ECOLE D’INGÉNIEURS, PORTRAIT / ENTRETIENS

« Le plan stratégique de l’ESTP projette l’école dans un futur où le bâtiment doit absolument se décarboner »

Joël Cuny, directeur de l’ESTP

L’ESTP est en plein développement avec l’ouverture de plusieurs campus en France ces dernières années. Elle s’implique dans la décarbonation des bâtiments en lançant des axes de recherche et en formant ses étudiants. Joël Cuny, son directeur, revient avec nous sur la ruche actualité de son école.

Olivier Rollot : Il y a maintenant trois ans que vous avez pris la direction de l’ESTP après en avoir été directeur de la formation pendant deux ans. Quels sont les grands enjeux pour l’ESTP aujourd’hui ?

Joël Cuny : L’ESTP forme aux métiers du bâtiment, de la géomatique, des infrastructures, de l’urbanisme. Notre mission d’intérêt général est de couvrir tous les métiers d’un secteur qui est d’excellence pour la France avec trois des quatre majors européens qui font également partie du top 10 mondial.

Notre plan stratégique 2030 projette l’école dans un futur où le bâtiment doit absolument se décarboner. Les bâtiments représentent aujourd’hui 44 % de l’énergie consommée en France, dont 3,5% pour la seule construction, et nous devons baisser cette consommation de 50% à l’horizon 2050. Pour cela la ville de demain devra émettre moins de CO2, gérer des ilots de fraicheur et être résiliente. Les projets labellisés Qualité Sécurité Environnement (QSE) vont très rapidement représenter 20% du marché.

Le secteur est également porté par la rénovation du patrimoine, qui représentera à court terme la moitié des projets, pour 30% aujourd’hui, dans un contexte de non-artificialisation des sols. La bâtiment doit industrialiser ses processus pour répondre aux besoins de gains de productivité, suivre les cycles de vie des bâtiments comme des infrastructures, etc. Si vous choisissez un métier à impact, nous sommes le secteur à viser.

O. R : L’ESTP en quelques chiffres c’est…

J. C : Nous recevons aujourd’hui 3200 étudiants et diplômons 730 ingénieurs par an ce qui nous place dans le top 10 des écoles. Parmi nos étudiants 30% sont des filles et 8% des apprentis.

Nous avons un impact très fort en étant une école spécialisée qui compte quelques 30 000 alumni. Nous formons également dans architectes ingénieurs avec les écoles d’architecture de La Villette et l’Ecole supérieure d’architecture. Et là la moitié sont des filles.

O. R : 8% d’apprentis c’est très peu !

J. C : 40 apprentis sur 730 étudiants dans les cycles ingénieurs mais la totalité dans nos licences professionnelles. Nous souhaiterions développer des formations sous modèle FISE (formation d’ingénieur initiale sous statut étudiant) de façon à qu’ils aient une année sous statut étudiant suivie de deux années sous statut apprenti. Trois ans d’apprentissage c’est long d’autant que nous tenons à ce qu’ils vivent une mobilité internationale.

Je milite également pour d’autres possibilités : 1 an ½ sous statut étudiant et 1 an ½ sous statut apprenti ce serait idéal pour intégrer les élèves de classes préparatoire aux grandes écoles. Mais cela demande de revoir les contraintes de certification et d’apprentissage pour développer un modèle pédagogique auquel je crois beaucoup pour avoir moi-même dirigé un CFA.

Mais attention ne sommes affectés par la baisse de la prise en charge des coûts contrat, 10% cette année. Nous équilibrons nos comptes aujourd’hui mais demain devrons-nous demander du « reste à charge » aux entreprises qui emploient nos apprentis ? Certains secteurs l’excluent. Mais si demain nos coûts contrat sont inférieurs à nos coûts de scolarité nous ne pourrons pas les financer.

O. R : 30% de femmes parmi vos étudiants. Les femmes ont donc toute leur place dans le bâtiment et les travaux publics ?

J. C : De plus en plus de nos diplômées se destinent même à la conduite de travaux. Elles trouvent leur place dans tous les métiers de management de projets même si le secteur reste très masculin dans les postes d’opérateur. Comme l’explique très bien le Cercle des femmes de l’immobilier il s’agit de concevoir les bâtiments à l’image de ceux et celles qui vont l’habiter.

O. R : L’ESTP a ouvert plusieurs campus en France ces dernières années. Comment identifiez-vous les territoires sur lesquels vous implanter ?

J. C : Toujours dans notre projet 2030 nous avons identifié les besoins des territoires pour créer des offres de formation locales. En 2017 nous nous sommes ainsi implantés à Troyes avec le soutien de Champagne Métropole et du département de l’Aube dans une ville qui est passée de 2000 à 20 000 étudiants en vingt ans.

Une dynamique que nous avons également rencontrée à Dijon en 2019. Avec Dijon Métropole nous voulons participer au projet de Dijon de devenir une ville propre et décarbonée. Nous y réfléchissons aux besoins des usagers pour développer des services dans un projet de smart city.

En 2023 nous nous implantons au cœur d’Orléans dans un bâtiment rénové qui abritera également des départements de l’université. La métropole avait lancé un appel à manifestation d’intérêt et nous nous implantons avec deux autres écoles : l’ISC et Agro ParisTech.

O. R : Comment travaille-t-on pour devenir une école multi-campus, avec la nécessité de délivrer partout le même diplôme dans les mêmes conditions ?

J. C : C’est une transformation complète de l’école qui a une gouvernance unique sur plusieurs campus. C’est le même modèle que l’EPF ou les Arts et Métiers quand les Insa par exemple regroupent plusieurs établissements différents sous la même marque.

Nous délivrons les mêmes diplômes partout tout en identifiant des domaines d’excellence locaux. A Orléans nous allons par exemple développer des jumeaux numériques et l’intelligence artificielle (IA) avec une chaire que nous créons avec Bouygues, Engie, Schneider Electric, le BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières) et les Arts et Métiers.

O. R : La recherche fait désormais partie des priorités de l’ESTP ?

J. C : D’ici 2026 nous entendons multiplier par 2,5 les projets de recherche. Pour cela nous avons ouvert 19 postes d’enseignants-chercheurs alors que nous en comptons déjà 35 aujourd’hui.

Nous voulons ainsi mieux répondre aux besoins des industriels sur leur empreinte écologique. Comment à partir d’enrobés de chaussée recyclés produire de nouvelles chaussées ? Comment rendre les villes résilientes ? Nous allons également créer bientôt une chaire consacrée au génie civil écologique.

De plus projets de recherche de nos étudiants sont essentiellement consacrés à ces sujets.

O. R : Des projets de recherche certes mais poursuivent-ils en doctorat ?

J. C : Rarement et notamment parce que les salaires débutants des ingénieurs sont passés à 42 ou 44 000 € par an. Nous en conservons quelques-uns en thèses Cifre mais la question est plus large, c’est celle de la valorisation du doctorat en France.

O. R : Cette année l’ESTP va fusionner ses quatre titres d’ingénieur. Comment allez-vous procéder.

J. C : L’ESTP compte aujourd’hui quatre diplômes d’ingénieur en bâtiment (génie mécanique et électrique ; topographie ; travaux publics) que nous regroupons pour élargir le champ de la construction avec une approche plus systémique en lien avec les enjeux de transition énergétique et numérique. Notre diplôme unique Programme grande école (PGE) vient d’obtenir l’accréditation de la Commission des titres d’ingénieur (CTI) et sera proposé dès la rentrée 2023 sur l’ensemble des campus de l’ESTP. Ce n’est pas une révolution car il y avait déjà beaucoup d’enseignements communs aux quatre diplômes.

Le nouveau PGE s’articulera autour d’un tronc commun transversal de trois semestres et demi, d’un parcours thématique au choix en 2ème année et d’une option et une orientation professionnelle en 3ème année avec 200 heures d’option et 300 d’expertises. L’objectif est de laisser aux étudiants le temps de découvrir le secteur de la construction dans sa globalité et de mûrir leur projet, pour ensuite personnaliser leur cursus en fonction de leurs objectifs professionnels. Cela marque aussi un élargissement au génie urbain, une ouverture sur le vaste domaine de l’énergie et un renforcement des dimensions numériques, citoyennes et managériales de la formation. Nous souhaitons ainsi former les ingénieurs citoyens qui sauront répondre aux défis de demain en France comme à l’international.

O. R : L’ESTP ne forme pas que des ingénieurs. Parlez-nous de vos bachelors et de vos mastères spécialisés.

J. C : Notre bachelor Conducteur de travaux est même une formation historique de l’ESTP qui a même porté le nom de notre fondateur en 1891, Léon Eyrolles. Nous nous sommes alignés sur le système LMD pour ce premier et en avons créé deux autres. Notre bachelor Sciences et ingénierie – Manager de la construction ouvre cette année à Dijon après Paris. Nous réfléchissons à d’autres créations dans le numérique.

Nous dispensons également huit mastères spécialisés avec cette année la création, de concert avec l’Ecole supérieure du bois, d’un MS Responsable bas carbone de projets de construction et d’un autre Maîtrise d’œuvre en travaux de génie écologique avec Agro ParisTech.

 

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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