ECOLE D’INGÉNIEURS, EMPLOI / SOCIETE

Les Arts et Métiers au coeur des débats qui secouent l’enseignement supérieur: entretien avec Laurent Carraro, leur directeur général

Avec ses 6000 étudiants, Arts et Métiers ParisTech est la plus importante école d’ingénieurs française. Présente sur 14 sites, elle doit aujourd’hui s’organiser dans le cadre de plusieurs Comue (communauté d’universités et d’établissements). Ce qui ne l’empêche pas d’innover comme l’explique son directeur général, Laurent Carraro.

Olivier Rollot : À la rentrée vous avez créé une formation tout à fait nouvelle dans les écoles d’ingénieurs : un bachelor de technologie ouvert aux bacheliers STI2D. N’est-ce pas antinomique avec l’excellence qu’on attend des Arts et Métiers qui recrute habituellement des élèves de prépas sélectionnés parmi les meilleurs ?

Laurent Carraro : Mais l’excellence est partout : comme je le dis parfois « vous ne faites pas tous le même métier mais vous le faites excellemment bien ! ». Notre marque de fabrique c’est de former des jeunes que demandent les entreprises et elles demandent ce profil qu’on peut appeler « assistant ingénieur ». Nous ne formons pas que des P-DG même si j’espère que certains de ces 48 premiers étudiants de notre bachelor en technologie le deviendront. Ils pourront d’ailleurs continuer leur cursus en cycle ingénieur et nous pensons ainsi découvrir des « pépites ». Déjà ils manifestent une curiosité intellectuelle à laquelle nous nous attendions certes mais peut-être un peu plus tard. Très spécifique leur cursus est en effet divisé en deux parties : les cours le matin, les projets l’après-midi. Ils manifestent une réelle curiosité et une forte motivation. Ils ont par exemple demandé à avoir des cours de maths supplémentaires entre 12 h et 14 h. Ils veulent vraiment profiter à fond de ce que peuvent leur apporter les Arts et Métiers !

O. R : Allez-vous augmenter les effectifs et d’autres écoles vont-elles vous suivre dans cette voie ?

L. C : Pas l’année prochaine mais nous pensons arriver à 48 élèves par promotion bientôt. Nous espérons trouver des partenaires pour nous développer parmi les autres écoles d’ingénieurs. Peut-être pourrons-nous aussi travailler avec les IUT proches des deux implantations de notre bachelor (Bordeaux-Talence et Châlons-en-Champagne) qui n’avaient pas souhaité initialement s’associer à nous.

 

O. R : On aimerait ne parler que de pédagogie mais l’enseignement supérieur français est aujourd’hui en mutation avec la création de Comue (communauté d’universités et d’établissements). Et on ne peut pas dire que cela soit simple pour vous, notamment à Paris avec la Comue heSam, dont vous faites partie avec l’université Paris 1, l’ESCP Europe ou encore l’Ena, qui est en plein doute après le départ de plusieurs grandes écoles et un projet d’association avec Paris 2.

L. C : heSam est très compliqué mais nous y croyons toujours ! Nous avons un potentiel d’innovation collective très important car il y a vraiment un sens à nous associer avec une université en sciences humaines et d’autres établissements très différents de nous. Nous allons maintenant essayer de faire vivre heSam et de sauver l’initiative d’excellence Paris Nouveaux Mondes.

 

O. R : Présent sur une grande partie du territoire (entre autres Châlons-en-Champagne, Bordeaux, Angers, Cluny…) vous êtes donc dans plusieurs Comue et cela semble poser un vrai problème au ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

L. C : Au départ, oui. Mais récemment Mme Fioraso, la secrétaire d’État à l’enseignement supérieur, a confirmé que nous pouvions bien être membre de plusieurs Comue sans qu’il y ait besoin pour autant de nous diviser en plusieurs campus distincts alors que nous sommes juridiquement un seul et unique établissement. Nous allons donc maintenant pouvoir travailler à notre intégration dans les Comue Bourgogne Franche-Comté, Bretagne Pays-de-la-Loire et Champagne-Ardennes. En fait, nous serons membres d’une Comue principale, heSam, et nous aurons actions et mutualisations spécifiques dans chacune des autres.

 

O. R : La mise en place de ces Comue demande un travail considérable à toute la communauté universitaire. Cela en vaut-il vraiment la peine ?

L. C : De grands « mammouths » de 100 000, 200 000 étudiants vont-ils être plus efficaces qu’un établissement leader dans le monde comme Caltech aux États-Unis et ses 2000 étudiants ? Si on voulait absolument être les premiers dans le classement des universités de Shangaï il n’y avait qu’à créer une seule université de France !  Donc la logique de ce système ne peut se limiter à cela.
Aujourd’hui la plupart des Comue sont hors la loi puisque nous devions déposer nos statuts avant le 22 juillet 2014. Et l’appel à projets Idex arrive bientôt. Mais tout le monde ne sera pas sélectionné. Que vont dire ceux qui auront cravaché pour créer une Comue sans bien définir leur projet et ne seront pas sélectionnés ?  Le problème c’est qu’on part des statuts au lieu de partir du projet ! Sans compter que le coût de fonctionnement de la Comue risque d’être équivalent aux financements de l’Idex ! Un jeu qui risque d’être à somme nulle. Dans une période de restriction budgétaire et de recherche d’une plus grande attractivité internationale, nous sommes nous fixé le bon objectif et donné le meilleur moyen d’y parvenir ? Les COMUE peuvent être un bon outil mais elles doivent se constituer sur un projet et laisser de côté toute sorte d’aspirations hégémoniques qui n’aboutiraient qu’à des crispations inutiles.

 

O. R : Plusieurs écoles d’ingénieurs vous rejoignent aujourd’hui dans le cadre d’un nouveau réseau Arts et Métiers. Ce n’est pas antinomique avec les Comue ?

L. C : Les Comue ont une clé d’entrée géographique alors que notre réseau est résolument tourné vers un développement économique qui doit aujourd’hui être transrégional, voire transnational. Pour donner un exemple, si nous traitons au sein d’ Arts et Métiers de questions aéronautiques, nous nous appuierons alors sur nos implantations en Aquitaine, PACA et Pays de la Loire. On ne tire pas assez de conséquences de la mondialisation. L’une d’entre elle, si nous voulons être compétitifs, est de veiller à ce que nos territoires ne se cloisonnes et soient concurrents les uns des autres. Nous tirons tous dans la même direction : la compétitivité du pays !

O. R : Vous semblez parfois trouver que le ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a du mal à piloter les établissements dont il a la tutelle.

L. C : Toute la question est celle du terme de pilotage. L’Etat doit être stratège et fixer un cap général qui s’incarne dans sa relation avec les établissements via le contrat pluriannuel. Une fois les objectifs fixés et les indicateurs explicités, les établissements doivent être libres de leurs actions, sachant que la sanction – bonne ou mauvaise- viendra ensuite.
Nous en sommes encore loin, du fait des habitudes prises, où l’Etat reste en position de gestionnaire.

 

O. R : Votre fonctionnement risque d’évoluer avec une nouvelle répartition des moyens des établissements d’enseignement supérieur, ce qu’on appelle le modèle Sympa, qui devrait entrer en service en 2015 pour les écoles d’ingénieurs. Quelles premières conclusions en tirez-vous ?

L. C : Je ne comprends toujours pas pourquoi on vient de supprimer la notion de chercheur produisant et la notation des laboratoires. Il s’agissait de forts leviers de management dans les établissements. A la place, on se concentre sur l’emploi de professeurs qui font partie de l’Institut universitaire de France. Dans cette logique, je devrais en employer le plus possible pour avoir le plus de subventions possibles ! Il semble aussi que cette nouvelle affectation de moyens traite tous les établissements de la même manière et puisse affecter les grandes universités de recherche. Or une université comme l’UPMC [Paris 6] est un pôle de représentation de la France dans le monde entier : elle doit bénéficier pour cela de moyens spécifiques.

 

O. R : Justement, parlons argent. Comment se portent les Arts et Métiers financièrement ?

L. C : Comme tout le monde nous souffrons mais je ne veux pas me plaindre. Aujourd’hui nous sommes parmi les établissements d’enseignement supérieur qui reçoivent en proportion le moins de l’État : sur un budget de 130 millions d’euros, notre autofinancement atteint les 44%. Pour cela, nous bénéficions du soutien des collectivités locales, de notre formation continue  (8 millions d’euros) ou encore de contrats industriels à hauteur de 15 millions.

 

O. R : Les droits d’inscription ne représentent que trois millions d’euros. Comme les Ponts ou les écoles des Mines Télécom pensez-vous à augmenter le montant de vos droits ?

L. C : Cette question ne dépend pas de nous mais de notre ministère qui ne souhaite pas bouger pour l’instant. Pourtant, il faudra bien traiter cette question des droits d’inscription, même si le faire ne résoudra pas à elle seule l’équilibre économique des établissements.

 

O. R : Les futurs contrats État-régions semblent devoir sacrifier l’enseignement supérieur. Qu’en est-il pour vous ?

L. C : En fait pour les Arts et Métiers cela dépend des régions mais il va y avoir clairement des problèmes de maintenance de notre immobilier avec les baisses de crédit programmées, nous avons estimé qu’il nous faudrait aujourd’hui 185 millions d’euros pour mettre tous nos bâtiments aux normes actuelles.

 

O. R : Quand on pense Arts et Métiers on pense gadzarts et le plus puissant réseau d’anciens de France. Cela permet-il à votre fondation de se développer ?

L. C : Elle est excellente là où les autres sont encore balbutiants c’est-à-dire dans la collecte auprès des anciens qui abonde aujourd’hui à hauteur de 2 millions d’euros dans notre budget. Par contre nous ne faisons pas encore assez de travail vers les entreprises pour générer des actions de mécénat. Nous avons là de grandes marges de progression.

O. R : On a beaucoup parlé d’autonomie des établissements ces dernières années. Mais de quelles marges de manœuvre bénéficiez-vous aujourd’hui dans le recrutement de vos enseignants ?

L. C : Jusqu’ici le recrutement des enseignants-chercheurs était un cauchemar administratif mais nous avions au moins la possibilité de mettre notre véto en cas de recrutement vraiment trop inadapté. Depuis un décret de septembre dernier, nous n’avons plus ce droit. Tout ce que nous pouvons faire c’est de définir un profil de poste et d’attendre en espérant. Comment voulez-vous bien gérer un établissement si vous n’avez pas la main sur le recrutement des personnels sur lesquels on activité de formation et de recherche est fondée?

Autre exemple : les heures d’enseignement et équivalent TD que doivent assurer les enseignants. Elles sont de 192 heures et nous devons régulièrement mettre au point un référentiel d’équivalence pour comptabiliser les heures passées en animation pédagogiques, tutorat, suivi de projet… L’instance qui doit adopter ce référentiel ne comprend aucun directeur d’établissement ! Avec ces quelques exemples, vous comprenez que notre capacité d’action est très limitée !

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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