing qu’en ressources humaines qu’en contrôle de gestion ou en finance. Les techniques sont éphémères, pas les compétences. Nos diplômés doivent pouvoir concevoir et mettre en œuvre des techniques nouvelles. Pour faire face à ce challenge, on travaille beaucoup à l’Iéseg, tout au long des cinq années !

O. R : Dans ce contexte, qui sont vos concurrents ?

J-P. A : Les prépas mais aussi l’université de Paris-Dauphine, Sciences Po et, de plus en plus, les universités étrangères.

O. R : C’est pour cela que l’enseignement est peu à peu dispensé à 100% en anglais ?

J-P. A : Tous nos cours peuvent être suivis en anglais dès la première année. À partir de la troisième tous les cours sont dispensés en anglais pour la totalité des étudiants. Pour autant, nous n’avons pas voulu imposer un niveau élevé dès l’entrée car l’anglais est discriminant sur le plan social. En fin de cursus cela n’empêche pas nos étudiants d’avoir un score moyen supérieur à 930 au TOEIC, le principal test d’anglais reconnu au niveau international. Quand on suit les cours en anglais, on passe les examens en anglais, qu’on rend son mémoire en anglais, on est bien obligé de progresser. Pour faciliter l’apprentissage de l’anglais nous avons mis au point un dispositif personnalisé qui s’appuie notamment sur le e-learning.

O. R : Pourtant vous n’imposez pas de séjour académique à l’étranger.

J-P. A : Les séjours à l’étranger sont très formateurs mais nous accordons aussi beaucoup d’importance à l’« internationalization at home ». Avec trente nationalités dans le corps professoral permanent et cinquante parmi les étudiants, nous travaillons en permanence, à Lille et à Paris, dans un contexte international. Les étudiants, de toutes origines, apprennent à travailler et à conduire des projets ensemble. C’est une façon très efficace de les préparer à devenir des managers dans un contexte international.

Passer quatre mois au même endroit à dix d’une même promotion, ce n’est pas forcément le meilleur moyen de progresser en langue et de découvrir la culture du pays.Même si plus de 80% de nos étudiants en font, nous n’imposons donc pas de séjour académique à l’étranger. Notons qu’avec plus de 200 universités partenaires dans plus de 50 pays, nous envoyons seulement 2 à 3 étudiants au même endroit pour une véritable immersion très enrichissante.  Nous privilégions la qualité de l’expérience. N’oublions pas que les stages à l’étranger – six mois en moyenne – sont obligatoires.

O. R : Mais n’est-ce pas dommage que de plus en plus de jeunes diplômés français aillent travailler à l’étranger au lieu de rester en France ?

J-P. A : Selon les années de 35 à 45% de nos diplômés démarrent leur carrière à l’étranger, dans certains cas parce qu’ils y trouvent de meilleurs emplois qu’en France où les grilles de salaire des grandes entreprises continuent à favoriser quelques très grandes écoles post prépas. A l’étranger c’est la compétence qui compte, pas la réputation « historique » de l’école. Ensuite, deux trois ans après, pour fonder une famille, ils reviennent souvent. Et ils ont alors acquis des compétences qui vont être très utiles aux entreprises implantées en France.

O. R : On parle aujourd’hui constamment de massively open online courses (MOOC), ces cours gratuits en ligne qu’ont popularisé les universités américaines. Allez-vous en créer ?

J-P. A : Pas pour l’instant. C’est une évolution très intéressante, d’ailleurs le e-learning occupe une place croissante à l’Iéseg. Mais n’oublions pas qu’une grande école de management délivre beaucoup plus que des connaissances, elle s’intéresse tout autant au développement personnel et au savoir-faire. Les MOOC ce sont aujourd’hui essentiellement des connaissances mises en ligne et les universités traditionnelles seront probablement les plus impactées.

O. R : Vous n’avez donc pas peur d’une déferlante de l’enseignement à l’américaine ?

J-P. A : Non parce que le concept de la grande école à la française est plus performant que celui des universités américaines dont le modèle de formation date de près d’un siècle. Le système universitaire américain n’est pas ancré dans le monde de l’entreprise mais dans celui de la société américaine et celle-ci est très conservatrice.

O. R : Vous êtes une association avec finalement peu de ressources. Comment faites-vous pour accueillir des enseignants-chercheurs qui publient dans les meilleures revues et ont permis à votre école d’être reconnue dans les classements et par les accréditations ?

J-P. A : On manque de professeurs de gestion partout dans le monde et ceux qui viennent chez nous viennent d’abord pour profiter d’une ambiance de travail positive qui pousse à aller de l’avant. Nous demandons à nos enseignants de venir tous les jours à l’école pour enseigner, encadrer les étudiants, faire de la recherche, mais aussi se rencontrer et créer un véritable esprit d’équipe. Ils se rendent ainsi vite compte qu’on avance plus facilement à plusieurs alors que les enseignants sont par nature solitaires : seuls dans leur classe après avoir été seuls pour réaliser leur thèse et souvent seuls dans leurs travaux de recherche.

O. R : On se demande parfois à quoi sert la recherche dans une école de management. La recherche n’est-elle pas d’abord l’apanage de l’université ?

J-P. A : En sciences de gestion les grandes écoles sont aussi bonnes que les universités. Nous collaborons d’ailleurs activement avec elles, par exemple dans le cadre d’un laboratoire CNRS commun avec l’université Lille 1. La recherche joue un rôle important dans une école de management pour deux raisons. D’une part, une institution académique d’enseignement supérieur doit former, mais aussi faire progresser la connaissance. Les entreprises et les organisations ont besoin de « revisiter » régulièrement leurs pratiques pour être plus efficaces et pour optimiser leur développement dans un environnement très changeant. Cela nécessite une activité de recherche – essentiellement appliquée – pour élaborer les nouveaux modèles d’organisation et de management.

Les questions à traiter par les entreprises sont très nombreuses et des réponses adaptées sont essentielles pour maintenir la croissance économique et le développement social. Il s’agit, en mobilisant moins de ressources, de faire mieux et probablement plus sachant qu’à l’échelle mondiale beaucoup de besoins élémentaires ne sont pas satisfaits.

O. R : Donnez-nous quelques exemples de nouvelles recherches appliquées dans les écoles de management.

J-P. A : Il y en a beaucoup. Citons l’apparition des RFID (« Radio Frequency IDentification », en français « Identification par radio fréquence ») qui impactent la distribution et la Supply Chain ; le développement de la voiture électrique qui bouleverse le business modèle des constructeurs ; l’usage d’internet qui modifie le comportement du consommateur et révolutionne le marketing et la logistique ; l’émergence de nouvelles puissances économiques telles que la Chine et l’Inde, qui conduisent à réviser les processus de production, à élaborer des stratégies adaptées à de nouvelles menaces et opportunités ou encor la problématique du réchauffement climatique qui est un défi technologique mais aussi organisationnel.

O. R : Comment doit alors s’organiser aujourd’hui une école pour répondre à ses défis ?

J-P. A : Une école de management doit avoir un corps professoral impliqué dans la recherche pour délivrer l’enseignement le plus pointu et pour entraîner les étudiants à faire preuve d’esprit critique, à identifier les problématiques de façon claire à recourir aux méthodologies adaptées pour proposer de nouvelles solutions, de nouvelles approches quel que soit le domaine du management. A un niveau master, il est indispensable de cultiver la formation par la recherche avec une perspective opérationnelle.

O. R : Les grande écoles de management françaises sont reconnues à l’étranger mais souvent critiquées en France. Récemment la Cour des Comptes a ainsi stigmatisé les frais de scolarité importants des écoles de commerce et de management françaises (ceux de l’Iéseg frôlent les 9000 € par an). Comment avez-vous accueilli son rapport ?

J-P. A : Une formation qui correspond aux meilleurs standards de qualité au niveau international implique un coût relativement élevé. La Cour des Comptes salue ce haut niveau qualitatif des grandes écoles de management françaises et c’est une chance pour la France et les jeunes de notre pays. La question devient donc : qui doit assumer le financement de nos formations ? Je trouve effectivement anormal que les familles doivent payer aussi cher quand les impôts sont aussi lourds. En quelque sorte, elles contribuent deux fois.

L’Etat apporte un soutien financier inférieur à 10% du coût de nos formations qui est lui-même inférieurs à ceux d’un BTS ou d’un IUT. Les grandes écoles associatives sont particulièrement efficaces sur le plan économique. L’appui de l’Etat est très faible, donc les familles paient des frais de scolarité élevés, c’est malheureusement le résultat d’une équation qui nous est imposée. Au total, l’enseignement supérieur associatif dont l’Iéseg fait partie prend en charge plusieurs dizaines de milliers d’étudiants assurant ainsi à l’Etat une économie annuelle de plus de 600 millions d’€. Nous coûtons moins cher, nous plaçons très bien nos étudiants, nous sommes très bien placés dans les classements internationaux, que demander de plus ?

O. R : En fait ce que vous dites c’est que le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche aurait tout intérêt à encore plus vous appuyer ?

J-P. A : Environ 200 000 étudiants de plus vont être scolarisés dans l’enseignement supérieur dans les dix ans. Au moins deux milliards d’euros supplémentaires seront à trouver chaque année pour assurer leur formation alors que les ressources publiques sont de plus en plus rares. Face à de défi, l’État pourrait s’appuyer, entre autre, sur les grandes écoles associatives car elles font chaque jour la preuve que nous pouvons dispenser un enseignement de qualité à un coût particulièrement raisonnable !

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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