UNIVERSITES

Jean-Loup Salzmann, président de la CPU : « Comment l’université a évolué »

Élu fin 2012 à la tête de la Conférence des présidents d’université (CPU), Jean-Loup Salzmann est un militant de toujours de l’université. Président de l’université Paris XIII depuis 2008, il revient sur son évolution et comment elle s’est mise toute entière au service de la réussite de ses étudiants. A quelques semaines de l’adoption d’une nouvelle loi traçant les contours de l’enseignement supérieur pour les quinze années à venir, il revient également sur ses grands enjeux.

Olivier Rollot : Les inscriptions dans l’enseignement supérieur viennent de commencer. Que voulez-vous dire aux élèves de terminale, et peut-être surtout à leurs parents, qui hésitent encore dans leur choix d’orientation ?

Jean-Loup Salzmann : Que l’université a beaucoup changé. Il suffit de se rendre aujourd’hui sur un campus pour s’en rendre compte. L’image qu’en ont encore trop de parents, celle de locaux délabrés, d’affiches qui envahissent les murs, est dépassée depuis bien longtemps. Aujourd’hui l’université c’est de moins en moins des cours dans de grands amphis mais des étudiants studieux qui profitent de services numériques et de bibliothèques ouvertes de plus en plus longtemps. Sans oublier qu’aujourd’hui les études à l’université s’accompagnent d’une véritable vie de campus. L’accès au sport, à la culture, à la vie associative participe aussi à l’épanouissement personnel de nos étudiants et donc à leur réussite !

O. R : Les parents ont encore souvent peur que l’université ne mène pas à un emploi.

J-L.S : Là encore il y a longtemps que tout le monde à l’université est mobilisé pour assurer l’insertion professionnelle de tous ses diplômés. Et même les syndicats étudiants. Plus personne n’ose dire que favoriser l’insertion c’est être « au service du patronat ». L’insertion professionnelle fait aujourd’hui clairement partie des missions essentielles de l’université.

O.R : Ce sont aussi souvent les premiers mois de licence qui provoquent l’inquiétude, l’impression qu’on va se retrouver perdus au milieu d’immenses campus.

J-L.S : L’accueil est devenu une autre de nos priorités. Apparues il y a cinq-six ans, les semaines d’intégration, pendant lesquelles on explique aux nouveaux étudiants le fonctionnement de l’université, sont aujourd’hui généralisées. C’est incroyable comme des méthodes nouvelles peuvent en quelques années devenir des standards.

O.R : En fait il n’y a plus beaucoup de différence entre les grandes écoles et l’université ?

J-L.S : L’univers de l’enseignement supérieur est devenu plus homogène mais il reste de grandes différences entre universités et grandes écoles. Notamment le montant des frais de scolarité et la sélection. Mais surtout l’université garde encore un net avantage : avoir un enseignement fondé sur la recherche.

O.R : Pourtant les grandes écoles disent avoir beaucoup progressé dans ce domaine.

J-L.S : Soyons sérieux. Les dix meilleures grandes écoles ont toujours fait de la recherche et en feront toujours. La majorité des autres n’en feront probablement jamais. Pour beaucoup d’écoles de commerce faire de la recherche c’est recruter des enseignants qui ont produit auparavant des travaux de recherche souvent à l’université. Et comme elles sont obligées de les payer très cher pour qu’ils acceptent de venir les rejoindre, certaines font faillite.

Un laboratoire de l’université de Cergy-Pontoise

O.R : A partir de quel moment les étudiants peuvent espérer profiter des actions de recherche que mène l’université ?

J-L.S : On ne leur demande évidemment pas de se lancer dans des actions de recherche dès leur première année mais ils sont tout de suite sous son influence. Tout simplement parce que leurs enseignants sont eux-mêmes des chercheurs. Ensuite ils baigneront dans un véritable univers de recherche dès leur première année de master. Dans toutes les disciplines, la recherche est la marque de fabrique de l’université. Quand on veut montrer ce qu’elle est vraiment aux élèves de lycée et à leurs enseignants ce sont bien des laboratoires qu’on leur fait visiter.

O.R : Parler de la réussite des étudiants est impossible sans évoquer la mise en œuvre de nouvelles pédagogies. Pourtant il reste encore beaucoup à faire, à l’université comme partout.

J-L.S : On commence effectivement juste à penser sérieusement qu’il faudrait former nos maîtres de conférences à la pédagogie avant de les mettre en face d’étudiants. J’espère que nous allons vers une révolution de l’enseignement. Parce que nous en avons besoin pour passer de 35 à 50% d’une classe d’âge diplômée au niveau licence. Quinze points à gagner qui le seront forcément par l’université. Mais parce que nous ne pouvons pas aujourd’hui compter sur une augmentation de 30% de nos moyens pour former ces 30% d’étudiants en plus, il va falloir enseigner de manière de plus en plus ingénieuse.

O.R : Vous pensez par exemple aux massively open online courses (MOOC), ces fameux cours gratuits en ligne qu’ont commencé à développer largement les universités américaines.

J-L.S :  Non parce que les MOOC ce n’est que de la technologie alors que je parle d’une révolution conceptuelle.

O.R : Pour autant n’avez-vous pas l’impression que nous prenons trop lentement le virage des MOOC, en tout cas moins vite que certains de nos voisins, Suisses et Belges par exemple ?

J-L.S :  L’exemple des pays émergents, qui sont parfois directement passés de la simple feuille de papier et du tableau noir aux cours en ligne sur des smartphones, nous montre qu’il y a parfois avantage à monter dans le train plus tard, quand il est plus puissant, plutôt que se précipiter.

Une bibliothèque de l’université de Nantes (photo P. Miara)

O.R : Revenons aux étudiants. Parmi les objectifs de la prochaine loi, il y a celui de favoriser l’orientation des bacheliers professionnels en BTS et des bacheliers technologiques en DUT. On parle d’un objectif de 50% dans les deux cas. Dans les IUT, qui dépendent des universités, cela reviendrait donc à avoir en moyenne 50% de bacheliers technologiques et généraux. Or on sait bien aujourd’hui que certains DUT, par exemple en mesures physiques, recrutent quasi uniquement des bacheliers S du meilleur niveau. Comment une telle évolution sera-t-elle possible ?

J-L.S : Dire que les BTS doivent en priorité accueillir les bacs pro, les DUT les bacs techno et les licences les bacs généraux n’a rien de révolutionnaire. Revenons-en tout simplement aux origines. Pourquoi ont été créés les IUT ? Pour former des étudiants capables de s’insérer sur le marché du travail en deux ans. Quel est le pourcentage d’étudiants qui vont sur le marché du travail après le DUT que vous évoquez ? Très peu. Dans ce cas il ne s’agit plus d’un DUT mais d’une classe préparatoire intégrée à l’université.

O.R : Justement, certains représentants des classes préparatoires s’inquiètent qu’on les oblige, là encore avec l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, à se rapprocher de l’université. Comprenez-vous leurs inquiétudes ?

J-L.S : Ce projet ne représente que des avantages pour les étudiants de classes préparatoires, qui vont pouvoir de plus en plus aller assister à des cours à l’université fréquenter des bibliothèques universitaires et y rencontrer des enseignants qui font de la recherche.

O.R : On dit souvent que la France ne soutient pas assez ses doctorants. Pensez-vous que la situation s’améliore petit à petit ?

J-L.S :  Dans la grande enquête sur le financement des doctorants nous avons eu la bonne surprise de constater qu’à 80 % ils sont financés d’une manière ou d’une autre. Mais il n’en reste pas moins que la France reste nullissime en termes de valorisation du doctorat pour l’accès à l’emploi. C’est absurde que nos entreprises ne cherchent pas à recruter plus de docteurs alors qu’elles parlent toutes de faire plus de recherche. Quant à la fonction publique, elle ne valorise pas le doctorat en dehors de l’enseignement. Cette politique n’incite pas les étudiants à passer un doctorat et le manque de docteurs nous nuit partout. Un exemple : nous sommes très mal représentés dans les institutions judiciaires internationales parce que peu de magistrats français possèdent un doctorat alors que c’est le niveau indispensable, reconnu internationalement, nécessaire pour y postuler.

O.R : Comme un certain nombre de présidents d’université vous êtes vous-même médecin et jetez donc un regard tout particulier sur la réforme des études de médecine qui est intervenue récemment. Quel bilan tirez-vous de la création de la PACES (première année commune des études de santé) qui réunit maintenant étudiants de médecine, pharmacie et odontologie ?

J-L.S : C’est un échec complet qui ne fait qu’entériner quarante ans de désastre universitaire pour les étudiants en médecine. Sans parler des étudiants en pharmacie qui ont perdu de précieux enseignements en physique. La nouvelle loi propose que les universités puissent expérimenter des modes d’entrée qui permettront d’éviter ce gâchis insupportable qu’est l’échec de 80% des étudiants en première année. Dans la plupart des fac de médecine trop de bacheliers S, qui ont pourtant des mentions bien et très bien, se fracassent – deux fois ! – sur le mur du numerus clausus et en sortent démotivés. Nous allons mettre en place des systèmes intelligents qui vont permettre de respecter à la fois le numerus clausus et les étudiants.

O.R : Les études de médecine sont tellement difficiles qu’elles favorisent finalement la réussite des plus favorisés socialement. Pensez-vous que l’université joue suffisamment son rôle d’ascenseur social ? Plus largement comment pensez-vous que l’université puisse progresser dans ce rôle ?

J-L.S : L’université contribue grandement à ne pas reproduire les élites en permettant à tous d’aller au plus haut niveau. Parce qu’elle pousse à faire de la recherche, l’université est également une école de maturité. Dans cet esprit, je pense que l’alternance est le meilleur moyen de se former  tout en accédant rapidement à un emploi. Et cela dans toutes les disciplines : on peut suivre un master ou une licence en linguistique comme en informatique en alternance. Maintenant il faut que les régions continuent à contribuer à l’effort et que le gouvernement permette aux universités de collecter une taxe d’apprentissage dont le montant devrait être calculé sur le nombre d’apprentis. Il faut en finir avec la rente de situation actuelle dont profitent seulement quelques-uns.

L’amphithéâtre Cujas de l’université Toulouse 1 Capitole

O.R : Après les PRES (pôles de recherche et d’enseignement supérieur) la nouvelle loi parle de « communautés d’université ». Peut-on vraiment être efficaces avec des mastodontes universitaires de plus de 100 000 étudiants ?

J-L.S : Le PRES dont fait partie mon université compte 120 000 étudiants et est parfaitement efficace. Maintenant, la prochaine loi permettra à chacun de s’organiser comme il le souhaite. Le tout doit répondre à trois objectifs principaux : nous permettre de rationaliser la carte des formations, de mieux faire collaborer universités et organismes de recherche et enfin de préparer de vraies fusions d’universités. Mettez-vous à la place d’un étudiant de Clermont-Ferrand par exemple. Comment peut-il choisir entre aller à l’université Clermont-Ferrand 1 et Clermont-Ferrand 2 ? Après une fusion l’université est beaucoup plus efficace car elle n’a plus deux conseils d’administration, deux conseils de la vie universitaire, etc.

O.R : Pour favoriser la réussite des étudiants, la loi prévoit la mise en œuvre de licences plus pluridisciplinaires. Certains craignent qu’on fasse ainsi de l’université un lycée bis. Que leur répondez-vous ?

J-L.S : Qu’il faut bien comprendre l’histoire pour comprendre le droit,  la géographie pour faire de l’économie, qu’il faut ouvrir l’esprit et non pas le formater et que les étudiants pourront ensuite se spécialiser petit à petit en connaissance de cause.

O.R : Pour revenir aux inscriptions, le site admission-postbac (APB) vous semble-t-il efficace ?

J-L.S : Aujourd’hui notre jeunesse est naturellement dotée d’un « sixième sens numérique », elle a cette intelligence intuitive que le site d’APB n’a pas pris en compte. Faites le test autour de vous… aujourd’hui encore pas un lycéen ne remplit ses vœux seul en quelques minutes, la plupart du temps c’est l’affaire de plusieurs soirées et un véritable sujet d’énervement dans les foyers. C’est certain, APB doit vraiment et rapidement s’améliorer !

Previous ArticleNext Article
Avatar photo
Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Send this to a friend