Augmentation des droits de scolarité des étudiants étrangers, augmentation de ceux de tous les étudiants scolarisés dans des universités et des grandes écoles publiques préconisée en France par la Cour des comptes, réforme de la taxe d’apprentissage, les questions liées au financement de l’enseignement supérieur sont, plus que jamais, au centre des interrogations. La présidente de la Conférence des grandes écoles (CGE), Anne-Lucie Wack, fait le point.
Olivier Rollot : Le gouvernement vient d’annoncer une augmentation importante des droits de scolarité que devront verser à l’avenir les étudiants étrangers non communautaires : 2 270 euros en licence et 3 770 euros en master et doctorat. Quelle est la position de la CGE à ce sujet ?
Anne-Lucie Wack : Depuis plusieurs années la Conférence des grandes écoles plaide pour une augmentation modérée du montant des droits de scolarité des étudiants internationaux. A trois conditions. La première est qu’une politique de bourses soit organisée et permette une politique différenciée selon les pays. On ne peut pas traiter de la même façon les pays d’Afrique sub-saharienne et autres zones de solidarité prioritaires, et les pays plus favorisés. La deuxième est que cette augmentation s’inscrive dans un modèle économique soutenable des établissements et que les droits de scolarité ne soient pas une variable d’ajustement. Sinon nous risquons une fuite en avant avec des droits de plus en plus élevés. La troisième est qu’il ne faut pas que l’Etat se désengage. L’augmentation des droits ne doit pas remettre en cause la tradition française d’accueil et d’ouverture aux étudiants du monde entier.
O. R : Certains disent qu’un signal prix peu élevé est aussi un signal négatif sur la qualité de nos formations…
A-L. W : C’est un mauvais raccourci et un contre-sens. Notre conviction est qu’il ne faut pas fonder l’attractivité internationale sur un argument de quasi-gratuité, mais avant tout sur la qualité des formations et de l’accueil, et sur la « promesse de valeur » en termes d’employabilité. Des formations avec des droits plus élevés resteront attractives si la qualité est au rendez-vous.
Les Grandes écoles sont aujourd’hui un système très attractif à l’international avec en moyenne 23% d’étudiants internationaux dans leurs effectifs, alors que la moyenne de l’enseignement supérieur grandes écoles et universités confondues est de 13%. Avec 28% d’internationaux en moyenne, ce sont d’ailleurs les écoles de management qui sont les plus attractives, alors que ce sont aussi les plus chères, avec des frais d’inscription annuels de 10 à 15 000 euros. Dans les écoles publiques d’ingénieurs, les tarifs commencent autour de 600 € annuels pour des écoles du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI) jusqu’ici sans différenciation des frais de scolarité pour les étudiants extra-communautaires. Ils ont récemment augmenté jusqu’à 3 500 € pour certaines écoles du MESRI ou de ministères techniques, qui ont commencé en outre à différencier les droits pour les internationaux. Dans tous les cas, on reste sur des niveaux très éloignés des 30 000 à 50 000 $ annuels pratiqués aux Etats-Unis, au MIT, Caltech, Stanford ou Harvard .
O. R : Le plan du gouvernement prévoit également des encouragements au développement de campus des établissements français à l’étranger. Où en sont les Grandes écoles ?
A-L. W : Créer des campus en Europe, en Chine, aux Etats-Unis, au Brésil, en Afrique du Nord ou en Afrique sub-saharienne, et des doubles diplômes très attractifs, fait partie de la stratégie des Grandes écoles à l’international. Les Grandes écoles sont pionnières et ont déjà développé une quarantaine de campus sur quatre continents. Les nouvelles perspectives ouvertes par le gouvernement peuvent renforcer cette dynamique. Nous pourrions notamment être plus présents dans le cadre de campus franco-étrangers, sur les enjeux du développement de formations courtes répondant aux besoins des entreprises, par exemple en Afrique et au Maghreb où cette demande s’exprime.
O. R : Un certain nombre de Grandes écoles publiques demandent à pouvoir augmenter – ou ont déjà augmenté – leurs droits de scolarité pour tous leurs étudiants. Jusqu’où peuvent-elles aller ?
A-L. W : Il faut avant tout qu’il y ait un signal prix cohérent pour les étudiants et les familles. L’enseignement supérieur est un investissement avec un rendement social élevé à l’échelle d’un pays, mais aussi un retour d’ordre privé pour le diplômé. A la sortie des Grande écoles, les chiffres d’insertion sont excellents, alors que les tarifs d’inscription restent modérés. Si l’étudiant investit de l’ordre de 600, 1600 ou 3000 € par an pour suivre un cursus d’ingénieur, il faut qu’il ait conscience que son coût complet est de l’ordre de 15 000 € par an et qu’avec un cursus offrant de bonnes perspectives d’emploi il pourra en tirer bénéfice toute sa vie. C’est important pour l’acceptabilité de l’investissement financier que les droits d’inscription représentent.
Il ne faut pas non plus que les droits d’inscription soient un frein à la poursuite d’études dans le supérieur. Certains établissements ont mis en place des droits plus élevés, Sciences Po ou Paris-Dauphine par exemple, en prévoyant des tranches de droits modulés selon les revenus. La CGE plaide clairement pour ce type de système différencié et redistributif, avec des dispositifs de bourses , d’exonération, et d’ouverture sociale.
Le débat sur les droits d’inscription est souvent faussé par ceux qui choisissent les exemples extrêmes des droits de pays anglo-saxons où ils sont très élevés, ou de gratuité du modèle scandinave sans dire qu’il est hautement sélectif. Entre ces extrêmes il y a un juste positionnement du curseur à trouver pour notre système éducatif.
O. R: Quel serait le montant de droits de scolarité idéal pour les étudiants français en écoles d’ingénieurs ?
A-L. W : Aujourd’hui nous assistons à une grande disparité des montants des droits dans les écoles publiques d’ingénieur, au sein même des écoles sous tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation et des écoles des ministères « techniques ». Le signal donné n’est pas cohérent : être plus ou moins cher ne signifie pas être meilleur ou moins bon !
Passer à une maille de 2500 / 3000 € par an défendue par la CDEFI nous paraît raisonnable avec un système d’exonération, de modulation et de bourses adapté et renforcé, sachant que d’ores et déjà les écoles d’ingénieur publiques comptent plus de 30% de boursiers sur critères sociaux qui sont exonérés des droits d’inscription , et que les étudiants en cursus apprentissage ne paient pas ces droits, et sont salariés.
O. R : Vous n’avez pas peur que l’Etat en profite pour se désinvestir ?
A-L. W : Il ne faut surtout pas que l’État se désengage. Les établissements doivent aujourd’hui trouver des moyens supplémentaires pour faire face à la hausse des effectifs, investir à l’international, et réussir leur transition numérique et pédagogique, mais aussi leur transition sociale. Une hausse des droits suivie d’un désengagement de l’État serait contre-productive !
OR : Les Grandes écoles doivent-elles aussi d’investir dans une « transition sociale » ?
A-L. W : On parle beaucoup des investissements nécessaires pour que les écoles puissent opérer leurs transformations numériques et pédagogiques, mais elles doivent aussi investir pour opérer leur transition sociale. Cela englobe l’enjeu d’ouverture sociale, la sensibilisation aux questions de responsabilité sociétale et de diversité pour des étudiants qui seront en situation de responsabilité demain dans les entreprises, et la meilleure prise en compte des enjeux sociétaux dans nos formations.
Nous sommes d’ailleurs poussés par la quête de sens et l’engagement de nos étudiants, que nous ressentons très fort, avec le dernier épisode en date du « manifeste pour un réveil écologique » des étudiants de grandes écoles, avec déjà 24000 étudiants signataires ! Nous la constatons aussi avec la montée en puissance de l’engagement étudiant favorisé par la loi égalité et citoyenneté de 2017. Et nous la mesurons, avec les baromètres
qui montrent que nous avons aujourd’hui dans nos établissements une génération alpha née dans le digital, avec une culture internationale, qui n’a pas les même aspirations que ses ainés, qui veut des modes de management différents dans les entreprises…
Une génération en quête de sens avec une forte appétence pour l’engagement sociétal et environnemental, l’économie sociale et solidaire, l’entrepreneuriat social, la solidarité internationale. Nous ne pouvons pas ignorer ce mouvement de fond, cette quête de sens est un puissant moteur du changement.
O. R: La réforme de l’apprentissage représente également un enjeu important pour le financement de beaucoup de Grandes écoles. Avez-vous plus de visibilité sur ce qui va être décidé quant au montant de la contribution des branches par contrat ?
A-L. W : Le « coût contrat » reste un point critique de la réforme en cours sur lequel nous n’avons toujours pas de visibilité. Notre crainte est que des écoles qui ont beaucoup investi dans le développement de l’apprentissage – avec un ticket d’entrée très élevé en termes d’organisation administrative et pédagogique – se désengagent si les financements ne sont pas suffisants. Actuellement, en moyenne 15% des diplômés des grandes écoles le sont par la voie de l’apprentissage et nous souhaitons passer à 25%. Nous entendons beaucoup d’écoles privées d’ingénieur ou de management affirmer que l’apprentissage représente un coût pour elles et qu’elles n’ont d’autre choix pour le financer que d’augmenter les frais de scolarité de tous leurs étudiants, ou de sortir de l’apprentissage.
O. R : Comment se fait-il que les établissements d’enseignement supérieur, dans lesquels sont scolarisés plus de 166 000 apprentis sur un total d’un peu plus de 400 000, ne soient pas représentés au sein de son organisme de gestion : France Compétences ?
A-L. W : Aucune des trois conférences, la Conférence des grandes écoles, la Conférence des présidents d’université ni la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs, n’est effectivement représentée alors que nous en avions collégialement fait la demande. Nous espérons cependant être étroitement associés aux décisions.
O. R : Autre sujet d’actualité : les nouveaux « regroupements » d’universités et Grandes écoles qui vont bientôt pouvoir être créés et prendre, là où les établissements le souhaitent, le relais des Comue (communautés d’universités et d’établissements) ou autres organisations. On attend juste la publication d’une ordonnance. Et vous qu’attendez-vous de cette nouvelle forme de coopération ? On se souvient que vous aviez émis des réserves…
A-L. W : Nous voulions que le texte pose les bases d’un dialogue équilibré entre les universités et les Grandes écoles. C’est le cas dans la version actuelle du texte. Les Grandes écoles se veulent constructives mais s’interrogent : les universités vont-elles réellement faire évoluer leur mode de gouvernance pour que les fonctionnement soient compatibles ? La clé est là. Il faut que les futurs regroupements soient agiles et que les Grandes écoles puissent garder ce qui fait leur performance, au bénéfice de l’ensemble. On nous dit que le modèle dominant est celui de grandes universités internationales, mais leur gouvernance est très différente de celle de nos universités françaises. Les Grandes écoles craignent donc d’être noyées dans une gouvernance universitaire inchangée. On voit déjà du côté des écoles internes aux universités que l’autonomie dont elles bénéficient varie beaucoup d’une situation à l’autre.
L’excellente performance des Grandes écoles en termes d’insertion professionnelle est liée à leur autonomie pédagogique et de moyens, et leur proximité avec les acteurs économiques. Nous voulons conserver ces caractéristiques tout en jouant collectif. Les Grandes écoles se définissent comme les PME innovantes de l’enseignement supérieur, et cela n’a rien d’antinomique avec la volonté de construire avec les universités un enseignement supérieur performant et visible à l’international.