POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

Faut-il rendre l’enseignement du changement climatique obligatoire?

Cédric Villani, l’ancienne ministre de l’Ecologie, Delphine Batho, et Matthieu Orphelin (ex LRM), trois députés envisagent de déposer dans les semaines à venir une proposition de loi pour « généraliser l’enseignement des enjeux liés aux changements climatiques » dans l’enseignement supérieur. Une initiative qui suit celle du think tank The Shift Project dont la tribune « Pour former tous les étudiants du supérieur aux enjeux climatiques et écologiques » a déjà été signée par plus de 1000 enseignants-chercheurs et 80 dirigeants d’établissements d’enseignement supérieur. Cet appel stipule notamment que « aucun étudiant, quel que soit son âge, ne doit pouvoir valider une formation dans l’enseignement supérieur sans avoir compris les causes, les conséquences du changement climatique et travaillé, à son niveau, à l’identification de solutions possibles ».

Le constat. Dans la proposition de loi qu’ont pu consulter les journalistes du JDD il est notamment écrit que « les enjeux climat-énergie sont encore peu enseignés. (…) 76% des formations ne proposent aucun cours abordant les enjeux climats-énergie à leurs étudiants. (…) Et pour cause : le code de l’éducation et les autres textes réglementaires concernant les missions de l’enseignement supérieur, ne mentionnent pas la responsabilité des établissements en la matière ». Un constat qui rejoint celui de l’étude Mobiliser l’enseignement supérieur pour le climat menée The Shift Project. « Le sujet n’est qu’effleuré alors que si on regarde les défis de l’avenir auxquels seront confrontés les étudiants il est absolument central », constate Jean-Marc Jancovici, président du Shift Project et membre du Haut conseil pour le climat créé en 2018 par le gouvernement, qui reprend : « Le monde tel que nous le connaissons dépend de la stabilité climatique depuis 10 000 ans et la fin des glaciations. Nous sommes les double héritiers de cette stabilité et de l’abondance énergétique. Et toutes les deux sont menacées mais on ne l’enseigne pas ».

Dans les 24% de formations proposant des cours, moins de la de la moitié (11%) ont au moins un cours obligatoire. C’est le cas aux Ponts ParisTech – école sous la tutelle du ministère de la Transition énergétique – dont tous les étudiants de première année suivent un module de sensibilisation « Ingénieur pour un monde incertain » de 15 heures suivi d’un projet suivi du passage du test Sulitest. Aux Mines Paris le nouveau cursus ingénieur comprend également tout un pan consacré au changement climatique. Pour mieux en saisir les enjeux le cours (historique) de « Gestion des ressources naturelles » va y être recentré sur cette thématique.

Les écoles de management prennent également particulièrement le sujet à cœur cette rentrée. Des étudiants et enseignants du Programme ID de SKEMA Business School organisent même un festival, la COP1 étudiante, les 5 et 6 octobre à Paris à la Cité fertile. Un événement ouvert à tous ceux qui veulent passer à la vitesse supérieure dans leur engagement et qui « s’interrogent sur leur place dans notre monde en transition ». La spécificité de l’événement : un parcours de deux jours orienté vers une intention globale « Mieux se connaître pour mieux agir ».

Et les exemples ne manquent pas de cette prise de conscience. A HEC Paris les nouveaux étudiants du programme Grande école (PGE) ont ainsi questionné cette année la mission sociétale et la raison d’être des organisations à Chamonix, « lieu emblématique du réchauffement climatique avec la fonte des glaciers ». Même entrée en matière du côté de Kedge où les nouveaux étudiants réalisent cette année une « Fresque Climat ». Après une initiation en trois heures sur le constat scientifique et sur les impacts du changement climatique tels que décrits dans le dernier rapport du GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat), les étudiants sont amenés à retrouver les liens de cause à effet entre les différentes composantes du changement climatique. Mais rien de comparable avec l’action entreprise depuis 20 ans à La Rochelle BS – Excelia Group qui, en 1999, a été a première grande école de commerce française à créer une formation dédiée au développement durable. « Excelia apporte une contribution unique pour accélérer la conscience des enjeux écologiques et sociaux au cœur du système économique », commente Bruno Neil, son directeur.

Comment enseigner le changement climatique ? Les freins au développement des formations à la transition énergétique et au climat sont multiples. Et d’abord un enseignement trop disciplinaire qui freine le développement de sujets qui mêlent les disciplines comme la transition énergétique. « Le problème est d’abord de constituer des équipes dans tous les types de formation. En informatique comme en droit et pas seulement dans les sciences », remarque Jacques Treiner, professeur émérite à Sorbonne Université et conseiller scientifique du Shift Project. La question de la vulgarisation se pose particulièrement dans les écoles de management et les formations en sciences humaines en général. « Plus on maîtrise des éléments scientifiques comme le rayonnement infrarouge, l’équilibre énergétique ou la mécanique des fluides plus c’est simple de comprendre les enjeux », relève Jean-Marc Jancovici, lui-même professeur aux Mines ParisTech.

L’enseignement supérieur réagissant d’abord à la récompense chiffrée, la prise en compte par les classements et les accréditations du sujet serait un puissant soutient au développement. Et déjà les choses avancent avec en 2019 la publication d’un premier classement du Times Higher Education fondé sur les « Sustainable Goals » de l’ONU : le University Impact Rankings. En France les futurs classements du Figaro semblent devoir donner une part substantielle aux efforts des Grandes écoles en matière de transition énergétique… tout en posant de nombreuses nouvelles questions auxquelles les écoles n’ont pas encore l’habitude de répondre.

Mais le plus puissant vecteur d’évolution de l’enseignement supérieur sera l’influence des étudiants eux-mêmes. Parce qu’ils commencent à recruter ceux qu’on appelle les « Sustainable natives » – nés après 2000 et concernés depuis leur enfance par les questions climatiques – les établissements d’enseignement supérieur vont devoir répondre à leurs demande. Qui va correspondre à celle de toute la société. Comme l’assure l’ancien directeur général de l’Organisation mondiale du commerce et actuel président de la Fondation Jacques Delors, Pascal Lamy : « Ce qui va le plus impacter les entreprises dans les années à venir c’est la transition écologique. Pas la déglobalisation, le Brexit ou ce curieux personnage qu’est Donald Trump ».

  •  Parmi les directeurs qui ont signé l’appel citons Joël Alexandre, président de l’Université Rouen Normandie, Romuald Boné, directeur de l’INSA Strasbourg, Tawhid Chtioui, directeur général de emlyon, François Germinet, président de l’Université de Cergy-Pontoise, Isabelle Huault, présidente de l’Université Paris Dauphine, Marc Mezard, directeur de l’ENS ULM, Frédéric Mion, directeur de Sciences Po Paris, etc.
  • Regarder aussi sur XerfiCanal Remettre en cause les critères des classements des écoles de gestion
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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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