ACCRÉDITATIONS / LABELS, ECOLES DE MANAGEMENT

Les secrets d’une bonne fusion entre écoles de management: entretien avec Bruno Dufour

Longtemps directeur général de l’EM Lyon, celui qui fut également l’un des fondateurs de l’organisme d’accréditation européen Equis de l’EFMD conseille depuis maintenant plus de quinze ans les grandes écoles de management françaises et européennes et les grandes entreprises en matière d’Executive Education. A l’heure des fusions en série, il jette un regard sans complaisance sur un univers qui se cherche un nouveau souffle.

Olivier Rollot : Les fusions entre écoles de management se sont multipliées ces dernières années. Quel regard jetez-vous sur elles?

Bruno Dufour : Une fusion réussie c’est une fusion pour laquelle on a pris son temps. Rapprocher deux écoles c’est comme rapprocher deux ordres monastiques : il y a beaucoup d’états d’âme et il faut de la confiance et du temps. Cela ne fonctionne que dans un processus « bottom up » : c’est la base qui construit les rapprochements. L’impulsion venue seulement du haut ne marche pas. Il faut créer des projets communs qui s’appuient sur les expertises des institutions, de toute façon il y a peu de synergies de moyens. Enfin, il faut construire une nouvelle gouvernance afin d’éviter un combat de chefs préalable qui découragerait l’institution perdante.

 

O.R : Où est-ce que toutes ces bonnes pratiques ont été respectées ?

B. D : HEC Liège et la faculté de gestion de l’université de Liège ont fusionné après cinq ans de fiançailles et tous les arbitrages nécessaires. A ce moment leurs deux dirigeants se sont retirés et un nouveau, Thomas Froelicher, a pris la suite. Même fusion réussie en France entre l’IECS et l’IAE de Strasbourg pour fonder l’EM Strasbourg. Certes elles appartenaient toutes deux à l’université Robert-Schuman mais il a quand même fallu dix-huit mois de travail en «concourrance» sur les thèmes importants (recherche, relations entreprises, international, etc.) pour faire aboutir le dossier sous la responsabilité d’un comité de pilotage qui se réunissait régulièrement. L’EM Strasbourg est remontée vite dans les classements et est devenue une institution qui a réussi rapidement l’accréditation Epas et en vise d’autres.

Mais ce type de rapprochement n’est sans doute pas reproductible sous cette forme. Écoles et IAE sont  cependant complémentaires et auraient souvent intérêt à se rapprocher. Une dernière fusion à laquelle j’ai été indirectement associé, celle entre Rouen BS et Reims MS, est désormais officielle. Avant de se rapprocher concrètement un projet commun a été mis en place sur un campus commun à Paris destiné à l’executive education, le Paris Executive Campus, qui est aujourd’hui un succès.

 

O.R : Vous nous dites comment il faut se rapprocher mais pourquoi se rapprocher?

B. D : Derrière ces rapprochements il y a souvent le risque de perdre une accréditation Equis. Avec Gordon Shenton et d’autres, j’ai été à la base de la fondation d’Equis à l’EFMD. À l’époque nous pensions qu’une vingtaine d’institutions en Europe pourraient l’obtenir. En réalité Equis a été plus accueillant au départ. Avec le temps la procédure s’est précisée et les auditeurs se sont qualifiés. Elle est désormais plus exigeante. Certaines écoles peuvent craindre de perdre cette accréditation, comme cela s’est déjà produit et notamment en France et ailleurs.  C’est une motivation pour certains rapprochements, qui pensent que la taille est un facteur dominant.

O.R : Vous avez évoqué les fusions qui fonctionnent bien. À contrario quelles sont celles qui vous semblent risquées?

B. D : Rouen BS et Reims MS sont des écoles relativement proches, quasiment parisiennes, avec un corps professoral voisin en taille et complémentaire. Leur rapprochement est naturel. Un moment l’ESC Lille aurait pu en faire partie également. Les rapprochements entre des entités lointaines sont beaucoup plus risqués. Elles se résument parfois à une forme d’absorption par un «acteur dominant» qui prend la main sur le projet. Le grand danger est alors d’aller trop vite et de vouloir copier les fusions d’entreprise. Rappelons que 75% des fusions d’entreprise ne produisent pas les effets escomptés, les éléments liés à la culture propre de chaque organisation et à ses valeurs étant sous-estimés. Dans le cas de fusion distante d’écoles la dimension de l’ancrage territorial s’estompe, et on ne voit pas pourquoi les CCI maintiendraient  leur soutien financier.

O.R : Vous ne croyez pas à l’effet de taille que permettent ces fusions?

B. D : La stratégie du «big is beautiful» est une stratégie d’universités publiques, pas d’écoles de commerce. La chaîne de la valeur d’une école se construit à partir d’une identité différenciée fondée sur des expertises distinctes souvent issues de l’environnement. Dans la fusion entre l’ESC Lille et le Ceram, qui a donné naissance à Skema, les expertises de l’ESC Lille se sont estompées. L’ESC Lille venait de renouveler son Equis et s’était déjà depuis longtemps rapprochée de Lille 2 et bénéficiait de la contribution recherche de cette université. Ceci est moins apparent aujourd’hui.

La taille apporte peu. Le principe du développement de campus à l’étranger présente un coût élevé et n’empêche pas qu’une collectivité d’étudiants français  se comporte à l’étranger comme en France. Il n’y a pas un véritable processus d’intégration aux valeurs et pratiques locales, sinon à la marge. Pour que cela soit véritablement bénéfique pour l’étudiant et l’institution il faut  échanger des petits nombres (3 ou 4 maximum par institution). L’expérience l’a démontré à de multiples reprises.

Quant à France Business School, le nombre de site augmente le risque. Les coûts de coordination et de transaction croissent plus que proportionnellement avec le nombre et l’éloignement. Il y a un réel danger d’attrition des institutions les plus fragiles. Le marché des enseignants de gestion est favorable à ces derniers et  s’ils sont qualifiés ils peuvent aisément retrouver un poste ailleurs. L’ancrage territorial est une dimension fondatrice des écoles. Le rapport de la Cour des Comptes le souligne.

O.R : Comment définiriez-vous un modèle réussi d’école de management?

B. D : Les écoles de management doivent :

1/ avoir un ancrage territorial fort ;

2/ développer des expertises donnant naissance à des axes de recherche et à des programmes, y compris en Executive Education ;

3/ le faire dans un environnement régional favorable, qui les soutient et s’en nourrit ;

4 / avec une gouvernance de qualité et une tutelle appropriée.

Ces quatre conditions prennent du temps à se formaliser. Il faut des années pour développer  un axe de recherche reconnu, et encore des années avant que celui-ci donne naissance à des publications, des programmes et des actions de formation appréciées. Ce qui apparaît aujourd’hui dans les meilleures écoles a souvent été mis en place il y a dix ans ou plus.

O.R : Concernant la question de la gouvernance, comment la tutelle doit-elle gérer son école?

B. D : Il faut qu’elle lui accorde une relative autonomie de gestion. Mais tout dépend des chambres de commerce et d’industrie. À Nantes, Lyon ou Grenoble, les écoles bénéficient d’une grande autonomie. À Lille aussi bien que le soutien des CCI soit très modeste. Si le modèle que promeut HEC, la «société à but académique», l’emporte, on va aller vers des statuts donnant de plus en plus d’autonomie aux écoles. Ceci ne règle pas la question du financement, compte tenu des réformes, de la taxe d’apprentissage et des CCI. Le coût d’un étudiant étant plus élevé que les frais de scolarité (donc l’approche volume ne règle rien !), les institutions vont devoir développer d’autres activités à marge, ou apprendre à lever des fonds, comme cela se passe dans d’autres pays.

O.R : Les CCI ont failli dans leur rôle de tutelle des écoles?

B. D : Certaines n’ont en tout cas pas vu que le métier avait considérablement changé. À quelques exceptions près, les responsables des activités formation, voire les DG de CCI ne participaient pas aux réunions professionnelles à l’étranger de l’EFMD ou de l’AACSB. Certaines CCI ont été amenées à renoncer, comme à Saint-Etienne ou Chambéry. Les classements internationaux, Equis, Epas, AACSB et les autres accréditations, dont la commission du Grade Master, ont eu un rôle considérable sur l’évolution des écoles. La Cour des comptes le souligne. Les grandes institutions ont maintenant une direction de la qualité et des accréditations qui gère également la question des classements et autres palmarès.

O.R : Quel est le positionnement du directeur de l’école dans ce cadre?

B. D : Le directeur de l’école doit être reconnu comme un véritable dirigeant «entrepreneur dans le domaine académique». Il doit avoir des réflexes d’entrepreneur stratégique, savoir manager et aussi «vendre» son école à l’extérieur et à l’international, trouver des financements,  créer des chaires d’entreprise, récolter de la taxe d’apprentissage, développer des réseaux internationaux, animer les anciens élèves etc.

O.R : Récemment un rapport de la Fnege sur le coût excessif des professeurs de gestion a provoqué un vif émoi. Vous ne trouvez pas que les enseignants en gestion sont bien trop payés aujourd’hui?

B. D : Le rapport alarmiste de la Fnege a sans doute un peu dramatisé la situation. On manque d’enseignants de gestion c’est une réalité, observée dans nombre de pays. Il y a par ailleurs une grande disparité entre les institutions publiques et consulaires. Il faut aussi regarder les qualités et compétences que l’on demande désormais à un «full professor»: un doctorat de qualité, voire l’agrégation et l’HDR, plus les recherches, les publications, l’enseignement, la participation à la vie institutionnelle, l’engagement dans des activités de management internes, ou dans des partenariats internationaux, l’animation de séminaire de dirigeants, les chaires… Ce sont là-aussi des responsabilités comparables à celles de dirigeants expérimentés. Et, le marché est international.

Il faut en tout cas adresser un grand coup de chapeau à la Fnege, sans laquelle nous n’aurions pas en France aujourd’hui de corps professoraux permanents de valeur. Le rôle des accréditations, en France et dans le Monde, a été majeur également, et il faut souligner la qualité de ce qui a été initié par l’EFMD et aussi par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche dans le cas du Grade Master.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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