ALTERNANCE / FORMATION CONTINUE, POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

Apprentissage : comment réussir un atterrissage en douceur

Le million ! Sous le titre Apprentissage : un bilan des années folles le chercheur associé de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) de Sciences Po, Bruno Coquet, publie une note qui fait le point sur le développement récent de l’apprentissage, ses tenants et aboutissants. Alors que l’objectif gouvernemental du million d’apprentis apparait tout proche – 837 000 nouveaux contrats ont été conclus et 970 000 apprentis étaient en cours de formation en fin d’année 2022 – le chercheur s’interroge sur les conditions d’atterrissage de l’apprentissage au regard de son coût : « Cette politique est profondément addictive car elle profite à tous les acteurs du dispositif : les apprentis qui perçoivent un revenu exonéré d’impôts et de cotisations sociales, assorti de droits analogues à ceux d’un emploi de droit commun ; les employeurs qui bénéficient d’une subvention à l’emploi sans équivalent ; les CFA dont le nombre a été multiplié par 4, avec une forte croissance de leur chiffre d’affaire et des effectifs ; le gouvernement qui peut afficher des succès sur plusieurs fronts : apprentissage, emploi, chômage – notamment pour les jeunes. » CQFD…

Une croissance exponentielle. On le sait l’ascension de l’apprentissage ces dernières années est spectaculaire : alors que 367 000 nouveaux contrats d’apprentissage avaient été conclus en 2019 on passe à 532 000 nouveaux contrats en 2020, 736 000 en 2021 et 837 000 en 2022. Même si cette hausse est en partie obtenue aux dépens des contrats de professionnalisation – 131 000 de moins depuis 2018 – elle est au global très nette. Surtout la progression est particulièrement nette dans l’enseignement supérieur qui représente, depuis 2020, la majorité des contrats.

 

Le coup de boost de l’aide exceptionnelle à l’apprentissage. Si la réforme de 2018 avait déjà eu des effets positifs sur le développement de l’apprentissage le véritable démarrage date de juillet 2020 quand, afin « protéger les jeunes des conséquences économiques de la crise sanitaire » dont « ils sont les premières victimes », une aide exceptionnelle à l’apprentissage est créée dans le cadre du Plan de relance. Une aide qui couvre 100 % du salaire d’un apprenti de moins de 21 ans, 80 % entre 21 à 25 ans révolus et près de 45 % du salaire à partir de 26 ans.

Quel rôle jouent les aides aux entreprises dans cet essor ? Si les acteurs de l’enseignement supérieur en minorent pour la plupart le rôle – « 81% des entreprises faisant appel à ce type de contrat actuellement y avaient recours déjà à l’alternance il y a plus de deux ans » écrit l’Observatoire de l’alternance – l’étude d’Ofce estime au contraire que si la réforme de 2018 aurait contribué à hauteur de 20 % à cette hausse (+80 000) « l’aide exceptionnelle est à l’origine de l’essentiel des embauches d’apprentis (+460 000) ».

La nouvelle « aide unique ». En 2023 fusionnent « l’aide exceptionnelle » et « l’aide unique ». Plafonnée à 6 000 € sur un an, contre 4 125 € dans sa version initiale, la nouvelle aide unique a en fait fortement diminué en termes réels par rapport à 2019 (le SMIC a augmenté de 14,6 % entre le 1er janvier 2019 et le 1er mai 2023).

Combien ça coute? Les chiffres sont pour le moins flous : en 2021 d’un côté le ministère du Travail estime à 11,1 Md€ « la dépense nationale pour l’apprentissage », de l’autre France Compétences écrit que « la France a consacré 21,6 Md€ au

financement de l’apprentissage » cette même année. Mettant en doute la qualité du chiffrage de France Compétences l’étude de l’OFCE aboutit quant à elle à un coût budgétaire de l’ordre de 16 Md€ en 2021 et 20 Md€ en 2022. Dans ce cadre le coût de l’aide exceptionnelle serait de près de 7,9 Md€ en 2022. Et ce n’est pas fini : si on considère que ces apprentis pourront partir 6 trimestres plus tôt en retraite que s’ils avaient seulement suivi leur cursus, le coût induit en termes de pensions serait de l’ordre de 12,1 Md€ par an.

Et maintenant ? « L’État tente de réduire discrètement l’aide tout en veillant à préserver les moyens nécessaires pour décrocher le million d’entrées promis par le Président », note le chercheur de l’OFCE qui propose quelques pistes pour réduire les dépenses qui vont d’une redéfinition du spectre de l’aide unique à celle des coûts contrat – notamment en les liant plus étroitement à des critères d’intérêt général – tout en considérant que « si les établissements d’enseignement supérieur sont insuffisamment financés, il est préférable d’inscrire des moyens appropriés au budget de l’enseignement supérieur, et non à celui du Travail au motif inapproprié de l’insertion dans l’emploi ». Pas très rassurant pour l’enseignement supérieur qui s’interroge sur la pérennité du système d’aide aux entreprises au-delà de la fin du quinquennat d’Emmanuel Macron.

 

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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