ECOLES DE MANAGEMENT

L’EM Normandie crée la SmartEcole : entretien avec Jean-Guy Bernard, son directeur général

Les nouvelles pédagogies sont au centre des préoccupations stratégiques des universités comme des grandes écoles. En lançant le concept de la SmartEcole, l’EM Normandie se positionne comme l’un des acteurs-clé d’une mutation qui met petit à petit au rencart les vieilles postures pédagogiques. Illustration par l’exemple avec son directeur général, Jean-Guy Bernard.

Jean-Guy Bernard (©Jean Richard De Vesvrotte 2012)

Olivier Rollot : Pourquoi voulez-vous changer les modes d’enseignement ?

Jean-Guy Bernard : Parce qu’il faut s’adapter aux demandes des nouvelles générations, qu’on les appelle Y ou maintenant Z, mais aussi des entreprises qui veulent des jeunes diplômés innovants. Aujourd’hui de plus en plus d’étudiants, de bons étudiants !, arrivent en cours en ayant déjà recueilli des informations sur la thématique traitée. Cela change considérablement la relation avec l’enseignant qui n’est plus le seul à maîtriser le savoir, qui se retrouve face à des étudiants qui ont des questions et un niveau d’exigence plus élevés. Ainsi peu à peu les étudiants, encadrés bien sûr par leurs enseignants, deviennent des co-créateurs de savoirs.

O. R : Vous parlez d’étudiants qui font l’effort mais il n’y a rien d’obligatoire dans la démarche. Comment faire cohabiter ces deux formes d’étudiants, en quelque sorte des anciens, un peu passifs, et des modernes bien plus impliqués ?

J-G.B : Nous allons commencer par  nous adresser aux étudiants de 3ème année du programme Grande Ecole, qui sont déjà assez murs et suivent tous une année de scolarité chez nous. Mais nous savons aussi que nous avons une transition à gérer et que nos enseignants doivent bâtir leurs cours pour satisfaire tout le monde. En tout il y aura 80% d’acquisition traditionnel du savoir enrichis par 20% traités différemment. Nous devons former des étudiants créatifs, capables de chercher de l’information, de travailler en groupe, à distance, en compétition avec d’autres équipes, de prendre des responsabilités, le tout dans un environnement incertain. En fait d’agir déjà comme dans leur futur milieu professionnel.

O. R : Dans la pratique, le concept de SmartEcole consiste en quoi ?

J-G.B : C’est d’abord une plate-forme collaborative composée d’un réseau social privé, d’un espace numérique de travail (ENT), d’une plate-forme de formation open-source, d’un e-Portfolio pour administrer les compétences, de gestionnaires de cours en ligne et d’événements ou encore d’outils de création de contenus. Le tout sera disponible sur des tablettes numériques qui se substitueront petit à petit aux ordinateurs. Avec cet environnement, les parcours de formation consacreront une large place au travail collaboratif, à la gestion de projets, ainsi qu’à la réalisation de simulations, d’études de cas, de création de contenus et de co-rédaction. À cet effet nous allons également sur nos campus créer des espaces collaboratifs de plus en plus nombreux.

O. R : Votre public est-il vraiment prêt à tous ces changements ?

J-G.B : L’accueil est très bon car nos élèves sont habitués à aller vite avec les ressources technologiques qu’ils manient. Pour autant ils ont effectivement besoin de points de repères fixes bien établis. Ils se méfient des changements de noms ou de localisations.

O. R : Tout le monde parle aujourd’hui nouvelles pédagogies mais on ne voit pas pour autant beaucoup de réalisations effectives. Vous vous lancez à fond avec votre SmartEcole. Pourquoi et comment être pionnier ?

J-G.B : Cela tient d’abord à notre histoire et à la création, avec l’université de Caen Basse-Normandie, d’un département de e-learning très performant. Depuis maintenant 3 ans nous sommes la seule grande école à dispenser notre Master grande école en formation continue à distance, avec des séminaires présentiels, ce qu’on appelle le « blended leaning ». Nous proposons également un MSc  « management du tourisme et des loisirs» en e-learning depuis cinq ans.

O. R : Impossible de parler enseignement aujourd’hui sans évoquer les massively open online courses (MOOC), ces cours gratuits en ligne qui déferlent des États-Unis. Allez-vous en développer ?

J-G.B : Nous allons mettre nos premiers cours en ligne en juin prochain. Sans généraliser l’opération. Les MOOC constituent un modèle économique dont les retours sont indirects : la distribution gratuite du savoir permet de faire connaître la qualité d’un enseignement. Auprès des étudiants mais aussi auprès d’entreprises qui apprécient de plus en plus d’avoir des contenus exploitables en ligne pour former leurs personnels.

O. R : Au-delà de la pédagogie sur quels grands axes comptez-vous vous développer dans les années à venir ? Une grande école doit-elle aujourd’hui se spécialiser sur quelques points forts ?

J-G.B : Nous possédons une compétence internationalement reconnue dans le management portuaire et maritime et nous comptons bien encore mieux la faire reconnaître. Nous travaillons également depuis longtemps sur l’entreprenariat. Mais nous devons toujours penser à avoir un niveau d’excellence général.

O. R : Pas de business school aujourd’hui sans accréditations internationales. Des labels qui coutent cher à obtenir. N’est pas parfois un effort trop important pour les grandes écoles aujourd’hui ?

J-G.B : Nous sommes aujourd’hui accrédités Epas pour le Master EM Normandie en formation initiale et espérons obtenir l’accréditation AACSB d’ici un an. Au-delà d’un étalonnage international, ces labels permettent de comprendre où l’on se situe et de faire partie d’un club d’institutions de qualité. Ce qui permet notamment l’échange d’étudiants étrangers. Ils sont également facteurs de progrès car répondre aux critères internationaux permet de bien se mesurer tout en mobilisant l’ensemble des personnels. Quant au coût il ne tient pas tant aux séminaires à organiser, aux visites, aux experts qu’à la nécessité de posséder un corps professoral de qualité producteur de recherche.

O. R : Justement on a parfois l’impression que dans l’appellation enseignant-chercheur seul le mot chercheur peut qualifier certains enseignants. Et que la recherche est souvent trop théorique. Enfin qu’il s’est développé une sorte de « mercato » des enseignants en économie-gestion est qu’il est de plus en plus de les recruter sans les payer des fortunes.

J-G.B : Il faut être bien clair : nos enseignants sont d’abord là pour enseigner. Nous ne cherchons pas uniquement des chercheurs. Quant à la recherche, elle est aujourd’hui de plus en plus appliquée en relation avec les points forts de l’école. Enfin, sur la question du recrutement, il y a deux types de réputation. Celle des très grandes institutions, comme HEC, où devenir enseignant est une consécration. Et celle d’autres comme la nôtre où on vient d’abord rechercher une bonne ambiance de travail.

O. R : Les grandes écoles se sont beaucoup rapprochées de l’université ces dernières années. Vous-même, vous le signaliez, vous avez d’excellentes relations avec l’université de Caen. Pourtant votre adhésion au PRES Normandie n’a pas entérinée il y quelques, comment l’expliquez-vous ?

J-G.B : Ce PRES a eu beaucoup de difficulté à naître et souffre de statuts absurdes fondés sur la règle de l’unanimité. Il a suffi que, de manière anonyme, un membre vote contre notre adhésion pour que nous soyons retoqués. Nous étions treize à vouloir le rejoindre et deux ont été retoqués : nous et Rouen Business School. Je vous laisse juge de dire s’il y des attendus idéologiques derrière tout cela. Maintenant nous attendons une éventuelle refondation du PRES dans le cadre des futures communautés d’établissement que la loi à venir va créer. Et de toute façon nous sommes associés à la plupart des actions du PRES.

O. R : On dit parfois qu’une bonne école c’est aussi un bon réseau. Vous avez justement beaucoup travaillé ces dernières années sur la qualité de votre réseau d’anciens.

J-G.B : La capacité à s’entraider entre anciens fait effectivement partie des grands atouts qu’apportent les grandes écoles. Or nous avions beau être l’une des écoles les plus anciennes – l’ESC Le Havre, l’une de nos deux composantes, a été créée en 1871 – notre réseau d’anciens était encore un peu balbutiant il y a cinq ou six ans. Nous avons donc beaucoup travaillé pour le faire revivre et nous organisons des rencontres régulières, des ateliers de travail et nous remettons même des prix à nos anciens pour saluer leurs parcours. Quant aux futurs anciens, nos étudiants, ils adhérent maintenant tous automatiquement et à vie à l’association dès leur entrée dans l’école.

O. R : Vous avez la particularité d’être la seule grande école à recruter largement à tous les niveaux, au bac, en prépas, en admissions parallèles. Pensez-vous pouvoir encore augmenter la taille de vos promotions ou arrivez-vous à un étiage maximal ?

J-G.B : Notre recrutement le plus important se fait au niveau bac (270 étudiants) et nous recrutons ensuite une cinquantaine d’élèves en prépas, 160 après un diplôme de niveau bac+2 et 110 après une licence ou un autre diplôme de niveau bac+3. En prépa nous ouvrons en tout 60 places cette année et nous pouvons donc avoir plus d’entrants. Nous constatons d’ailleurs une hausse de 34% de préinscriptions. Pour le reste, nous ne sommes pas obsédés par la quantité. Certes nous diplômons 550 élèves par an mais nos admis après le bac ne sont que 270, loin de promotions de 400 comme dans certaines écoles. De plus, le fait de les répartir sur deux campus majeurs, Le Havre et Caen, avec aussi des implantations à Deauville et bientôt Paris, nous permet de garder un côté familial auquel nous tenons beaucoup.

Olivier Rollot (@O_Rollot)

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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