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Frank Bournois prend la direction de la CEIBS: «Il était logique de relever le défi du management d’une école mondiale » 

C’est le transfert dont tout le monde parle au sein des business schools mondiales. Frank Bournois quitte la Direction de ESCP pour prendre la direction de la China Europe International Business School, la CEIBS, une business school sino-européenne qui se consacre à la formation des cadres. Avec beaucoup de succès puisque « The Financial Times » classe son E-MBA à la deuxième place mondiale et son MBA à la 20ème. Une école très jeune, fondée en 1994, qui fait dire à Frank Bournois qu’il va « diriger l’une des plus jeunes des grandes business schools mondiales après avoir dirigé la plus ancienne des plus grandes ».

Olivier Rollot : Vous quittez la direction de ESCP après neuf ans à sa tête, mais quasiment trois ans avant le terme de votre mandat. Quel rapide bilan feriez-vous de votre action ?

Frank Bournois : J’ai un attachement considérable pour ESCP et ses équipes qui se sont mobilisées avec moi ces neuf dernières années. ESCP est une école fantastique qui, avant mon arrivée, n’avait pas de personnalité juridique et dépendait d’une subvention d’équilibre de 13 millions d’euros par an sur un budget de 79 millions d’euros. Puis, Philippe Houzé a accepté de prendre la présidence du conseil d’administration de ESCP en plus de ses fonctions au sein du directoire du Groupe Galeries Lafayette et a permis à ESCP de réaliser son potentiel. En 2023, ESCP est le plus important EESC (établissement d’enseignement supérieur consulaire) autonome et son chiffre d’affaires est de 175 millions d’euros avec un résultat positif dépassant 12 m€. A peu près, l’exact inverse de ce j’ai trouvé à mon arrivée.

Pour rendre ESCP financièrement autonome les équipes ont notamment travaillé dès octobre 2014 à la création d’un bachelor d’excellence qui a vu le jour à la rentrée 2015. Nous avons également renforcé le comité exécutif européen de ESCP et déployé des systèmes de gestion et de pilotage qui ont porté le formidable développement de nos campus européens. Le tout avec le soutien extraordinaire de Xavier Cornu, directeur général adjoint enseignement, recherche et formation de la chambre de commerce et d’industrie Paris Ile-de-France jusqu’en 2016.

O. R : Le plus surprenant c’est le moment de votre départ. Les finances de ESCP sont très saines, ses résultats dans les classements n’ont jamais été aussi bons (troisième business school européenne dans The Financial Times, deuxième école de management française selon Challenges, 25 places de gagnées encore cette semaine dans le Classement des meilleurs MBA du Financial Times, etc.). Qu’est-ce qui vous pousse à quitter ESCP au milieu d’une sorte de moment de grâce ?

F . B : D’abord il faut le dire : cette impression de félicité provient d’une mobilisation des personnels de tous les campus. Dans ma carrière de professeur, j’ai beaucoup travaillé sur les questions de chefs d’entreprise et de comités exécutifs. Et j’avais lancé à ESCP la première chaire de l’école sur le thème de la dirigeance et du fonctionnement des comités exécutifs. Il faut bien reconnaître que la tendance naturelle des personnes est plus de s’accrocher à leur poste que de partir à l’acmé de leur mission.

J’ai pour ma part aujourd’hui le sentiment très agréable du devoir accompli au service des élèves, première source de satisfaction d’un directeur d’école. Les équipes de ESCP sont très solides. Il y a un bon alignement des planètes. Je peux quitter ESCP sans la déstabiliser tout en prenant un poste de premier plan à l’international.

Son plan stratégique Choice & Experiences 2022-2025 est déjà bien engagé et nous disposons par ailleurs de gisements d’amélioration et de progression rassurants : innovation numérique de l’école, partenariats internationaux, etc. Il reste également à poursuivre l’individualisation des parcours des étudiants en s’appuyant sur l’Intelligence artificielle (IA). Après ses cinq premières années d’autonomisation, ESCP est à une étape, prélude à d’autres formes de croissance.

O. R : Qui devrait vous succéder selon vous ?

F . B : Aujourd’hui Léon Laulusa, auprès du président Philippe Houzé, est le directeur général délégué disposant de toutes les marges de manœuvre nécessaires à la direction de l’école et à la poursuite de l’exécution du plan stratégique de ESCP. Concernant la succession définitive, je n’ai pas à me prononcer car le processus de désignation de mon successeur est une prérogative du conseil d’administration de l’école.

O. R : Cela va être d’autant plus difficile de vous succéder qu’aujourd’hui ESCP rime avec Bournois. Un processus d’identification qu’on retrouve dans peu d’écoles. Comment l’expliquez-vous ?

F . B : C’est certainement une question d’engagement. Comme bien d’autres, je me donne à fond dans ce que je fais. Le pragmatisme et l’expérience du métier de « dean » forcent à affronter la réalité au quotidien. Comme le disent les Britanniques « Necessity is the mother of invention »! Et la magie de ESCP fait que la créativité n’est pas une ressource rare chez les collaborateurs des campus.

O. R : Parlons de la suite et de la China Europe International Business School, la CEIBS, dont vous allez prendre la direction au printemps. Vous serez l’un des premiers dirigeants d’une école de management européenne à partir diriger l’une des plus grandes business schools hors Europe. C’est un sacré challenge !

F . B : Je vais succéder au doyen, Yuan Ding, que beaucoup connaissent. Je souhaite saluer ses performances exceptionnelles qui ont hissé CEIBS au sommet des classements. Le président actuel de CEIBS est franco-suisse en la personne de Dominique Turpin qui a été le président emblématique de IMD.

Pour ce qui me concerne, j’aime agir en pionnier ! La CEIBS se situe sur le segment singulier de formation des cadres dirigeants qui était celui auquel je me consacrais déjà avant mon arrivée à ESCP au sein du Ciffop, un institut de l’université Paris 2 Panthéon-Assas en charge de la formation des métiers des ressources humaines. Ce type de formation, qu’on appelle Top executive, a d’ailleurs été un peu le fil directeur de ma vie professionnelle. Je l’avais mis un peu entre parenthèses et j’y reviens avec la CEIBS, une formidable fabrique internationale à former des dirigeants sans concurrence frontale avec les business schools traditionnelles. Je l’avais d’ailleurs visitée lors d’une évaluation internationale.

Après une carrière européenne et multiculturelle, il était logique de relever le défi du management d’une école mondiale qui possède aussi bien des campus en Chine (Shanghai, Beijing et Shenzhen), qu’en Europe (Zurich) et en Afrique (à Accra au Ghana). Un institut extraordinaire qui forme tout le « corporate world » asiatique mais aussi des Européens, des Africains, et des nord-Américains.

O. R : CEIBS forme plutôt des cadres autour de la quarantaine ?

F . B : CEIBS dispense un MBA destiné à des plus jeunes – 28 à 35 ans – mais effectivement forme en moyenne des cadres d’une quarantaine d’années qui recherchent des formations très pratiques en stratégie, management général, finance….

O. R : Quels sont les grands défis de la formation des dirigeants aujourd’hui pour CEIBS ?

F . B : C’est un peu tôt pour être précis et je compte beaucoup sur la collégialité de l’équipe dirigeante de CEIBS pour éclairer tout cela. Les organisations traversent une époque incroyable où le numérique transforme profondément des business schools.

Elles doivent également faire face à l’obsolescence de plus en plus rapide des connaissances en management. Tous les cinq ans il faut tout repenser mais aussi individualiser les cours en fonction des parcours. On ne peut plus dire aux entreprises qu’un professeur X ou Y va dispenser un cours. Nous devons délivrer une expertise spécifique pendant des échanges d’une ou deux heures.

O. R : La gouvernance de la CEIBS est assez particulière. Elle est née d’un accord intergouvernemental entre l’Union européenne et la Chine. Comment cela fonctionne-t-il ?

F . B : La CEIBS a pris en 1994 le relais du CEMI. La gouvernance est bicéphale avec une présidente chinoise, Wang Hong, et un co-président non chinois, Dominique Turpin. CEIBS est une école, largement implantée à Shanghai, dans laquelle la qualité de la prise de décision s’enrichit toujours de la compréhension des points de vue des autres parties du monde. Je l’ai vécu avec ESCP en Europe, où la distance culturelle peut être très forte d’un pays à l’autre même si les distances géographiques ne le sont pas.

O. R : Allez-vous vous installer en Chine ? Et apprendre le chinois ?

F . B : Je vais m’installer à Shanghai, dans un premier temps près du campus de l’école, les trois premiers mois de ma prise de poste pour décider ensuite de la meilleure localisation possible. Et oui, je vais apprendre le chinois. Je compte bien m’y consacrer deux heures par jour. Je ne m’attends évidemment pas être bilingue un jour mais je souhaite comprendre mon environnement. Même si on prend le risque de se ridiculiser, parler la langue c’est avant tout envoyer un témoignage de considération à ses interlocuteurs et se donner des moyens de décoder la culture.

O. R : Revenons en France où vous occupez à titre personnel une place particulière dans le paysage des écoles de management. Vous êtes consulté sur tous les sujets. Votre avis a un poids important. Quel conseil donneriez-vous aux écoles de management françaises ?

F . B : D’abord de constamment s’adapter. Comme le montrent les spécialistes du darwinisme organisationnel, les organisations qui anticipent avancent et s’adaptent plus vite que les autres. Ce ne sont pas forcément les plus fortes ou les plus intelligentes qui gagnent au jeu de l’évolution mais ce sont celles qui s‘adaptent le mieux.

J’ai été très marqué dans mon cheminement par la culture de L’Oréal : saisir tout ce qui commence, saisir les signaux faibles, vivre dans l’insatisfaction constructive. Il ne faut jamais s’assoupir et se dire que l’on a atteint le meilleur système. Or en France on aime souvent se persuader qu’on a une solution valable pour longtemps.

En revanche, il est important de se pencher sur la motivation et l’attractivité dans l’enseignement de l’école maternelle à l’université. La qualité des enseignants et leurs conditions de travail déterminent l’excellence et la performance du système éducatif d’un pays. Les innovations technologiques de demain passent par la formation des futurs ingénieurs préparés par des professeurs bien considérés.

Il faudrait aussi multiplier les connexions des entreprises avec les écoles et les universités. En ayant le désir de côtoyer les entreprises tout au long de ma vie, j’ai été constamment stimulé par les bonnes pratiques de gestion, la nécessité de les formaliser et de les transmettre.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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