CLASSES PREPAS

Les classes préparatoires de proximité : une chance pour l’égalité ?

Par Simon Badiou, membre du conseil d’administration de l’APHEC et professeur de mathématiques en classes préparatoires au lycée Paul Valéry à Paris.

Et Christophe Viscogliosi, membre du conseil d’administration du bureau de l’APHEC et professeur de sciences économiques et sociales en classes préparatoires au lycée Olympe de Gouges à Noisy-le-Sec.

Dans la filière économique et commerciale, les classes préparatoires dites de  « proximité » ont été créées dans le but de démocratiser l’accès aux classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) et grandes écoles de commerce. La pari a-t-il été réussi ? Peut-on encore mieux faire pour favoriser l’égalité des chances ?

Les classes préparatoires dites de « proximité » sont très répandues aujourd’hui. On en trouve dans les trois principales filières des classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) : les filières littéraire, scientifique et économique et commerciale. Leur nombre n’est pas clairement établi puisqu’elles sont considérées comme des CPGE à part entière et non pas comme des CPGE à statut particulier. Si les effectifs sont plus faibles dans ces classes préparatoires, elles dispensent les mêmes enseignements avec le même volume horaire que n’importe quelle autre CPGE ; les enseignants y sont également nommés par l’Inspection générale.

Ces similitudes s’expliquent par l’objectif initial de ces classes préparatoires de proximité : démocratiser l’accès aux CPGE et, in fine, aux « grandes écoles ». En effet, traditionnellement, depuis la seconde moitié du XIXème siècle[1], les CPGE ont eu un recrutement élitiste. C’est encore le cas aujourd’hui puisque en 2017-2018, 48,5% des étudiants inscrits en dans une CPGE classique ou intégrée dans une école sont des enfants de cadres ou professions intellectuelles supérieures, alors que cette catégorie ne représente que 30% effectifs universitaires. L’objectif initial des classes préparatoires de proximité a-t-il été tenu ? Dans quelle mesure parviennent-elles à démocratiser l’accès aux CPGE et grandes écoles ? Précisons que nous nous focaliserons sur la filière économique et commerciale[2] à partir de nos expériences personnelles[3].

Les classes préparatoires de proximité, un ascenseur social

Le premier et principal constat auquel nous aboutissons est que les classes préparatoires de proximité permettent largement à des étudiants issus de milieux populaires (ouvriers, employés) de bénéficier d’une mobilité sociale ascendante. Tous les étudiants qui présentent les concours à la fin de la deuxième année en réussissent au moins un et, le plus souvent, plusieurs. Ils accèdent à l’une des 24 grandes écoles de commerce post-prépa qui leur offrent à la fin de la formation un statut de cadre et des conditions de vie très favorables. La mobilité ascendante de nos étudiants s’appuie également sur l’acquisition d’une culture générale, de savoir-faire (raisonnement, argumentation, expression orale) et savoir-être (travail de groupe), qu’ils auraient eu sans doute plus de difficultés à acquérir dans leur milieu social d’origine. Il faut dire qu’ils suivent une formation gratuite de haut niveau, exigeante, complète et rigoureuse avec près de 900h de cours par an. Ces connaissances et compétences ne leur sont pas utiles uniquement pour les concours, mais leur profiteront tout au long leur formation et carrière professionnelle.

Nous ne disposons pas de données chiffrées sur le taux de réussite et l’intégration des étudiants de classes de préparatoire de proximité à l’échelle nationale issus d’un milieu modeste, mais il suffit de consulter les résultats de quelques-unes d’entre elles pour constater l’effet d’ascenseur social. Au lycée Olympe de Gouges de Noisy-le-Sec environ 80% des étudiants qui ont passé les concours en 2018-2019 était boursiers (au sens du CROUS) avec une large majorité d’échelon supérieur à 1. Tous les étudiants ont eu au moins une école et, sur les 15 qui ont décidé d’en intégrer une, 14 avaient une école du top 15 (d’après le classement SIGEM de 2019).

Prendre son bâton de pèlerin

La réussite des classes préparatoires de proximité nécessite un investissement considérable des enseignants, en dehors des activités pédagogiques, et des personnels de direction pour attirer les étudiants. Le « marché » de l’enseignement supérieur dans lequel elles évoluent est très concurrentiel. Par rapport aux classes préparatoires du marché primaire[4], elles attirent moins de candidatures sur Parcoursup et le pourcentage de vœux 1 par établissement est nettement plus faible. Il revient aux enseignants, à la direction et aux étudiants, lorsqu’ils sont sollicités, de se mobiliser pour faire la promotion de leur classe préparatoire dans l’objectif unique,  le plus souvent, de faire le plein. Il leur faut alors apprendre à maitriser différents canaux de communication alors qu’ils n’ont pas été formés pour. Les stratégies de communication peuvent être très diverses.

Elles peuvent mobiliser des ressources en interne : création d’un site internet, présence sur les forums de l’enseignement, visites des lycées environnants (Journées portes ouvertes, intervention dans les classes), proposer des journées d’immersion, etc. Au lycée Olympe de Gouges, toutes ces ressources ont été utilisées, mais la plus importante, parce qu’efficace, demeure les visites de lycées. Il s’agit alors de prendre son « bâton de pèlerin » et de se répartir entre collègues les visites des lycées environnants. En général, l’équipe pédagogique, aidée des étudiants, visite une trentaine d’établissements chaque année, soit 5-6 visites en moyenne par enseignant. Les conditions d’accueil peuvent être très variables : tantôt, la participation à un forum de l’orientation où l’enseignant reste assis plusieurs heures à attendre les rares étudiants qui viendront le voir ; tantôt, une intervention devant une classe de terminale enthousiaste où l’enseignant a le sentiment d’être écouté et de convaincre son auditoire.

Les ressources externes peuvent être très utiles. Par exemple, toujours au lycée Olympe de Gouges, il existe un partenariat avec la mission pour l’égalité des chances de HEC qui propose aux étudiants un séminaire de pré-rentrée, des stages en langues et mathématiques, des séances de coaching. Les étudiants bénéficient également du programme de mentorat « Trajet d’avenir » de la Fondation RATP[5] grâce auquel nos étudiants sont suivis, s’ils le souhaitent, par des cadres de la RATP.

Des représentations à dépasser

La stratégie du bâton de pèlerin est la stratégie de communication la plus efficace car, non seulement elle fait découvrir à un grand nombre de lycéens (plus qu’on ne le pense sans doute) l’existence des CPGE, mais en plus, elle permet de lutter contre les fausses croyances au sujet de ces formations. Les classes préparatoires sont encore trop souvent associées à une formation très élitiste socialement, fondée sur une hyper compétition de chacun contre chacun, où seuls les meilleurs réussiraient et tous les autres échoueraient. Ces représentations sont partagées par un nombre non négligeable de lycéens, leurs parents, mais aussi par des enseignants. Rien de mieux alors qu’une intervention dans un lycée, préparée en amont par les enseignants de l’établissement, pour battre en brèche ces représentations.

Il faut faire comprendre que peu (voire aucune à notre connaissance) de classes préparatoires correspondent à ce modèle et, encore moins, les classes préparatoires de proximité. Elles sont mêmes génétiquement à l’opposé de ces représentations car, dès l’origine, les classes préparatoires de proximité ont été conçues pour démocratiser l’accès à cette formation et aux grandes écoles. Casser ces représentations constitue un exercice difficile puisqu’elles sont déjà solidement ancrées. De plus, il faut trouver un point d’équilibre dans le discours entre, d’un côté, la nécessité de rassurer les étudiants sur la bienveillance des classes préparatoires de proximité, le suivi individualisé et, d’un autre côté, l’affirmation des exigences académiques de la formation pour maximiser les chances de réussite aux concours.

Ces deux discours apparaissent comme antagonistes pour les élèves : si le discours sur la bienveillance est trop marqué, les élèves auront tendance à penser que cette classe préparatoire de proximité est une « sous-classe préparatoire » ; si le discours sur l’exigence académique ressort trop, le risque est de conforter les élèves dans leurs représentations élitistes des classes préparatoires et de ne pas pouvoir les recruter. Dans les faits, ces deux réalités se complètent l’une et l’autre : le suivi individualisé des étudiants dans les classes préparatoires de proximité les aide à s’épanouir, progresser et mieux réussir aux concours.

Présenter toutes les solutions

Une autre représentation, plus spécifique à la filière économique et commerciale, et compliquée à désamorcer porte sur le coût des études. Contrairement à la précédente représentation, celle-ci se fonde sur réalité tangible : les frais de scolarité dans les grandes écoles de commerce sont effectivement très élevés. En 2019, il faut compter en moyenne 40 313 euros pour financer l’intégralité de la formation et ces frais ont augmenté de 73% en 10 ans[6]. Cet argument dissuasif pour les élèves est particulièrement difficile à nuancer lorsqu’on fait la promotion d’une classe préparatoire de proximité auprès d’élèves issus de milieux modestes (et classes moyennes). C’est notamment le cas au lycée Olympe de Gouges dont le bassin de recrutement se trouve principalement en Seine-Saint-Denis. On présente alors les différentes solutions de financement : le crédit bancaire remboursable à partir du moment où l’étudiant trouve un emploi ; l’alternance pour que l’entreprise prenne en charge les frais de scolarité et verse une indemnité ; les écoles qui parfois proposent des frais de scolarité réduits voire nulles pour les boursiers ; avoir un « petit job » pendant les études, etc.

Même si ces arguments sont justes, il est impossible de savoir s’ils sont suffisamment convaincants pour attirer des élèves de milieux modestes en classe préparatoire dans le but d’intégrer une grande école de commerce. C’est la raison pour laquelle un autre argument complémentaire peut être mobilisé : les classes préparatoires de proximité ne débouchent pas uniquement sur les grandes écoles de commerce. Les CPGE économiques et commerciales préparent directement aux concours d’autres grandes écoles publiques et gratuites (ENS Paris-Saclay, ENSAE, ESM de Saint-Cyr), mais aussi, plus largement, à de nombreuses formations universitaires (économie-gestion, MASS, AES) dont les Écoles de Management Universitaires[7]. Ces formations peuvent être particulièrement appropriées (sans s’y réduire bien entendu) pour des étudiants de milieux populaires qui fréquentent les classes préparatoires de proximité et qui ne disposent pas des ressources économiques suffisantes pour financer une grande école de commerce. D’expérience, les lycéens que nous rencontrons, les étudiants que nous recrutons, ne connaissent pas assez ces débouchés. Ils assimilent les CPGE économiques et commerciales à une préparation presque exclusivement réservée aux grandes écoles de commerce. Il apparaît alors nécessaire de présenter ces formations publiques, gratuites, en plus des grandes écoles de commerce, aux lycéens et étudiants pour les attirer au sein des classes préparatoires de proximité et faire fonctionner l’ascenseur social.

Prendre l’ascenseur jusqu’au dernier étage ?

Si les classes préparatoires de proximité favorisent l’égalité des chances, elles peuvent le faire encore davantage en aidant les élèves et étudiants à s’arracher de leurs représentations biaisées, parfois faussées, de la réalité grâce à une meilleure communication. C’est la raison pour laquelle l’APHEC, ESCP BS et SKEMA BS ont créé un MOOC à destination, entre autres, des lycéens, étudiants et de leurs parents qui présente les formations en CPGE économiques et commerciales et grandes écoles de commerce[8]. D’autres dispositifs existent déjà et doivent être renforcés. Il faut que les grandes écoles de commerce poursuivent leurs politiques d’aides financières auprès des élèves de milieux modestes (frais de scolarité réduits, progressifs, gratuité), même si la concurrence internationale accrue et la baisse des aides publiques les contraignent à augmenter leurs frais de scolarité. Les partenariats entre grandes écoles et classes préparatoires de proximité sont également très utiles à l’image de celui qui existe entre la mission pour l’égalité des chances de HEC et le lycée Olympe de Gouges. Enfin, il est indispensable d’accentuer le maillage territorial des classes préparatoires de proximité, notamment dans les zones où traditionnellement les élèves ne s’orientent pas vers cette formation.

Toutefois, malgré ces dispositifs existants, on constate que le nombre d’étudiants en provenance des classes préparatoires de proximité qui intègrent les meilleures écoles de commerce reste très faible. Ce constat interroge l’objectif des classes préparatoires de proximité. Doivent-elles se cantonner à ce qu’elles font déjà très bien, c’est-à-dire préparer des étudiants à intégrer dans leur grande majorité de « bonnes » écoles de commerce ? Ou alors, doivent-elles être considérées comme des CPGE au même titre que celles du marché primaire et, si oui, comment faire en sorte que leur taux de réussite dans les meilleures écoles de commerce soit plus élevé ? Si l’on adopte le deuxième point de vue, il faut envisager de nouvelles solutions. On pourrait imaginer que les meilleurs élèves fréquentent davantage les classes préparatoires de proximité au lieu de fuir vers les CPGE du marché primaire. Cette solution suppose de rompre avec la logique permanente du classement entre les CPGE (classement dans les médias, dans les représentations des enseignants, des élèves) pour faire comprendre que ce n’est pas la classe préparatoire qui fait l’élève mais l’inverse.

On pourrait imaginer que les meilleures écoles de commerce modifient également leurs modalités de recrutement. Quand on sait le caractère socialement discriminant des épreuves écrites dans la filière économique et commerciale, pourquoi ne pas augmenter le nombre d’admissibles et donner leurs chances à un plus grand nombre de candidats, dont ceux issus des classes préparatoires de proximité, de faire valoir leurs qualités personnelles à l’oral ? Même s’il faut l’étudier plus en profondeur, cette solution pourrait favoriser l’ouverture sociale des grandes écoles et l’égalité des chances comme l’a souhaité la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’innovation, Frédérique Vidal, en octobre dernier.

 

[1]Bruno Belhoste, « La préparation aux grandes écoles scientifiques au xixe siècle : établissements publics et institutions privées », Histoire de l’éducation, 90 | 2001, 101-130. https://journals.openedition.org/histoire-education/834#quotation

[2] Notons qu’une étude récente a été consacrée aux classes préparatoires de proximité dans la filière scientifique. Yves Dutercq, Xavier Lanéelle, Christophe Michaut et Pauline David, « Les classes préparatoires de proximité, entre démocratisation et loi du marché », Éducation et formations, n°100, décembre 2019, p 169-184

[3] Il ne s’agit pas ici d’un article de recherche au sens académique du terme ; il s’agit davantage d’un témoignage, d’une réflexion personnelle à partir de nos expériences respectives.

[4] Dans leur article, Yves Dutercq, Xavier Lanéelle, Christophe Michaut et Pauline David distinguent pour les classes préparatoires scientifiques deux marchés : le « marché primaire » et le « marché secondaire ». Le premier est constitué de 38 lycées qui ont un taux de reçus dans les « très grandes écoles » supérieur à ma moyenne. Le second, qui regroupe 186 lycées, est scindé en deux sous-groupes : le marché A avec 134 lycées qui ont au moins un reçu au cours des 5 dernières années dans les « très grandes écoles » et le marché B avec 52 lycées qui n’en ont aucun.

[5] « La Fondation Groupe RATP s’engage » in L’essentiel du Sup, n°33, décembre 2019.

[6] https://major-prepa.com/ecoles/frais-de-scolarite-ecoles-de-commerce/

[7] Il y en 35 en France qui proposent des formations universitaires en management (Licence, Master, Doctorat) et sont regroupées au sein du réseau IAE France – https://www.iae-france.fr

[8] https://www.fun-mooc.fr/courses/course-v1:cpge-economiques+153001+session02/about#

 

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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