Coursera, récemment valorisée à plus d’1 milliard de dollars, est l’un des acteurs majeurs des cours en ligne et des MOOCs. La plateforme compte aujourd’hui plus de 40 millions d’inscrits, 160 universités partenaires et 3500 cours. Jeff Maggioncalda, son directeur général, fait le point sur la stratégie de l’entreprise, l’évolution de son business model et le marché français dans cet entretien en deux parties dont vous lirez la seconde partie le 15 juillet.
- Après avoir fondé et dirigé pendant 18 ans Financial Engines, la plus grande plateforme indépendante de conseil en investissement aux USA, et changé trois fois de business model, Jeff Maggioncalda a pris les commandes de Coursera en tant que CEO en 2017.
Coursera existe maintenant depuis plus de 7 ans. A l’image de la grande majorité des plateformes de MOOCs, son business model a évolué. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Jusqu’à maintenant, l’évolution du business model de Coursera s’analyse comme une évolution progressive et non comme une accumulation de changements radicaux de business model.
Il y a eu plusieurs étapes clés dans l’évolution du modèle d’affaires de la plateforme. La première étape se passe en 2012. Deux professeurs de Stanford, Daphne Koller et Andrew Ng, proposent des cours en ligne ouverts à tous, les MOOCs, avec pour objectif de rendre l’université accessible et gratuite. A l’époque il n’y a pas encore de business model établi. L’objectif est principalement de signer des partenariats avec des universités de prestiges et de proposer un premier catalogue de MOOCs sur la plateforme. Ce modèle de plateforme biface se développe rapidement, car les MOOCs représentent un fantastique coup de pub pour les établissements et une source de savoirs de grande qualité pour les apprenants.
L’étape suivante, c’était de gagner de l’argent pour soutenir le développement de la plateforme. Désormais, les cours sont toujours gratuits, mais si les apprenants veulent un certificat attestant de leurs connaissances, ils doivent payer 39$-99$. C’est le début de la monétisation et du marché B to C.
Coursera s’est également ouvert aux entreprises ces dernières années.
La plateforme s’est ouverte aux partenariats avec les entreprises (IBM, Amazon Web Services ou encore Cisco). Les objectifs étaient alors pour ces organisations de proposer des cours certifiants sur Coursera pour enseigner aux apprenants comment développer sur leurs propres plateformes et ainsi faciliter le recrutement de personnes qualifiées. Aujourd’hui, le plus gros partenaire est Google avec plus de 50 cours proposés.
2014 est l’année de la création des « spécialisations ». Ces programmes rassemblent généralement une série de 4-6 cours d’une université pour enseigner un sujet de pointe, souvent associé à la technologie, aux data science ou au business. L’offre de spécialisations répond à un besoin direct d’employabilité et repose sur un système d’abonnement à 79$ par mois, le temps de compléter la série de cours.
Coursera a ensuite développé ses partenariats avec l’University of Illinois et HEC Paris pour proposer des diplômes de Master. Ces diplômes sont les mêmes que ceux délivrés au sein de l’établissement, ils sont simplement proposés en ligne, sur la plateforme.
2016 marque le lancement de Coursera for Business avec comme premier partenaire, L’Oréal. Les entreprises peuvent désormais proposer des cours à tous leurs employés, de façon mondiale, sur Coursera. La plateforme s’ouvre au marché B to B et devient triface.
Enfin, Coursera a développé des partenariats de recrutement avec les entreprises. Si un apprenant suit avec succès un cours qui est donné par une entreprise à la recherche d’employés, Coursera pourra jouer les intermédiaires.
En conclusion, le business model de Coursera a beaucoup évolué et se base aujourd’hui sur l’aspect tripartite de la plateforme.
Qu’est-ce qu’apportent aujourd’hui les MOOCs aux établissements d’enseignement supérieur ?
Les MOOCs représentent un merveilleux moyen d’attirer des apprenants pour ensuite leur proposer des offres payantes (certifications professionnelles, programmes de spécialisation ou encore diplômes).
Les fournisseurs traditionnels de diplômes en ligne dépensent généralement entre 10 000 $ et 15 000 $ pour recruter un apprenant. En 2018, le coût d’acquisition d’un apprenant sur Coursera était de moins de 2 000$. Ainsi, en baissant ses coûts d’acquisition, Coursera peu baisser drastiquement le prix de ses formations diplômantes.
Qu’en est-il du business model des concurrents de Coursera ?
Les concurrents de Coursera font des choses assez différentes. Par exemple, il y a deux concurrents publics aux USA :
- 2U : cette plateforme fait uniquement des diplômes en ligne pour les USA et ils ne font pas de MOOCs. Ils font juste du B to C et pas de B to B.
- Pluralsight : ils n’ont que des MOOCs B to B et pas de diplômes.
Ensuite il y a Udacity qui fait pratiquement que du B to C en proposant des « Nanodegrees ». Ce sont leurs propres diplômes, ils durent traditionnellement 8 mois et coûtent quelques milliers de dollars.
Udemy quant à lui ressemble beaucoup à Youtube. La plateforme ne travaille qu’avec des individus sur une marketplace d’auteurs. Elle ne propose pas de diplômes et fait du B to B et du B to C.
Avez-vous une stratégie de développement spécifique pour le marché français ?
Le marché français est assez similaire au marché mondial. En revanche, ce qui est spécifique à la France, c’est qu’il y a beaucoup d’écoles de commerce mondialement reconnues et que les apprenants recherchent des cours principalement en français. Ainsi, le portefeuille d’offres de Coursera sur le marché français sera plus orienté vers des cours de business et des cours en français.
Existe-t-il des différences entre les comportements et les attentes des apprenants français et les apprenants d’autres parties du monde ?
Aujourd’hui nous avons un peu plus de 630 000 apprenants français. Le marché de l’enseignement supérieur français est très particulier, car il propose quasi gratuitement un enseignement de grande qualité. Il y a également une politique incitative mise en place par l’état pour former les adultes tout au long de leur vie.
Ainsi, nous ne proposons pas beaucoup de diplômes en français sur Coursera. Notre objectif est plutôt de compléter les compétences acquises à l’université par des cours avant-gardistes sur des sujets de pointe sur lesquels les institutions sont à la traînes (data sciences ou programmation par exemple).
Souhaitez-vous mettre en place des passerelles entre Coursera et Pôle Emploi?
Nous proposons quelque chose d’assez similaire mais qui vient des entreprises. Celles-ci proposent des programmes appelés « professional certificates » ou certificats passerelles qui permettent à des personnes sans diplômes ni expérience de développer leur employabilité en 5 mois. Par exemple, Google propose 5 cours qui donnent l’opportunité à un apprenant de devenir un professionnel des technologies de l’information appelé « Google IT Support professional certificate ».
Ces « professional certificates » sont à but non lucratifs et sont aujourd’hui déployés dans de nombreux community colleges aux USA : l’apprentissage se fait sur Coursera, mais il y a des communautés sur place qui permettent de se retrouver entre apprenants et de répondre aux questions que l’on se pose.
Pour l’instant, nous ne proposons pas ces « professional certificates » en France, mais nous souhaiterions les développer dans un avenir proche.
Coursera a pour vocation de rendre l’enseignement supérieur accessible à tous. Comment faites-vous pour remplir cette mission pour les apprenants des pays émergeants qui n’ont pas toujours accès à un réseau Internet stable et continu ?
L’enjeu clé pour cette population est de s’assurer que les cours sont adaptés aux téléphones portables. En effet, la majorité des apprenants venant de pays émergeants ont accès à internet via leurs téléphones. Ensuite, pour lutter contre le manque d’accès continu à internet, nous permettons aux apprenants de télécharger les vidéos des cours pour ensuite les regarder et répondre aux quizz hors ligne via l’application Coursera.
Quels sont les principaux impacts de Coursera sur le marché de l’enseignement supérieur, en France et dans le monde ?
Le premier élément majeur que propose Coursera est du contenu académique de haut niveau, accessible à tous et gratuit. Le second élément est de proposer des diplômes beaucoup moins chers aux apprenants ayant été admis dans un programme.
Enfin, le troisième élément est une tendance qui est en train de naître et qui va se diffuser dans les années à venir : la frontière entre le monde de l’apprentissage physique et en ligne va être de plus en plus poreuse pour finalement proposer une expérience d’apprentissage complète et phygitale.
Propos recueillis par Juliette Berardi et Olivier Rollot