ECOLES DE MANAGEMENT, PROGRAMMES

« L’ADN de l’ESSEC est adapté aux temps actuels » : Jean-Michel Blanquer, directeur général de l’ESSEC

Ce n’est pas un directeur comme les autres qui dirige le groupe ESSEC : avant d’en prendre la tête en 2013, Jean-Michel Blanquer (@jmblanquer sur Twitter) a en effet occupé de hautes fonctions au sein du ministère de l’Education nationale : recteur de l’académie de Créteil puis directeur général de l’enseignement scolaire. On lui doit notamment le développement des conventions ZEP avec Sciences Po ou la création des internats d’excellence. Une passion des innovations pédagogiques et de la démocratisation qui se conjugue bien avec celle qu’a toujours eue l’ESSEC.

Jean-Michel Blanquer (photo  Christophe Meireis)

Olivier Rollot : Il y a maintenant presque un an que vous dirigez l’ESSEC. Comment la définiriez-vous ?

Jean-Michel Blanquer : Comme une très belle maison créative, tonique, entreprenante mais aussi possédant des valeurs fortes notamment lorsqu’il faut parler management et société. C’est dans cet esprit pionnier que nous avons présenté notre plan stratégique ESSEC 3i au début de l’année. Parce que nous pensons que l’ADN de l’ESSEC est adapté aux temps de complexité actuels tout en laissant l’humain au centre. Aujourd’hui la maison ESSEC est très unie autour de nos projets, que ce soit les étudiants, les professeurs, l’ensemble des personnels, les alumni ou encore la Fondation.

O. R : Cette complexité, vous pensez qu’on doit la gérer en croisant les profils. D’où votre proximité de plus en plus forte avec Centrale Paris ?

J-M. B : L’alliance avec Centrale Paris n’est pas nouvelle mais nous lui donnons une nouvelle intensité, que ce soit dans la recherche ou dans l’enseignement avec, par exemple, tout récemment, un colloque commun sur les big data. L’ESSEC a vocation à mettre en œuvre des recherches fondamentales d’un très haut niveau académique comme c’est le cas avec la chaire Accenture Strategic Business Analytics. Notre déploiement international se fera le plus possible avec l’Ecole Centrale Paris. L’alliance ingénieurs-managers est une clé du futur et nous voulons être à l’avant-garde en la matière.

Nous allons également créer des « centres d’excellence » correspondant à nos grands domaines de force: le premier sera dans l’entrepreneuriat car la création d’entreprises et, plus généralement, l’esprit d’entreprise est essentiel pour l’avenir de notre jeunesse.

O. R : Vous voulez constamment innover, notamment dans la pédagogie ?

J-M. B : À la rentrée nous créons le Fab Lab de l’innovation scientifique et pédagogique où se trouveront tous les moyens nécessaires à la création d’infographies, de cartographies, d’études de cas, de jeux, de MOOCs (massive open online courses) ou encore de SPOC (small private online course). Par ailleurs, étudiants et enseignants pourront se retrouver dans des Open Labs où ils auront à disposition des murs numériques, des tableaux blancs, toutes les ressources pour émettre des idées, interagir entre étudiants, professeurs, professionnels et lancer des débats. Le premier ouvrira à Cergy puis suivront nos implantations de La Défense et Singapour.

Nous voulons ainsi mettre en œuvre ce que nous avons appelé le « design learning » en pendant au « design thinking » dont nous sommes des pionniers depuis bientôt dix ans. Le « design learning » sera le drapeau de l’ESSEC pour les années à venir avec la conviction que l’éducation est d’abord une éducation à la liberté et que chacun doit pouvoir dessiner progressivement un parcours structuré, cohérent et spécifique.

O. R : Aujourd’hui il faut tout changer dans l’enseignement ?

J-M. B : Non mais il faut trouver un équilibre entre les fondamentaux, quasi éternels, et les nouveaux modes d’enseignement. Les MOOCs ne vont pas remplacer les universités mais on ne peut pas non plus faire comme s’ils n’existaient pas. Il faut donc mélanger cours magistraux et cours interactifs tout en prenant bien garde à sauvegarder une culture du livre qui est aussi celle de la concentration, de la capacité à approfondir.

C’est là que les classes préparatoires aux grandes écoles prennent toute leur importance grâce au socle de connaissances et de méthode qu’elles apportent. Dans un monde caractérisé par l’immédiateté, il faut à la fois de la profondeur et de l’agilité. Mais les jeux vidéo, à condition de ne pas en abuser, peuvent également permettre de développer des capacités cognitives. Demain certains « serious games » pourraient devenir des éléments de sélectivité dans les universités.

O. R : Vous voulez également créer des cours à la demande des étudiants. De quoi s’agit-il ?

J-M. B : C’est précisément un élément central du design learning, fil conducteur du projet pédagogique de l’ESSEC. L’ESSEC est allée très loin dans la personnalisation des parcours et nous allons mieux les structurer avec une « carte cognitive » que possédera chaque étudiant et un mentor (un alumni) pour aider l’étudiant dans son parcours. En début de dernière année, une semaine sera consacrée à parler du futur pour que chaque étudiant puisse définir les cours qui lui manquent pour bien se projeter dans l’avenir. Si cinquante étudiants disent qu’il faut créer un cours sur le « financement des infrastructures en Amérique latine » parce que c’est là que sont les recrutements de demain, nous pourrons créer un SPOC ou un cours présentiel. Si la demande est renouvelée plusieurs années, le cours pourra perdurer et devenir un MOOC.

O. R : Vous n’en avez pas encore beaucoup parlé mais vous êtes en train de créer une Comue (communauté d’universités et d’établissements) avec notamment l’université de Cergy Pontoise

J-M. B : C’est une Comue extrêmement intéressante qui sera très agile avec 30 000 étudiants et un bon équilibre entre enseignement public et privé. L’université de Cergy Pontoise possède des pôles d’excellence en économie ou en mathématiques qui convergent avec nos points de force. Et il y a sur le territoire de Cergy des institutions d’excellence dans les domaines les plus variés, l’art, le numérique, par exemple.  Notre logique commune est de nous situer dans un axe Paris-Seine, ce qui préfigure sûrement de futures alliances et actions en amont et en val de la Seine, jusqu’à l’estuaire.

Nous souhaitons également créer ensemble une Cité internationale à Cergy, qui pourrait être dans quelques années le grand campus moderne dont l’Ile de France a besoin au service de plusieurs institutions de Cergy et Paris. Ce sera au bord du fleuve, près des lacs, avec des équipements sportifs, culturels et une bibliothèque ouverte en permanence. Nous voulons créer le futur plutôt que partager l’existant.

O. R : Ces dernières années on a aussi parlé de l’ESSEC parce que ses résultats financiers n’étaient pas à la hauteur. Qu’en est-il aujourd’hui ?

J-M. B : D’abord il faut comprendre que toutes les business schools dans le monde doivent réinventer leur modèle économique dans un contexte d’internationalisation. Aujourd’hui l’ESSEC repense son business model avec de nouvelles recettes (formation continue, développement international, nouvelles chaires, summer schools) et un fundraising en forte hausse ces derniers mois grâce au travail de la Fondation et des alumni. De plus, s’il y a eu un déficit à constater en 2012-2013, c’est aussi parce qu’il y avait des comptes à solder sur plusieurs problèmes qui ne se représenteront pas. En 2013-2014 nous visons l’équilibre dans un environnement général qui est difficile pour tout le monde et qui suppose beaucoup d’attention aux comptes et à la diversification des recettes.

O. R : Dans le cadre de vos développement, vous allez encore plus miser sur votre BBA?

J-M. B : Très lisible à l’international avec son format en 4 ans postbac, notre BBA est aujourd’hui leader en France. En septembre 2015 nous ouvrirons un Global BBA en 4 ans, que les étudiants pourront intégrer indifféremment à Singapour et à Paris et suivre le cursus en Asie et en Europe. Ainsi nous passerons de 200 étudiants par promotion aujourd’hui à 300.

J-M. B : Nous sommes une école multipolaire avec nos campus sur deux continents (région parisienne et Singapour où nous ouvrirons  notre nouveau campus en début d’année 2015) et notre présence future de plus en plus forte en Afrique et dans les Amériques. Ce que nous voulons c’est former des jeunes capables de comprendre comment agir dans le monde en comprenant la diversité du monde et pour cela il faut beaucoup circuler. Il faut acquérir une vision humaine de la mondialisation qui la rende compatible avec le développement de la société.

O. R : L’ESSEC est l’une des écoles qui a le plus développé l’apprentissage avec un tiers de ses effectifs. N’êtes-vous pas inquiet de certaines évolutions qui vont à la fois faire baisser vos ressources et flécher les financements vers les cursus infra bac ?

J-M. B : Nous ne devrions pas, d’après ce que nous disent les pouvoirs publics, subir de trop grandes baisses de nos financements. Et nous sommes très vigilants. Il faut être très attentif à cette question de l’apprentissage pour laquelle l’ESSEC a été et reste une institution pionnière. L’apprentissage dans le supérieur est la locomotive de l’apprentissage en général. Il ne faut donc surtout pas opposer le secondaire et l’enseignement supérieur.. De plus le développement de la mixité sociale dans nos écoles a été possible grâce à l’apprentissage. Et cette mixité sociale, nous sommes en train de l’accentuer en ce moment même. Il serait absurde et contradictoire de prendre des mesures contre-productives dans ces domaines.

O. R : Votre premier MOOC, qui sera lancé à la prochaine rentrée, est largement influencé par la pensée d’Edgar Morin. Vous pouvez nous raconter sa genèse ?

J-M. B : Edgar Morin nous a fait l’honneur d’être pour la première fois co-titulaire d’une chaire qui porte son nom.  Il est l’auteur, avec plusieurs professeurs de l’ESSEC, de notre premier MOOC qui sera prêt à la fin de l’année.  Ce MOOC portera sur « l’avenir de la décision » et s’interrogera sur la prise de décision dans des situations complexes. C’est bien dans l’esprit d’une chaire qui se demande comment on peut être à la fois entrepreneur et humaniste, comment l’économie peut être au service de l’homme, autant de sujets qui sont au cœur des valeurs que porte l’ESSEC.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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