La pandémie laissera des traces mais aura également permis des avancées. Après un an de crise, Jean-François Fiorina, directeur général adjoint de Grenoble EM, fait le point. (Credit photo Bruno Fournier)
Olivier Rollot : La pandémie faiblit enfin. Quel bilan pouvez-vous en tirer ?
Jean-François Fiorina : Elle nous a obligé à trouver des solutions innovantes, à inventer des approches hybrides en arrêtant de différencier présentiel et distanciel. Aujourd’hui il ne s’agit plus de passer d’un mode à l’autre mais de les mêler. Cela ouvre une voie de formation à des étudiants qui ne peuvent pas venir sur les campus. De plus nous avons constaté que nous avions cette année finalement plus d’interactivité avec les étudiants comme entre nous sans avoir à trouver constamment des créneaux.
L’hybridation doit concerner toutes nos activités alors que nous sommes moins murs pour cela dans la promotion et la communication. Il y a toujours beaucoup de réticences à aller vers des journées portes ouvertes (JPO) virtuelles salons et publications restent primordiaux pour nous.
En revanche l’hybridation se prête très bien à des évènements comme notre Festival de géopolitique. Cette année nous avons eu le même nombre de participants à distance que nous en avions en présentiel. Avec même des retours plus qualitatifs. Le distanciel nous a permis de toucher d’autres cibles et même de proposer un étalement de nos événements toute l’année avec seulement deux ou trois jours en présentiel.
O. R : Les écoles sont résilientes !
J-F. F : Cela a été une année compliquée. Le mois de janvier 2021 a été très difficile. Nous étions soumis à des d’injonctions contradictoires après des mois déjà très compliqués. Cela a parfois été difficile de gérer le mécontentement des étudiants alors que nous n’avions guère de visibilité pour la suite. Nous avons dû tout reprogrammer trente fois mais maintenant nos salles Hyflex nous donnent de la flexibilité
O. R : Cette année l’hybridation a aussi signifié suivre des cours très loin des campus étrangers. Cela peut-il continuer ?
J-F. F : L’hybridation est une réponse à la nécessaire transition écologique. Alors que les étudiants viennent chez nous pour pouvoir ensuite travailler où ils le souhaitent, l’expérience internationale va fortement évoluer. Nos Un grand nombre de nos étudiants ont déjà beaucoup voyagé quand ils nous rejoignent. Il faut inventer de nouveaux modèles comme celui que nous avons initié avec l’université de Tsukuba, au Japon, avec laquelle nous avons créé dès 2012 un cours d’affaires interculturelles à distance. Demain le modèle dominant de l’expérience internationale ne sera plus le même qu’aujourd’hui.
O. R : Les concours d’entrée dans les Grandes écoles peuvent-ils se dérouler à distance ?
J-F. F : Les admis sur titre avaient cette année le choix et nous avons eu la surprise de constater que la moitié optaient pour le passage des oraux examens à distance. Beaucoup sont en effet en stage ou à l’étranger pendant cette période. Mais comment leur communiquer l’ambiance de l’école ?
O. R : Les entreprises vont de toute évidence conserver une large part de travail à distance. C’est une dimension que vos chercheurs évaluent déjà ?
J-F. F : Aujourd’hui le maître mot des entreprises est « flexibilité ». Il faut apprendre à travailler à distance, à gérer une équipe et des conflits dans un mixte présentiel / distanciel. En amont nous avons tout un travail à faire pour identifier des compétences, des aptitudes à la flexibilité qui permettront de signer un nouveau pacte social dans les entreprises. Nous devons expliquer à nos étudiants que ces aptitudes les préparent au monde du travail, pas seulement au monde du Covid.
Nous devons pour cela favoriser la notion de parcours étudiant, d’expérience apprenante. Nos étudiants vont suivre des cours mais aussi avoir accès à un ensemble de services. Ils vont de plus en plus apprendre à apprendre.
O. R : Ce que vous évoquez c’est une personnalisation accrue des parcours. L’Intelligence artificielle (IA) la permet mais cela peut aussi être inquiétant !
J-F. F : L’acceptation de l’Intelligence artificielle (IA) est une question juridique et d’organisation. Aujourd’hui Grenoble EM propose jusqu’à 15 000 combinaisons possibles pour permettre à chacun de pallier des manques éventuels ou, au contraire, d’aller plus loin. Nous entrons dans un monde inconnu de gestion des data qui nous permet d’aller plus loin dans la gestion des compétences de nos étudiants avec un degré de granularité de plus en plus précis.
Mais nous devons aussi prendre garde à la montée en puissance de nouveaux acteurs, Edtech ou Gafam, capables de proposer des éléments. J’ai toujours indiqué que l’école du futur s’inscrirait dans des écosystèmes. Pour nous cela peut signifier devenir de « mini Amazon » dispensant notre cœur de métier tout en mettant à disposition d’autres éléments de savoir pour lesquels nous toucherions une commission.
Le premier niveau d’écosystème Edtech c’est l’expérience étudiante. Le second ce sont des acteurs de l’éducation que nous labelliserons et que nous proposerons à nos étudiants en leur faisant profiter de notre marque et de leur expertise. Tout un modèle économique à créer !
O. R : C’est un modèle économique qu’une école peut développer seule ?
J-F. F : Peut-être faut-il envisager des modèles de mutualisation avec d’autres écoles. Le développement de plateformes communes dans lesquels nous validerions toutes les formations en géopolitiques, une autre école la finance, etc. Mutualiser permet de faire face à la montée des coûts comme le démontre aujourd’hui le rapprochement entre TF1 et M6.
O. R : Vous avez pris la direction de la toute nouvelle commission « Formation et numérique » de la non moins nouvelle Conférence des directeurs des écoles françaises de management (Cdefm). Qu’allez-vous y proposer ?
J-F. F : Nous allons d’abord nous attacher à promouvoir nos innovations pédagogiques. Que ce soit en France ou à l’international. Nous voulons également réfléchir aux critères des classements et des accréditations qui permettent de les mettre en exergue.
O. R : Vous êtes un passionné de géopolitique. Comment la géopolitique de l’enseignement supérieur va-t-elle évoluer selon vous ? Par exemple les étudiants chinois qui ne vont plus en Australie suite aux différents entre les deux pays vont-ils venir en Europe ?
J-F. F : Je ne suis pas certain que les étudiants chinois qui allaient jusqu’ici en Australie soient intéressés par l’Europe. D’autant que la qualité des business schools chinoises est en constante amélioration. De plus les universités australiennes s’étaient parfaitement adaptées aux étudiants chinois.
Pour la France les pays qui vont continuer à nous envoyer des étudiants sont plutôt en Afrique et dans d’autres pays émergents. Mais de nouveaux acteurs vont également venir nous concurrencer, sans doute avec des frais de scolarité différents. De plus des étudiants peuvent ne pas se déplacer du tout, suivre des cours sur EdEx ou Coursera et obtenir la certification d’une grande marque.
O. R : Autre question Covid : comment vos étudiants se sont-ils placés sur le marché du travail cette année?
J-F. F : Les indicateurs sont très positifs sur tous les éléments de la chaine. Il est vrai soutenus par les aides de l’Etat. Les Grandes écoles ont toujours la valeur ajoutée de l’employabilité avec cette année un travail d’accompagnement encore plus fort que les autres années des services carrière. Maintenant tout va dépendre de la rentrée. De comment les Français vont consommer et les entreprises se transformer