La plus renommée des grandes écoles est en pleine rénovation, qu’il s’agisse de sa pédagogie ou de sa gouvernance. Sa présidente, Marion Guillou, et son directeur général, Yves Demay, expliquent comment ils font avancer l’X dans un contexte de plus en plus international.
Olivier Rollot : Vous avez entamé toute une série de réformes de l’École polytechnique, tant dans sa pédagogie que dans sa gouvernance. Pourquoi ces évolutions aujourd’hui ?
Marion Guillou : Nous avons mené un travail de fond depuis 2010 dans trois directions : comment l’école peut être un outil de co-construction du Campus Paris Saclay, comment elle doit jouer son rôle d’école républicaine et comment enfin adapter le campus pour lui donner une meilleure attractivité. Le tout a été synthétisé dans le contrat d’objectifs et de performances 2012-2016 que nous avons signé avec notre Ministère de tutelle, le Ministère de la Défense.
Olivier Rollot : L’intégration de l’École polytechnique dans Paris Saclay semble au cœur de vos évolutions. Où en sont vos rapports avec l’ensemble des acteurs d’un campus qui doit porter 20% de la recherche française à l’horizon 2020 ?
M. G : Cela n’a pas été un long fleuve tranquille mais avec toujours la volonté d’être un des moteurs de cet extraordinaire projet. Aujourd’hui beaucoup a été fait collectivement pour construire des dynamiques scientifiques,mutualiser,bâtir des projets d’innovation :avec, par exemple, un double diplôme Polytechnique-Université Paris-Sud ou avec HEC. L’Ensta ParisTech s’est installée sur le campus de l’Ecole, demain ce sera le cas du centre de formation et de recherche d’EDF. Bientôt nous allons ouvrir un centre de recherche en économie avec l’Ensae ParisTech et HEC alors que l’arrivée d’Agro ParisTech doit permettre de créer un grand pôle dans l’environnement.
O.R : Yves Demay, votre profil dénote avec un peu avec celui de vos prédécesseurs. Certes vous êtes général, les statuts de Polytechnique l’obligent à votre poste, mais de l’armement. Surtout vous avez dirigé une autre école d’ingénieurs, l’Ensta, avant de venir à Polytechnique. Vous a-t-on d’abord choisi parce qu’il fallait un bon pilote de l’enseignement supérieur pour réussir l’intégration de Polytechnique dans le Campus Paris Saclay ?
Yves Demay : Dans le cadre de la phase de transformation de l’école comme dans la montée en puissance du Campus Paris Saclay il n’était sans doute pas absurde de prendre un profil qui ait la connaissance du fonctionnement d’un établissement public. Dans Paris-Saclay nous voulons trouver une formule de coopération avec les autres acteurs qui nous permette d’être tous plus efficaces sans disparaître. Nous montons déjà un collège doctoral unique qui permettra aux scientifiques de chaque discipline, dans chaque école ou université, de travailler ensemble. C’est déjà un profond changement. Ensuite, il faudra commencer à mieux structurer les masters pour éviter d’en avoir deux qui se ressemblent trop dans deux établissements partenaires.
À terme Paris Saclay aura une structure vers laquelle sera transférée la propriété intellectuelle des laboratoires, et notamment des unités mixtes de recherche que nous avons par exemple avec le CNRS. Nous devrons aussi être capables de guider les PME pour qu’elles sachent pourquoi elles peuvent s’adresser à tel ou tel laboratoire.
O. R : Qu’attendez-vous de ce nouveau campus ?
M. G : Comme l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne, Stanford ou Cambridge, il doit répondre à une double équation : être un campus innovant et dense en activités tout en gardant les équipements sportifs et les espaces verts qui contribuent à l’attractivité du site. De plus il doit attirer des entreprises dans un esprit d’innovation. Sans oublier la question des transports qui reste essentielle dans la réussite du projet de Paris-Saclay.
O.R : Donc tout va bien aujourd’hui entre Paris Saclay et l’École polytechnique ?
Y. D : J’ai vraiment l’impression que nous partageons une même vision avec tous les acteurs du projet et qu’il n’y a pas aujourd’hui de gros problème caché. Évidemment il reste la question des transports. Même si nous ne sommes pas trop mal desservis ici nous sommes solidaires de tous ceux qui demandent la construction du Transport automatique léger qui devrait relier Massy à Saclay et, encore mieux, Orly à Saclay.
M. G : Polytechnique est petite numériquement mais son modèle irrigue tout le site. Il fallait résoudre les tensions entre notre modèle et son ouverture au collectif. C’est ce que nous avons construit. Je pense que la nouvelle loi à venir sur l’enseignement supérieur et la recherche va respecter cette volonté d’agir ensemble tout autant que les entités qui composent Paris Saclay.
O.R : Un nouveau président va bientôt être nommé à la tête de l’École polytechnique. Avec un rôle plus exécutif. Comment l’école va-t-elle être dirigée ?
M. G : Mon successeur s’inscrira effectivement dans le cadre d’une présidence exécutive et sera présent en permanence dans l’école, quand j’assumais pour ma part d’abord la présidence de l’Inra jusqu’en 2012. Ce sera un renforcement de poids pour mieux piloter l’établissement et le développer à l’international et auprès des entreprises. Sur le modèle de l’EPFL ou de Caltech le président délèguera ses pouvoirs à un directeur général, ce qui lui permettra par exemple de se concentrer sur un de nos objectifs qui est de passer de 20 à 30% d’autofinancement de l’école d’ici à 2013.
Y. D : Les statuts disent «le président préside, le directeur général dirige» et il y a aujourd’hui beaucoup à faire, notamment pour mieux représenter l’école à l’extérieur. Nous devrions être plus présents dans les cercles d’influence comme la Conférence des Grandes écoles. Nous souhaitons être également plus présents à l’international. Nous devons aussi trouver des sources de financement alternatives pour l’école.
O.R : Vous allez développer la formation continue?
Y. D : La formation continue est un domaine dans lequel nous sommes aujourd’hui très peu développés et nous voulons nous y affirmer. Nous lançons déjà un programme avec Stanford et pensons à différents autres qui seront soit scientifiques, soit d’ouverture au business pour les scientifiques.
O.R : Vous parlez « business » mais quand on pense à Polytechnique, on ne pense pas forcément tout de suite à une école ouverte sur l’entreprise.
Y. D : Mais nous tenons pourtant beaucoup à nos liens avec l’entreprise. Nous avons un grand nombre de chaires et nos étudiants créent de plus en plus d’entreprises. Pour le moment nous n’avons qu’un petit incubateur mais nous comptons aussi sur celui de Paris Saclay pour aller plus loin. Nous avons également des formations à l’entrepreneuriat avec HEC ou en propre. Mais nous voudrions que l’envie d’entreprendre ne soit pas qu’une question de spécialiste. Tous nos élèves devraient se sentir stimulés par la création d’entreprise et nous allons travailler la pédagogie dans ce sens pour donner une place plus large aux projets et aux initiatives.
O.R : Parmi vos sources de financement il y a les dons des anciens. Et là vous avez de la chance : il sont plutôt généreux.
M. G : Menée par Claude Bébéar, le président du conseil de surveillance d’Axa, la dernière levée de fonds de la Fondation de l’École polytechnique a apporté 35 millions d’euros récoltés auprès des particuliers. Dans le contexte français c’est excellent mais, si on nous compare avec les grands pays universitaires, on voit que le don à son ancien établissement n’est pas encore totalement entré dans les mœurs. Ce sont d’ailleurs les polytechniciens qui ont travaillé ou travaillent à l’étranger qui donnent le plus natyrellement. Cette levée de fonds va en tout cas permettre de financer un tiers du coût de nos nouveaux laboratoires de biologie aux interfaces qui ouvriront en 2015 , de proposer des bourses d’études ou d’accompagner des lycéens de ZEP par exemple.
Y. D : Entre autres grâce à la Fondation, nous allons pouvoir ouvrir de nouvelles spécialités à l’interface de la biologie et d’autres domaines. Ce sont des champs de développement tellement importants que nous pensons à terme rendre l’enseignement de la biologie obligatoire dans le cursus.
O.R : L’École polytechnique est membre de Paris-Saclay mais aussi de ParisTech, un pôle de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) qui a eu de grandes ambitions à ses débuts et semble les avoir quelque peu abandonnées ?
Y. D : ParisTech n’a plus la grande ambition fusionnelle qu’il a pu avoir mais, en même temps, nous permet d’avancer sur beaucoup de dossiers. Qu’il s’agisse de questions de pédagogie ou de proposer des projets aux entreprises. Nous avons également travaillé avec trois autres écoles de ParisTech (les Mines ParisTech, Télécom ParisTech et l’Ensta ParisTech) à la création d’une formation d’ingénieurs en Chine, à Shangaï, avec l’université Jiao Tong, qui a ouvert en septembre dernier.
O.R : Sur le même modèle que l’Ecole Centrale à Pékin ?
Y. D : Non car là il n’y a pratiquement aucun financement français, tout est pris en charge par nos partenaires chinois. Dans le détail la formation dure six ans dont les trois premiers pour apprendre le français et faire une , puis trois années pour une formation d’ingénieurs « à la française ». Il y a des enseignants de mathématiques et de physique qui sont de manière permanente à Shanghai pour cette école,e t des enseignants qui viendront , de nos écoles, pour la formation « ingénieur ». Il devrait y avoir 100 étudiants chinois par an, et ils viendront tous passer au moins 3 mois en France. Cela nous permettra également d’ouvrir une plate-forme dans l’une des trois ou quatre meilleures universités chinoises pour y envoyer ensuite nos étudiants.
O.R : L’international est aujourd’hui une priorité dans vos développements ?
M. G : A partir de la rentrée 2013, un séjour à l’international sera obligatoire pour tous les élèves (aujourd’hui c’est le cas de 85% d’entre eux). Trois à neuf mois à l’étranger , un stage en entreprise, un stage de recherche seront inscrits dans le cursus rénové sur quatre ans.
Y. D : Nous sommes aujourd’hui, je crois, le seul établissement d’enseignement supérieur dans le monde à avoir un accord de double diplôme avec Caltech. La première implantation dont je viens de parler en Chine sera suivie de deux autres auxquelles nous réfléchissons encore. Nous voulons aussi que nos étudiants réfléchissent plus aux opportunités qu’il y a à aller en Asie, en Chine mais aussi en Inde ou au Brésil, dans tous ces pays à forte croissance. L’international est une réalité que nous allons beaucoup amplifier.
O.R : Quand on évoque son modèle pédagogique, on pense plutôt à Polytechnique comme à une école modèle « top down » où le savoir descend du haut de l’estrade. Cela va changer ?
M. G : Dans le cursus rénové , mis en place à partir de la rentrée prochaine , nous développerons les travaux par équipe et en mode projet. Cela nous oblige à changer radicalement de modèle de recrutement qui était jusqu’ici largement fondé sur des enseignants à temps partiel. Pour encadrer les projets et animer ce renouveau pédagogique le nombre de professeurs à temps plein va passer de 82 à 110 en 2016. Nous avions au cours des années récentes déjà développé la pratique de la recherche et l’option entrepreneuriat et création d’entreprises ; et nous allons mettre plus l’accent sur les projets en entreprise.
Y. D : Nous avons décidé d’enlever un mois à la formation « humaine et militaire » de première année. Cela dégage du temps pour le reste de la formation, ce qui va permettre à nos étudiants d’avoir plus de temps pour décompresser, prendre du recul et développer leur esprit critique. Nous ne voulons plus leur dire tout le temps ce qu’ils doivent penser. Les cours en amphithéâtres peuvent aussi évoluer si l’étudiant travaille le sujet traité avant d’y assister. Et puisque nous changeons beaucoup de choses, ce ne sont plus les élèves de deuxième année qui vont défiler le 14 juillet mais ceux de première année. Cela les empêchait en effet de partir faire leur stage en entreprise avant la date du défilé.
O.R : Comment définiriez-vous votre modèle d’enseignement ?
Y. D : Ce que nous apportons à nos élèves c’est une formation à la fois pluridisciplinaire et solide dans toutes les disciplines. Récemment nos élèves ont fini troisième lors d’un concours international de physique organisé par l’EPFL face à des étudiants de toute l’Europe dont c’est la seule spécialité. Nous pensons que notre modèle de formation est nécessaire pour répondre aux défis de de la société de demain. Nous formons des ingénieurs capables d’avoir une vision d’ensemble tout en étant capables de comprendre des experts.
O.R : Et qu’en est-il de vos racines militaires ?
Y. D : Nos élèves tiennent non seulement beaucoup au défilé du 14 juillet mais aussi à toute la formation humaine et militaire que nous leur donnons et dont ils reviennent muris. Ce lien avec la défense imprègne l’état d’esprit de toute l’école avec un encadrement militaire qui joue un vrai rôle dans l’évaluation et a une vraie expérience du leadership dont bénéficient les élèves. Pour la plupart nos élèves ont un vrai souci de l’intérêt collectif et une vraie éthique dans leur comportement.
O.R : On reproche souvent aux grandes écoles de ne pas accorder assez de places aux étudiants issus des catégories sociales peu favorisées. Où en est l’École polytechnique ?
M. G : Nous avons déjà beaucoup progressé depuis quatre ans mais le pourcentage de boursiers admis est aujourd’hui encore un peu bas à 17% alors que notre objectif est d’atteindre 30%. Le problème est que la diversité sociale est de fait insuffisante dans les classes de terminale S au sein desquelles nous recrutons. Il faut donc conduire des actions en amont, dès le lycée. L’institut Villebon Georges-Charpak a été créé à cet effet. Par ailleurs, dans le cadre du programme « Une grande école pourquoi pas moi », nos étudiants aident chaque année plusieurs milliers d’ élèves issus de milieux éloignés des études à réussir. Avec d’excellents résultats : tous les élèves suivis poursuivent un cursus dans l’enseignement supérieur.
Y. D : Nous avons regardé si le concours introduisait un biais qui interdise la diversité et nous avons constaté qu’à l’écrit le plus grand écart entre boursiers et non boursiers se retrouvait en mathématiques. Mais on ne peut pas les supprimer ! Par ailleurs, nous soupçonnons une autocensure chez des jeunes de bonne qualité qui n’osent pas s’exiler à Paris et vont dans des classes prépas qui ne pensent pas pouvoir ouvrir les portes de Polytechnique.
O.R : Les écoles d’ingénieurs peinent pour la plupart à attirer des filles. Là aussi où en êtes-vous ?
M. G : En progrès puisque nous sommes passés de 20% de filles en 2009 à 27% aujourd’hui. Là , il y a beaucoup d’autocensure chez les jeunes filles qui n’ont pas une image positive des métiers d’ingénieurs au lycée. Avec le soutien de femmes ingénieurs qui ont réussi des carrières diverses mais passionnantes, nous voulons toucher les lycées pour montrer aux filles qu’ingénieur c’est un métier pour les femmes ; et pas seulement dans la biologie qui est aujourd’hui le domaine de l’ingénierie qui les attire le plus. Une autre action à mener concerne les classes préparatoires : il manque aujourd’hui beaucoup de places en internat pour les filles. Il y a là une vraie discrimination car beaucoup de filles n’habitant pas dans les métropoles n’osent pas aller en classes prépas faute de place en internat.
O.R : Votre recrutement se fait quasi exclusivement en prépas et même dans seulement quelques prépas qui accaparent toutes vos places ou presque. N’est-ce pas gênant de ne recruter toujours que dans les mêmes quelques grands lycées ?
Y. D : Je félicite ces lycées mais je tiens aussi à ce que nous nous ouvrions à une plus grande diversité. Nous allons donc aller dans les classes prépas moins « ambitieuses » pour leur dire que tout est possible. Et réaliser beaucoup d’autres actes simples pour favoriser l’ambition de tous, qu’il s’agisse de prévenir plus longtemps à l’avance les admissibles que nous les attendons ici pour les oraux, de les héberger sur le site ou de veiller régulièrement à renouveler nos examinateurs pour que les prépas soient plus surprises par les sujets que nous proposons. C’est important que toutes les prépas soient au même niveau et nous allons aussi rendre plus facilement accessibles en ligne les annales des concours.
O.R : Au-delà des élèves de prépas, pensez-vous vous ouvrir plus largement à d’autres publics dans les années à venir ?
Y. D : Sur les 400 étudiants français que nous recevons, dix-huit sont aujourd’hui issus de l’université. Nous avons pour objectif de monter à trente mais nous ne voulons pas nous retrouver avec des étudiants pour lesquels on mettrait la barre trop haut. Ce n’est pas humainement raisonnable d’imposer le rythme des études de Polytechnique à des étudiants auxquels il manque un certain nombre d’enseignements ! Il ne faut pas non plus opposer grandes écoles et universités : il faut favoriser des parcours qui respirent entre les deux. Notre dernier major de promotion est issu de l’université. Il a commencé par un cursus de mathématiques et va sans doute embrayer sur un doctorat après un passage chez nous qui lui aura permis d’obtenir en plus notre diplôme d’ingénieur.
O.R : Après trois années dans l’école tous vos élèves passent un an dans un autre établissement, ce qu’on appelait une « école d’application » avant que le monde de l’enseignement supérieur s’ouvre sur le monde. C’est un fonctionnement assez original, va-t-il changer?
Y. D : Beaucoup oublient que le cursus à Polytechnique dure quatre ans et qu’en quatrième année les élèves peuvent choisir entre plusieurs centaines de possibilités de cursus un peu partout dans le monde.
M. G : Revenons un peu en arrière : en 2000 Pierre Faurre, qui fut l’un de mes prédécesseurs, a voulu généraliser une quatrième année d’études pour tous les élèves alors que, jusque-là, certains se contentaient de leur diplôme d’ingénieur de Polytechnique. Et comme il fallait le faire à coûts constants, l’Ecole a délégué la maîtrise pédagogique de cette année à des établissements partenaires. Aujourd’hui nous voulons repenser la formation de l’ingénieur polytechnicien sur quatre ans en liaison avec nos partenaires stratégiques.
O.R : Quatre ans d’études pour un diplôme d’ingénieur après une prépa, là aussi c’est unique en France, même si beaucoup d’autres écoles aimeraient faire comme vous.
M. G : Il faut aussi prendre en compte le fait que le cursus de Polytechnique est très spécifique, notamment avec un stage de formation humaine et militaire de sept mois aujourd’hui..Ensuite, le temps est compté pour un tronc commun multidisciplinaire,une formation à la culture générale , des projets de recherche , des stages en entreprise et à l’international .
O.R : Comment allez-vous au juste vous réapproprier cette quatrième année ?
M. G : Il s’agit de proposer un cursus finissant par des spécialisations dispensées le plus souvent en partenariat et l’encadrement de l’Ecole travaille sur ce renouveau. Si un étudiant veut se spécialiser dans l’aéronautique, il ira à l’Isae, dans le numérique à Télécom ParisTech, etc. A l’étranger nous nouerons des accords privilégiés, par exemple avec Columbia, Caltech ou Jiao Tong pour y envoyer nos étudiants et, inversement, recevoir les leurs.
O.R : Que deviennent vos étudiants une fois diplômés? On leur reproche souvent de plus s’intéresser à la finance qu’à leur métier d’ingénieur.
M. G : Les chiffres sont pourtant parlants : après leur diplôme selon la dernière enquête emploi , 28% ont poursuivi en doctorat, 23% dans l’industrie, 25% dans les grands corps de l’État et les autres dans tous types d’entreprise. On est loin d’une légende qui voudrait qu’ils ne s’intéressent qu’à la finance.
O.R : C’est un sujet récurrent : qu’allez-vous faire de la «pantoufle», ce système qui implique normalement que les étudiants remboursent ce que l’école leur a donné s’ils ne travaillent pas pour l’État une fois diplômés ?
Y. D : Tout le monde considère que le système actuel, des étudiants rémunérés un peu moins de 900 euros par mois qui peuvent partir travailler où ils le souhaitent une fois diplômés, n’est pas défendable. À partir de la prochaine promotion les élèves qui ne suivront pas notre mission, c’est-à-dire fournir des professionnels pour l’économie au service de l’État et des entreprises publiques, devront rembourser un montant équivalent aux salaires qu’ils ont touchés dans l’école. C’est équitable et cela les met dans les mêmes conditions que n’importe quel autre élève ingénieur, tout en garantissant qu’aucun élève ne peut être empêché de faire ses études pour un motif financier. En fait, l’État fait un prêt remboursable avec un petit différé. Avec quelques exceptions : ceux qui suivent un doctorat ou les boursiers qui n’ont évidemment pas pu toucher leurs bourses.
O. R : On en a beaucoup parlé : vous êtes la première institution d’enseignement supérieur française à mettre des cours en ligne gratuitement sur la plate-forme américaine de MOOC (massively open online courses, ces cours gratuits et en accès libre) Coursera. Des projets français vont peut-être voir le jour. Pourquoi avoir choisi l’Américain Coursera ?
Yves Demay : Nous avons choisi une plate-forme existante parce que nous avons la conviction que les méthodes pédagogiques vont évoluer et qu’il y avait beaucoup à apprendre pour nous sur la façon de délivrer des cours à distance comme sur les cours mixtes (distance et présentiel). Enseigner à distance ce n’est pas seulement filmer un enseignant, c’est aussi posséder des capacités de conception graphique pour bien faire comprendre le message. Pour autant, nous travaillons également sur les projets des deux entités dont nous sommes membres : ParisTech et Paris Saclay. Dans ce dernier, Polytechnique pourrait même être leader sur le développement des MOOC.
O.R : Les MOOC vont-ils vraiment révolutionner l’enseignement supérieur ?
Y. D : Le développement des MOOC peut à terme provoquer un changement de modèle de l’enseignement avec, déjà aujourd’hui, l’embryon d’un modèle à la Google qui pourrait s’imposer comme un standard mondial. Pour autant, le modèle économique reste encore à définir et il va falloir encore beaucoup innover pour le trouver.
O.R : Comment va fonctionner ce premier MOOC français sur Coursera ?
Y. D : De septembre à décembre 2013 nous mettrons en ligne trois cours de haut niveau – en français ! – en mathématiques, mathématiques appliquées et informatique (le premier sera par exemple consacré à la « conception et mise en œuvre d’algorithmes »). ll faut absolument publier des MOOC en français. Ne serait-ce que parce qu’on aurait vraiment tort de négliger le bassin francophone, et en particulier l’Afrique, où les MOOC constituent une vraie opportunité de développement.
O.R : Un dernier sujet. Que pensez-vous des classements des universités, dans lesquels vous oscillez d’ailleurs énormément selon les critères pris en compte ?
M. G : Il ne faut pas se voiler la face : aujourd’hui les étudiants internationaux qui choisissent de partir de leur pays pour étudier regardent ces classements. Aussi,nous ne pouvons pas les négliger . Mais certains ont plus de sens pour un établissement de formation supérieure tel que le nôtre . Celui dit de Shangaï donne un poids important à la taille de l’établissement et au nombre de ses prix Nobel. Celui du Times Higher Education, qui mesure aussi par exemple ce que deviennent les étudiants, me paraît nettement plus pertinent pour nous évaluer.