POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

L’enseignement supérieur privé en question

Alors qu’on attend les résultats de la mission lancée par la DGESIP (Direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle) sur l’enseignement supérieur supérieur privé lucratif, de plus en plus de voix se font entendre pour demander plus de transparence. Suite à plusieurs articles publiés par « Libération » sur le sujet, France Universités prend ainsi la parole pour demander un « moratoire sur la délivrance de visas et grades ». Boosté par le développement de l’apprentissage le développement de l’enseignement supérieur privé lucratif commence à être au centre des débats avec la seule question qui vaille : le retour sur investissement des étudiants qui choisissent l’enseignement supérieur privé – lucratif ou pas – est-il à la hauteur de leur investissement comme de celui de la nation ?

France Universités à l’offensive. Devant le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER), France Universités est intervenue le 14 février 2023 pour demander des « clarifications et de la transparence au sujet de l’enseignement supérieur privé lucratif ».

France Universités réclame notamment l’établissement d’un code de déontologie obligatoire pour les établissements privés français comme pour les établissements étrangers s’installant en France. En écho au récent rapport de la Cour des Comptes, qui mettait en avant les investissements des collectivités locales dans les établissements privés, ce code devrait selon elle « engager les collectivités territoriales qui doivent veiller à ne pas contribuer à organiser une concurrence sans vérifier les garanties de qualité de ces établissements ».

Etre ou ne pas être EESPIG. Pour France Universités ce serait un pré-requis indispensable pour éviter que ne « s’installe une concurrence déloyale entre établissements publics et privés d’enseignement supérieur et, parmi les établissements privés, entre les EESPIG et les autres ».

Les propos de France Universités reviennent en écho à ceux du président de la Fesic, Philippe Choquet qui demande à qu’on « différencie vraiment les diplômes dont la qualité est reconnue académiquement de ceux qui sont seulement des titres du RNCP (Répertoire national des certifications professionnelles) ». Il insiste : « Le système d’évaluation est à revoir. Aujourd’hui ce sont les familles les plus fragiles qui se font berner faute de bien maîtriser tous les codes. C’est aussi pour cela que nous voulons montrer la force du contrat EESPIG dont le rôle est reconnu par la Loi de programmation de la recherche ». Et conclut « Si on s’abstenait de les financer, cela résoudrait largement le problème du financement de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur ».

Etre EESPIG c’est en effet s’engager à être évalué comme les établissements publics par le Hcéres (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) et à contractualiser avec le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR). « Autant de contraintes qui ont aussi un coût quand les établissements privés lucratifs ne sont contraints en rien », signifie Philippe Choquet auquel les établissements lucratifs répondent que le « coût de la recherche dans les établissements EESPIG n’apporte rien de très utile à beaucoup d’étudiants… »

Il y aurait donc les « bons » établissements privés, les EESPIG, et les autres. « Si le privé non lucratif (les établissements d’enseignement supérieur privé d’intérêt général, EESPIG) est encadré par une réglementation semblable à celle du public, les groupes à but lucratif, eux, sont très peu régulés », écrit Libération en oubliant totalement les EESC (établissement d’enseignement supérieur consulaire) comme l’ensemble des labels que le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR) accorde à des établissements dont beaucoup sont pourtant lucratifs.

France Universités demande des sanctions. C’est une ancienne antienne. France Universités requiert également une clarification sur la dénomination des établissements et les intitulés des diplômes délivrés qui ne doivent pas faire référence aux diplômes nationaux de licence, de master (« un mastere n’est pas un master ») ou de doctorat. La réelle inscription des diplômes délivrés au répertoire spécifique de France Compétences devrait être « vérifiée dans tous les dossiers de demande de grade et de visas ».

France Universités demande enfin une « transparence totale sur la structure financière et la gestion de ces établissements » et à ce qu’une évaluation, dont les « conclusions seront rendues publiques, soit effectuée par une institution indépendante ».

Le non-respect de ces éléments devrait selon elle donner lieu à des sanctions, notamment de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), comme c’est envisagé actuellement à l’encontre de plusieurs établissements, et devrait se « traduire par l’exclusion des salons d’information et d’orientation organisés dans les régions académiques ».

Galileo Global Education en première ligne. Dans son dernier article consacré à l’enseignement supérieur privé « Libération » pose ainsi les termes du débat : « L’enseignement supérieur est un domaine marchand et rentable, de ceux qui font palpiter les fonds d’investissement. Pour eux, l’éducation coche toutes les cases: le secteur est bon pour l’image, pérenne (une fois qu’un étudiant s’engage, il s’arrête rarement en cours de route) et représente un gisement de marges financières. Un peu comme les maisons de retraite. D’ailleurs, Galileo partage avec Orpea un même actionnaire : le fonds de pension des retraités canadiens, le CPPIB ».

Numéro un européen de l’enseignement supérieur privé le groupe Galileo Global Education se retrouve en première ligne « Libération » livrant une enquête à charge en titrant Galileo, la ruée vers l’or d’un géant de l’enseignement supérieur privé. Le quotidien accuse : « Formations «light», démarchage d’étudiants-clients, précarisation des profs… Libération raconte les dessous d’un business éducatif qui prospère grâce au laissez-faire de l’Etat. Et qui permet à la multinationale d’afficher une insolente santé financière ».

Interrogé par le quotidien le P-DG du groupe, Marc-François Mignot Mahon, réfute l’existence des marges financières relayées par la presse : «Si j’en crois les articles, certains de nos concurrents feraient plus de 20 ou 30 % de rentabilité ? Je ne sais pas comment ils font. Pour moi, l’éducation est une activité qui ne permet pas ça ». Il évoque un résultat net au dernier exercice de 4,8 millions d’euros, soit 0,5% du chiffre d’affaires mais ne communique sur son Ebitda. Selon les documents financiers que Libération a pu consulter, Galileo aurai « bien dégagé bien un profit brut de 25% (l’Ebitda est au-dessus des 200 millions, pour un chiffre d’affaires de 800 millions) avec chiffre d’affaires qui dépasserait le milliard d’euros en 2023 ».

  • Dans Les Echos pour son premier entretien depuis qu’il a quitté la direction de l’AP-HP, Martin Hirsch, le vice-président exécutif de Galileo, répond à ces attaques en soulignant notamment qu’« aucune des écoles du groupe ne figure parmi les quatre-vingts dans le collimateur de la répression des fraudes ». Il explique également comment le groupe qu’il a rejoint à la rentrée 2022 entend « participer à la vision d’une grande politique publique ». Et parce que la santé est sa spécialité il va développer les formations en France où le groupe a déjà ouvert trois instituts de formation d’aides-soignants, en ciblant « les métiers relativement peu qualifiés du soin sur lesquels les besoins sont immenses ». A lire aussi Hirsch, Pepy, Pénicaud… Des «serviteurs de l’Etat» dans le business lucratif de l’enseignement privé (Libération)

 

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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