ACCRÉDITATIONS / LABELS, ECOLES DE MANAGEMENT

Les écoles de management présentent leur référentiel DD&RS

Pour adapter le programme de leurs écoles à l’urgence des enjeux de transition, a Conférence des directeurs des écoles françaises de management (Cdefm) et la Cefdg (Commission d’évaluation des formations et diplômes de gestion) ont présenté ce 9 juin un tout nouveau  référentiel DD&RS lors d’un colloque sur le campus parisien de Skema, Même si les initiatives en ce sens se sont propagées ces dernières années, les établissements « ont encore du mal à intégrer ces enjeux de façon obligatoire au sein des enseignements existants » écrivent les étudiants du collectif Pour un réveil écologique.

Un défi collectif et continu. Ce référentiel représente d’une part la mise à l’agenda des enjeux écologiques et sociétaux et, d’autre part, « un travail pour lequel les écoles sont déjà investies depuis plusieurs années » indique Alice Guilhon, directrice générale de Skema et présidente de la Cdefm. C’est pourquoi il fallait le penser et le « construire collectivement, tous ensemble, pas en compétition », ajoute-t-elle. Un mode de fonctionnement destiné à homogénéiser un socle minimum de compétences et de connaissances enseignées par les différentes écoles membres de la conférence.

Co-piloté par le directeur général du Groupe Excelia, Bruno Neil et Julie Perrin-Halot, directrice du développement durable de la qualité, des accréditations et des relations internationales de Grenoble École de Management (GEM), ce projet regroupe en effet nombre de membres et d’écoles : Alexandre Asselineau (BSB), Pierre Baret (Excelia), Elise Bruchet (Neoma), Tamim Elbasha (Audencia), Stéphanie Friess (Essec), auxquels s’ajoutent deux membres de la Cefdg avec Claire Bordenave et Jérôme Chabanne-Rive. Cette approche commune se retrouve d’ailleurs jusque dans la méthodologie employée pour laquelle « beaucoup d’entretiens ont été réalisé afin d’incorporer un maximum d’acteurs de l’écosystème » précise Bruno Neil.

Alice Guilhon ouvre le colloque

Deux référentiels. De ce travail, deux référentiels aboutissent aujourd’hui : un au niveau bachelor et un autre au niveau master ; chacun contenant six objectifs associés à des compétences spécifiques :

Pour le niveau bachelor :

  • Décrire l’urgence à agir en prenant en compte la dimension systémique des enjeux
  • Expliquer l’impact de leur mode de vie sur le climat et la biodiversité et déterminer ses marges de manœuvre pour agir
  • S’appuyer sur les outils existants pour caractériser la relation d’une organisation à l’environnement
  • Contribuer à imaginer de nouveaux modèles économiques en s’appuyant sur des exemples inspirants
  • Avoir une démarche réflexive en matière d’inclusion
  • Mobiliser d’autres acteurs et co-agir en responsabilité

Pour le niveau master :

  • Inscrire leur action managériale dans une vision prospective des enjeux
  • Avoir un regard critique sur l’impact social et environnemental d’un produit/service et d’une organisation
  • Piloter la mesure de la performance écologique et sociale
  • Transformer les modèles économiques pour les rendre plus circulaires
  • Mettre en œuvre une démarche de management éthique et inclusif
  • Engager les collaborateurs et les parties prenantes et co-agir en responsabilité

La distinction entre ces deux grades comporte une nuance assez importante, comparée au « série » et au « sur-mesure » par Bruno Neil. Alors qu’au niveau bachelor, on « apprend à déployer des solutions existantes et adaptées », au niveau master on « apprend à les créer ».

S’interroger sur les enjeux écologiques et les questions de RSE. Dans tous les cas et dans chaque cours, il faut s’« interroger sur les enjeux écologiques et les questions de RSE. Nous n’avons pas vocation à faire des cours qui soient non-responsables », résume Bruno Neil. Avis unanimement partagé, notablement par les étudiants qui ne « souhaitent plus de cours RSE isolés et parfois en contradiction avec le reste du programme » exprime Romain Vismara, président du Bureau national des étudiants en écoles de management (BNEM).

Mathilde Gollety, la présidente de la Cefdg, invite quant à elle les écoles à « quitter leur zone de confort » et à « dépasser le champ disciplinaire des sciences de gestion ». Ces engagements répondent à la nécessité de « décloisonner les savoirs et les champs d’expertise » et de multiplier les « points de vue » pour transformer les programmes face à l’urgence (Renouard et Beau, 2021)

Mais il ne s’agit encore que d’une première étape, ce référentiel étant un « objet vivant, destiné à évoluer avec les expérimentations de chacun » déclare Alexandre Asselineau. « Indicatif », ce document invite donc bien chaque école « à développer par elle-même le chemin pour arriver à ce point, selon leur propre cohérence d’ensemble », souligne Bruno Neil, la liberté académique devant rester à l’honneur. C’est d’ailleurs avec cette philosophie que la Cefdg intègre ces réflexions à ses outils d’évaluation puisqu’il s’agit de « critères d’évaluation qualitatifs pour laisser […] la liberté et la possibilité de choisir [comment] former et préparer ses étudiants aux défis des transitions » insiste Mathilde Gollety.

Ce travail collectif va donc se poursuivre et conduire à un plan d’accompagnement pour la rentrée prochaine. Mais si le référentiel DD&RS représente une initiative encourageante elle est insuffisante pour faire face aux enjeux RSE, qui doivent être approchés de façon holistique et mobiliser toutes les parties prenantes comme l’explique Michel Eddi, Haut fonctionnaire au développement durable du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, qui affirme que « le temps du volontariat est terminé, il faut passer à l’action collective. Tout le monde est concerné et tout le monde doit participer ».

Un résumé des débats par l’un des dessinateurs présents lors du colloque

Le corps enseignants : une partie prenante au cœur des évolutions portées par ce nouveau référentiel. Les enseignants et l’évolution de leur rôle sont au centre des réflexions des institutions. En témoigne l’atelier thématique dédié à leur formation mis à l’agenda du colloque de la Cdefm. Le corps professoral fait désormais face à une « petite révolution culturelle » insiste Michel Eddi : leur paradigme d’enseignement est bouleversé et ils doivent se former aux enjeux de la DD&RS, ce qui les amène bien souvent à explorer des objets de connaissance en dehors de leurs champs disciplinaires traditionnels. Ce nouveau paradigme d’enseignement soulève alors plusieurs problématiques liées à la posture des enseignants. Les chercheurs Jean, Carrey, Foujols et Blanc (2021) en recensent trois majeures :

  1. Quelle est la légitimité nécessaire pour enseigner ces thématiques DD&RS ? Quel niveau de connaissances et compétences minimum envisager ?
  2. Faut-il adopter une posture neutre ? Qu’est-ce que la neutralité dans un contexte d’urgence climatique ? Comment faire lorsque le DD&RS rentre en contradiction avec certains paradigmes sociétaux dominants ?
  3. Comment susciter l’action chez les étudiants et non le désespoir ? Quelles actions et marges de manœuvre proposer ?

La formation des professeurs sur ces thématiques, bien que centrale, n’est pas aisée, car il n’existe pas d’outils, de guides ni de référentiels centralisés et s’apparente aujourd’hui à une auto-activité des enseignants. Plusieurs pistes de réflexion ont été abordées lors du colloque, elles se structurent autour de deux grands périmètres d’action : former et accompagner le corps professoral.

Les établissements, partie prenante moteur des évolutions institutionnelles. Outre cette implication stratégique, les institutions se doivent également d’engager la transformation de leur organisation et de leurs campus pour s’adapter aux enjeux du DD&RS. Cela passe notamment par l’implication de la gouvernance et une allocation suffisante de moyens financiers et humains. Dans le cadre du référentiel proposé par la Cdefm, Michel Eddi précise que « le schéma directeur devra être présenté au CA et voté officiellement pour affirmer l’investissement de la gouvernance dans ces sujets ». Les chercheurs Renouard et Beau (2021) soulignent par exemple qu’en plus d’une gouvernance impliquée, il est « nécessaire d’élaborer une stratégie claire pour permettre la mise en place de procédures et des indicateurs de suivi ».

C’est dans cet esprit que de nombreuses initiatives ont eu lieu ces dernières années au sein de secteur de l’enseignement supérieur, à l’instar de l’école Polytechnique qui au travers du déploiement de son « plan climat » s’est non seulement doté d’un comité stratégique dédié à la RSE, d’un advisory board et d’un comité de pilotage. L’établissement a également formalisé 10 objectifs qui sont pilotés à l’aide d’indicateurs.

Les étudiants, co-acteurs du « réveil écologique de leur établissement ». Un atelier dédié à la thématique de la RSE au sein de l’expérience étudiante lors du colloque de la Cdefm a été l’occasion de réaffirmer le rôle central de ce public pour trouver des leviers d’action face aux enjeux du DD&RS. La tribune « Pour un enseignement de la transition écologique »de Jean, Carrey, Foujols et Blanc (2021) reprend ce constat et souligne l’augmentation constante des initiatives étudiantes dans le débat public, ce qui a « ouvert une brèche dans les programmes du supérieur » avec une « légitimité nouvelle ». On note par exemple des initiatives fortes portées par des collectifs tels que « Pour un réveil écologique » qui a notamment pour objectif de donner aux étudiants toutes les ressources nécessaires pour organiser le « réveil écologique de leur établissement ».

Un sujet qui émerge en 2015. Si c’est bien le 9 juin 2023 que la CDEFM et la CEFDG ont présenté leur référentiel DD&RS le sujet en réflexion, lui, n’est pas nouveau et s’inscrit dans une longue histoire, celle de l’enseignement supérieur et de la transition écologique et sociale.  Dès les années 1990, cette idée est défendue par l’UNESCO : l’éducation doit inclure le développement durable. Mais c’est en 2015 que la question commence à se poser plus nettement : la prise de conscience s’accélère, les mobilisations sociales portées par les étudiants s’amplifient, avec « les marches pour le climat » notamment. Et d’autres actualités maintiennent ce cap : le bien connu rapport spécial du GIEC de 2018, le «Manifeste pour un réveil écologique » écrit par des étudiants de Grandes écoles, ou encore la convention citoyenne pour le climat et sa demande de « généralisation de l’éducation à l’environnement et au développement durable dans le modèle scolaire français » (Bortzmeyer, 2021).

L’activité du débat public se double alors de transformations et d’initiatives de la part de l’enseignement supérieur ; l’étape de la sensibilisation devant effectivement être dépassée. La Conférence des présidents d’université (CPU) et la Conférence des Grandes écoles (CGE) contribuent largement à l’ouverture de cette brèche en produisant en 2015 le label DD&RS. D’autres organisations intègrent ces questions à l’instar de la EFMD, qui incorpore de « façon transverse des critères d’éthique et de soutenabilité » dans ses accréditations, explique Éric Cornuel lors de ce colloque du 9 juin. Le référentiel « Green comp » (d’ailleurs utilisé pour construire le socle de la CDEFM), le récent schéma directeur DD&RSE du MESR, sont d’autres exemples d’institutionnalisation de ces enjeux et de la nécessité des établissements de se transformer. Une voie de changement que devrait suivre le contenu de leurs programmes, mais pour lors, les établissements « ont encore du mal à intégrer ces enjeux de façon obligatoire au sein des enseignements existants » écrivent les étudiants du collectif Pour un réveil écologique.

Le monde économique et le secteur de l’ESR : une relation symbiotique. Yannick Servent, co-fondateur de la Convention des entreprises pour le climat, le souligne, il est important de former les nouvelles générations aux enjeux planétaires, mais il est aussi central de prendre en compte les générations déjà présentes sur le marché du travail, et plus particulièrement les dirigeants. Il précise ainsi qu’il est crucial « d’amener l’information chez les bonnes personnes, chez les décisionnaires, au bon rythme, car il y a urgence ! »

Dans ce cadre, la formation continue représente l’un des leviers essentiel de cette transition du monde économique vers des business models plus durables. Reste désormais à développer des référentiels d’évaluation qui intégreraient de façon plus affirmée les caractéristiques des formations continues pour engager des évolutions pérennes.

Comme le souligne le rapport de l’association « Pour un réveil écologique » (2020), « si les écoles et universités évoquent une volonté de s’inscrire de manière cohérente dans la transition écologique, les moyens mis à disposition, financiers ou humains, ne permettent souvent pas d’être à la hauteur des ambitions. Les transformations nécessaires demandent en effet d’allouer un certain temps à la réflexion sur l’ensemble des axes stratégiques définis dans le Grand Baromètre : stratégie et gouvernance, formation, débouchés professionnels, recherche, campus durable et vie associative sont autant de chantiers conséquents.» La transition de nos institutions nécessite de se saisir simultanément de plusieurs volets.

  • Juliette Berardi et Blanche Piot

Bibliographie :

  • Renouard, Cécile ; Beau, Rémi. « L’enseignement et la formation dans la transition écologique et sociétale. Introduction », Responsabilité et environnement, no.101, pp.91-95.
  • Jean, Kévin ; Carrey, Julian ; Foujols Marie-Alice. « Pour un enseignement de la transition écologique », Tribune, 2021.
  • Pour un réveil écologique. « L’écologie aux rattrapages. L’enseignement supérieur français à l’heure de la transition écologique : état des lieux et revue des pratiques », février 2021.
  • Bortzmeyer, Martin. « Prendre en compte les enjeux environnementaux et de durabilité dans la formation initiale et continue. Un point de vue depuis le ministère de la transition écologique », Revue française d’administration publique, vol. 179, no. 3, 2021, pp. 639-656.

 

 

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