ECOLES DE MANAGEMENT

ESCP Europe : retour sur une école modèle avec Edouard Husson, son nouveau directeur général

A la tête d’ESCP Europe depuis septembre dernier après avoir occupé des fonctions ministérielles et académiques, Édouard Husson trace pour nous les lignes d’avenir d’une école considérée aujourd’hui comme l’une des toutes meilleures au monde.

Edouard Husson

Olivier Rollot : Vous possédez cinq campus dans toute l’Europe (Paris, Londres, Berlin, Madrid et Turin) mais être dans le centre de Paris ne reste-il pas un de vos principaux atouts pour attirer des étudiants du monde entier ?

Édouard Husson : Au total, nous recevons 50% de Français, 25% d’Européens et 25% de non Européens dans le cadre de notre master en management (MIM), c’est-à-dire notre programme Grande Ecole. Un modèle historique puisqu’en 1819, à la création de ESCP Europe, il y avait déjà un tiers d’étrangers. Et la moitié de nos étudiants viennent effectivement à Paris au cours de leur cursus. L’habitude est ensuite qu’ils étudient obligatoirement sur au moins deux campus. Généralement plutôt trois. Mais ces campus ne sont pas forcément les nôtres : ils peuvent se rendre dans le monde entier dans le cadre de nos accords d’échanges. Ainsi, si certains font un parcours 100% anglophones, la plupart panachent les langues.

O. R : Pensez-vous prochainement ouvrir un nouveau campus en Europe ?

E. H : Non. Nous travaillons à l’approfondissement des relations entre nos campus, voire à leur extension, notamment à Berlin qui offre en la matière le plus d’espace, mais pas à l’ouverture de nouveaux sites. Notre modèle de campus multi européen est très attractif : les étudiants viennent chercher un diplôme reconnu – notre MIM est classé en 2012 premier par le Financial Times dans tous les pays de l’Union européenne où nous sommes présents – mais aussi découvrir de grandes différences culturelles sur un espace réduit.

O. R : Alors que les étudiants issus de prépas passent trois ans chez vous, les autres, essentiellement étrangers, n’y suivent que les deux années de master. Comment parvenez-vous à faire cohabiter les deux profils ?

E. H : Il existe également une année de pré master à Turin mais, effectivement, nous sommes sur un double modèle et nous nous efforçons d’avoir des classes de plus en plus mixtes issues de toutes les excellences académiques. Pour autant l’étalon reste la valeur de nos élèves issus de prépas et, si leur niveau progresse d’année en année, c’est aussi le cas de ceux qui les rejoignent.

O. R : D’où qu’ils viennent, vos étudiants sont-ils aussi différents de ceux des générations précédentes qu’on le dit généralement ?

E. H : Ils tiennent au développement durable et sont très attachés à la responsabilité sociale de l’entrepreneur. Ils pensent déjà au modèle « glocal », cette production globale et locale qui nous permettrait de produire près de chez nous avec des imprimantes 3D. Ils revendiquent également un équilibre entre leur vie personnelle et professionnelle. Ce qui ne les empêche pas de penser changer d’emploi tous les cinq ans. Mais peut-être est-ce justement comme cela qu’ils imaginent parvenir à cet équilibre ? Parce qu’ils veulent se sentir responsables, ils sont très attirés par la création d’entreprise. Ils ont également une grande aspiration à la formation permanente. Nous avons 40 000 anciens et ils sont de plus en plus attirés par l’idée de revenir en formation continue dans leur ancienne école.

O. R : On dit souvent aux étudiants que leur vie professionnelle va être plus compliquée que celle de leurs aînés. Comment les y préparez-vous ?

E. H : Nos étudiants ont une forte aspiration à la mobilité et nos campus européens sont un peu comme des ports d’attache destinés à préparer de grandes traversées. Le Vendée Globe après le cabotage en quelque sorte. À nous de leur apporter la boîte à outils qui leur permettra de s’adapter rapidement à des situations nouvelles. Nous leur apprenons aussi à être moins critiques envers leurs aînés, sur qui ils ont tendance à reporter la responsabilité de la crise, et envers les grandes entreprises, dont ils sous-estiment le sens de la responsabilité.

O. R : Vous dites que vos étudiants sont motivés par la création d’entreprise. Comment les y aidez-vous ?

E. H : Nous avons déjà un incubateur, « Blue Factory », à Paris et Madrid et allons l’ouvrir un à Berlin. Nous avons un accélérateur : « Paris Factory ». Nous possédons également une chaire entrepreneuriat et organisons chaque année une fête de l’entrepreneur sur nos cinq campus au mois de novembre. Nous réfléchissons enfin à la création de ce qu’on appelle un FabLab, c’est-à-dire un atelier permettant de créer des prototypes des innovations qu’imaginent nos étudiants. Ce serait un espace de travail partagé ouvert sur la ville, dans les métropoles où nous sommes implantés.

O. R : L’ESCP Europe est européenne, internationale, travaillez-vous aussi les questions de pluridisciplinarité, notamment avec des accords avec d’autres types d’universités ou d’écoles ?

E. H : Notre participation au PRES Hesam nous offre une grande ouverture sur les sciences humaines et sociales (Paris 1 ou l’EHESS) mais aussi sur le design (Ensci) et l’ingénierie (Ensam). Nous avons également des accords de doubles diplômes en ingénierie et management avec Supélec et Centrale Paris. Un autre est en cours avec le Politécnica de Madrid.

Nous allons d’ailleurs procéder à une révision de tous nos partenariats internationaux pour en valider l’utilité, connaître les plus stratégiques et en créer d’autres dans les pays émergents.

O. R : Les massively open online courses (MOOC), ces cours en ligne gratuits, sont en train de révolutionner l’enseignement supérieur. Croyez-vous à ce modèle gratuit ?

E. H : Nous travaillons à la conception d’un sixième campus qui sera numérique et ne se limitera pas aux MOOC. Nous mettons de plus en plus de contenus en ligne qui viennent en appui à la pédagogie traditionnelle. Les contenus sont mis en ligne avant le cours et les étudiants pourront ainsi débattre avec leurs enseignants des points cruciaux. Le numérique sera aussi un formidable appui pour nos actions de formation continue : les entreprises cherchent des contenus qu’il est possible de réutiliser sans présentiel. Deux de nos jeunes alumni développent à Palo Alto un système de prise de notes en ligne participative. Pour revenir aux MOOC, ils constituent d’abord une forme de publicité pour les institutions académiques et leurs enseignants avec l’espoir de conquérir de nouveaux publics.

O. R : Votre prédécesseur, Pascal Morand, disait parfois qu’il dormait mal la nuit qui précédait la publication annuelle du classement des meilleurs masters en management du monde du « Financial Times ». Et vous ?

E. H : La publication de ce palmarès, qui nous distingue, est forcément un moment important pour l’école. D’autant que la concurrence des business schools des pays asiatiques est de plus en plus forte. Quant aux business schools américaines, rien ne dit qu’elles ne s’intéresseront pas un jour aux masters en management si la pertinence de leur modèle fondé sur le  MBA faiblit.

O. R : Le modèle anglo-saxon, fondé sur la qualité de la recherche académique, a provoqué une inflation des salaires des enseignants capables de faire de la recherche et de la publier dans les meilleures revues. Aurez-vous toujours les moyens de recruter les enseignants nécessaires à votre réputation ?

E. H : Il s’est effectivement développé une sorte de « mercato » des chercheurs publiant pour monter dans les classements. Certains jeunes chercheurs ne pensent qu’à publier et je me demande s’il n’y a pas une forme d’impasse à ne recruter que des profils formatés pour les seuls rankings internationaux. Pour notre part, nous restons fidèles à un modèle plus équilibré qui assure une forte attractivité pédagogique. Cela pourrait nous pénaliser car nous progressons moins vite en recherche que d’autres mais nous sommes persuadés que l’avenir des business schools est dans un équilibre entre formation et recherche. Et dans la recherche, entre recherche pure et appliquée. Pour autant, l’apport de la recherche a été fondamental ces dernières années et nous a permis de renouveler aussi nos approches pédagogiques.

O. R : Vous avez travaillé au sein de l’équipe précédente du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Au-delà des écoles de management, avez-vous le sentiment que l’investissement dans l’enseignement supérieur est suffisamment pris en compte par la collectivité publique ?

E. H : Un effort a été fait mais il devrait être beaucoup plus important. Malheureusement les hommes politiques ne mesurent pas bien le retour sur investissement académique, le formidable accélérateur de croissance que constitue la capacité à former des jeunes et à faire émerger des idées nouvelles. Pour revenir à la recherche, il faut trouver un équilibre entre la nécessité d’avoir des institutions bien gérées et la part à laisser à la recherche pour la recherche, seule capable de créer les applications les plus inattendues.

O. R : Que pensez-vous du débat actuel sur la suppression de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Aeres), ou du moins sur son remplacement par une agence qui ne ferait qu’évaluer les capacités d’évaluation des organismes de recherche, comme cela semble devoir être le cas dans la future loi sur l’enseignement supérieur et la recherche ?

E. H : Comment peut-on affirmer que la situation était meilleure avant la création de l’Aeres ? Il est dommage qu’on n’ait pas eu le courage d’aller jusqu’au bout et de mettre l’Aeres seule aux commandes de l’évaluation. Imaginer qu’on va revenir aux procédures d’évaluation antérieures me semble une terrible régression. D’un côté les enseignants-chercheurs se plaignent de ne pas savoir où donner de la tête, de l’autre ils refusent les simplifications. Cela dit la volonté de la ministre de donner le droit de vote aux personnalités extérieures dans les conseils d’administration des universités est elle une excellente chose qui permettra d’ancrer l’université dans le monde réel.

O. R : Avec la création de la chambre de commerce et d’industrie Paris Ile de France, l’ESCP Europe, HEC et l’Essec se retrouvent sous la même tutelle. Cette proximité ne risque-t-il pas d’être difficile à gérer pour chaque école ?

E. H : Cela pousse en tout cas à travailler les spécificités de chacune. Pour nous à mettre en valeur notre dimension multi campus, « ouverts sur la ville »: un modèle unique avec une proximité géographique qui est un grand accélérateur de mobilité.

O. R : Cinq campus dans cinq pays cela signifie cinq cultures et cinq gouvernances. N’est-ce pas parfois très compliqué d’avancer tous ensemble dans la même direction ?

E. H : Si les formules juridiques sont différentes, les règles de fonctionnement sont les mêmes sur chacun de nos campus avec, dans chaque board (conseil d’administration), une forte implication des acteurs socio-économiques. L’important est de faire accepter un esprit commun et de bien distinguer ce qui relève de la responsabilité de chaque campus et de la direction générale de ESCP Europe. Quant aux étudiants, parce qu’ils viennent de partout, ils ont encore plus besoin que les autres de se reposer sur une institution solide. La cohésion de nos équipes est primordiale et nous cultivons cet esprit de corps très affirmé.

  • Un directeur atypique pour une école atypique
  • Édouard Husson, 44 ans, est à la fois un professeur (il enseigna l’histoire des relations internationales à l’université de Picardie), un fin connaisseur de l’ensemble de l’enseignement supérieur français (vice chancelier des universités de Paris il fut auparavant en charge des sciences humaines et sociales auprès de la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Valérie Pécresse) et un Européen convaincu : il a enseigné en Allemagne et est l’auteur de plusieurs livres sur le nazisme et l’Allemagne contemporaine. Un profil atypique dans de grandes écoles plus habituées à recruter leurs dirigeants après des parcours en leur sein qu’avec un profil académique autant que politique. Mais un parcours surement très adapté à l’institution également atypique qu’est ESCP Europe avec ses cinq campus dans toute l’Europe, ses gouvernances parfois compliquées et ses étudiants de toutes origines.
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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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