Directeur général du groupe ESC Dijon, Stéphan Bourcieu est aussi un enseignant chercheur prolifique qui vient de publier un essai intitulé Commerce extérieur : anatomie d’un mal français (édition EMS) dans lequel il dresse un tableau sans concession d’une économie en crise et livre des pistes pour redresser la tête. Il s’est intéressé avec nous à ce marché particulier qu’est l’enseignement supérieur.
Olivier Rollot (@O_Rollot) : L’enseignement supérieur français contribue-t-il à notre commerce extérieur comme c’est par exemple le cas pour l’Australie ?
Stéphan Bourcieu : Impossible de le dire car les chiffres ne sont pas consolidés. Pourtant nos sommes le troisième ou le quatrième pays, selon les années, qui reçoit le plus d’étudiants dans le monde. Mais comme la plupart des étudiants étrangers ne payent rien ou au plus les droits universitaires on peut au contraire estimer que cette ouverture nous coûte de l’argent.
Cela ne me choque pas quand cela contribue au rayonnement de la francophonie ou à aider des pays en développement – il serait d’ailleurs plus intelligent de notre part de signaler ces sommes comme des aides au développement ! – mais je ne comprends pas que l’université publique, financée par nos impôts, ne fasse pas payer les coûts réels de scolarité aux étudiants venus de pays tels que les BRIC dont les entreprises sont les concurrents des entreprises françaises sur les marchés internationaux. Nous formons gratuitement des étudiants qui vont ensuite retourner dans leur pays pour nous concurrencer !
O. R : Vous n’adhérez pas à l’idée de « soft power » selon laquelle, une fois retournés chez eux, ces étudiants vont avoir le réflexe de penser à la France et se soutenir ensuite notre économie toute leur vie ?
S. B : Il faudrait d’abord que la réglementation nous permette d’employer ces jeunes diplômés dans nos entreprises. Heureusement la circulaire Guéant, qui limitait drastiquement l’emploi de ces jeunes, a été abrogée mais nous sommes loin des pays comme les États-Unis qui savent attirer les meilleurs profils du monde entier et les garder ensuite sur leur territoire.
O. R : Comment fait-on pour attirer les étudiants étrangers en France ?
S. B : Nos écoles d’ingénieurs et de commerce sont d’abord présentes sur des marchés de niche. Notamment avec la création de notre School of Wine & Spirits Business, nous nous présentons à l’international comme l’école du vin alors qu’en France nous restons une école généraliste. Mais pourquoi un étudiant viendrait-il de Chine à l’ESC Dijon pour suivre un « master en marketing » comme il y en a dans toutes les business schools du monde ?
Cette stratégie nous a permis cette année de recruter de nombreux étudiants internationaux sur la School of Wine & Spirits Business. Et là ce n’est pas une question d’argent : par rapport à ce que nous apportons et au regard des coûts habituellement pratiqués dans le reste du monde, nos étudiants internationaux nous disent que nous ne sommes pas assez chers ! Une stratégie haut de gamme permet de générer de la marge ! Notre modèle universitaire est de qualité, même s’il reste trop déficient en offre de formation en anglais (ce que Geneviève Fioraso a proposé de corriger d’ailleurs), mais il faut un prix pour exporter et créer de la richesse !
O. R : Une partie de ce recrutement a lieu dans le cadre du dispositif PassWorld que vous partagez avec quatre autres écoles du concours Passerelle. Mutualiser ses coûts de recrutement, c’est aujourd’hui devenu indispensable ?
S. B : Seule, chaque école avait peu de moyens et, surtout, pas assez de programmes à proposer. A six nous mutualisons nos coûts et nous avons cinquante spécialisations différentes. En 2010 nous n’avions qu’un seul recruté à Dijon, puis nous sommes passés à 27, 52 et enfin 70 cette année.
O. R : Et vous n’êtes pas favorables à l’ouverture de campus à l’étranger ?
S. B : Si c’est pour que des étudiants français se retrouvent entre eux non, si c’est pour former sur place des étudiants locaux et quelques Français pourquoi pas. Je pense par exemple à ouvrir une autre School of Wine & Spirits Business à Hong Kong.
O. R : Dans votre livre vous parlez également des étudiants français qui partent de plus en plus massivement travailler à l’étranger en employant la métaphore de « veaux » (de Christian Saint-Etienne) que nous aurions élevés et qui iraient grandir ailleurs. Sommes-nous menacés par une fuite des cerveaux ?
S. B : Ce n’est pas un drame de partir à l’international et nous ne pouvons que nous féliciter de voir des étudiants français, longtemps jugés trop casaniers, s’ouvrir sur le monde. Aujourd’hui un quart de chacune de nos promotions démarre par un emploi à l’étranger alors que la proportion n’était que 12% il y a 10 ans. Tout le problème est de savoir comment faire revenir ces jeunes Français ensuite pour qu’ils travaillent à l’international dans nos entreprises et non pas dans des entreprises concurrentes.
Avec 3,5% de croissance par an la Suisse nous prend de plus en plus nos meilleurs ingénieurs. Et pas seulement pour fabriquer des montres ou des produits haut de gamme : la Suisse est également le premier producteur européen de parasols. Le vrai drame de la mécanique industrielle de la France c’est que nous avons d’excellents fondamentaux mais que notre incapacité à conduire des réformes fait que la main d’œuvre qualifiée ne veut plus rester.
O. R : Cette expatriation n’est-elle pas d’abord une question de rémunérations qui sont plus élevées à l’étranger ?
S. B : Oui et non. Chaque année 5% de nos diplômés démarrent dans la finance au Luxembourg avec des salaires de 45 à 50 k€ par an, soit 10 à 15 k€ de plus que ce qu’ils pourraient toucher à 50 kilomètres de là à Nancy. Mais pour beaucoup l’attrait de l’international c’est d’abord celui dans lequel on peut progresser plus vite qu’en France. Ceux-là sont prêts à gagner moins s’ils pensent que leur carrière se développera plus vite et que, de toute façon, ils pourront revenir un jour en France.
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