ECOLE D’INGÉNIEURS

Les écoles d’ingénieurs à l’heure des transitions

Après l’Institut Mines Télécom (IMT) en décembre ce sont deux écoles d’ingénieurs (Estaca et IMT Nord Europe) qui ont présenté le 2 février leurs nouvelles stratégies. En se définissant comme « l’école des transitions » JUNIA va encore plus loin. Leur point commun : un repositionnement sur les transitions environnementale et sociétale. Un repositionnement très fort quand on se souvient qu’en 2020 le rapport du think tank des Arts et Métiers Quels ingénieurs pour l’industrie du futur ? évoquait certes « un monde complexe » mais ne proposait aucun chapitre consacré au développement durable. En moins de trois ans le regard des ingénieurs aura ainsi profondément évolué. Sans doute parce que, comme on l’explique du côté de IMT Nord Europe, les étudiants « affirment de plus en plus une quête de sens dans leur métier futur et accordent désormais une importance particulière aux formations à forte dimension environnementale »

  • Photo : Centrale Lyon

« L’Estaca sera toujours une école des transports mais décarbonés ! » « Les étudiants nous parlent beaucoup de la nécessité de se former à la mobilité décarbonée. Nous testons leur intérêt réel sur le sujet avec ce diplôme », explique Jean-Michel Durepaire, son directeur général, en présentant son nouveau plan stratégique « dans un monde qui vit de multiples crises, énergétique, sanitaire, géopolitique ». Un développement qu’il conçoit en s’associant avec d’autre écoles – l’Estaca est déjà membre fondateur du groupe Isae – tout en développant un quatrième campus après Paris-Saclay, Laval et Bordeaux. L’Estaca est déjà certifiée qualité ISO 9001 et entend également obtenir le label DD&RS. « L’Estaca sera toujours une école des transports mais décarbonés ! » insiste-t-il.

La pédagogie va évoluer avec la « création d’un référentiel de compétences qui va déboucher sur un référentiel de formation », souligne Philippe Guibert, le directeur des formations de l’école, qui entend « produire une véritable transformation de la formation d’ingénieur ». Elle passe notamment par la création de trois nouveaux départements : sciences de l’ingénieur, mobilités, et ingénierie durable et responsable. « Nos étudiants doivent avoir des compétences dans les transitions mais aussi numériques. Ils doivent pouvoir mesurer leur propre empreinte carbone », précise Philippe Guibert.

« IMT Nord Europe entend façonner les talents d’aujourd’hui et les connaissances de demain pour porter les transitions écologiques, numériques et industrielles. » Alain Schmitt, le directeur d’IMT Nord Europe, présente ainsi les impératifs de son nouveau plan stratégique tout en insistant : « Les défis que devront relever les ingénieurs bâtisseurs de demain sont exigeants. Nous avons la responsabilité de les accompagner dans le développement de nouvelles compétences au service de la transformation responsable des acteurs économiques, aussi bien à travers notre offre de formation qu’avec nos Centres de Recherche et d’Innovation, afin d’agir pour un monde plus durable ».

L’objectif est de former les étudiants pour qu’ils puissent apporter leur expertise dans la transition de la société vers l’éco-responsabilité. IMT Nord Europe affirme à cet effet sa volonté d’adapter ses formations grâce à une offre de formation aux « modalités pédagogiques innovantes », notamment avec une approche par compétences déployée dans tous les programmes. C’est le cas notamment de la filière Plasturgie et matériaux composites dans laquelle le rôle des ingénieurs s’accroît considérablement, notamment en ce qui concerne le recyclage des matériaux pour limiter leur impact environnemental.

« L’Institut Mines Télécom (IMT) a défini sept grands enjeux pour un avenir durable. » Odile Gauthier, directrice générale de l’Institut Mines Télécom (IMT), a présenté ainsi fin décembre 2022 son plan stratégique 2023-2027. Un monde en « transformation profonde, un monde en grande incertitude, une évolution en profondeur des attentes des étudiants, la croissance des besoins de recherche, la transformation de l’économie et des entreprises, la transformation de l’enseignement supérieur et la recherche français et européen », tels sont les six grands enjeux qui engagent pour l’IMT le septième qui est l’évolution de l’offre de formation.

Menée depuis 2019 par une directrice très impliquée dans les questions de transition écologique – elle a dirigé auparavant le Conservatoire du littoral après avoir été directrice de l’eau et de la biodiversité au sein du ministère de l’Environnement – l’IMT inscrit aujourd’hui toute son action dans une perspective de la transition écologique et d’ouverture sur la société. « Nous souhaitons que nos campus soient des hubs d’échange avec la société civile, plus ouverts sur le monde extérieur, en y créant des activités », assure Odile Gauthier.

  • La stratégie complète de l’IMT est résumée ici. Chaque école membre de l’IMT travaille aujourd’hui dans le cadre de ce plan stratégique global et rendra son propre plan en mars 2023. L’IMT Nord Europe l’a présenté le premier.

« JUNIA est l’école des transitions », explique Thierry Occre dont les équipes se « concentrent particulièrement aujourd’hui sur quatre grandes transitions : nourrir durablement la planète, l’accélération de la transition énergétique et urbaine, l’accélération de la transition numérique et industrielle, les technologies au service de la santé et du bien-être ».

JUNIA porte ainsi un MOOC, sous l’égide de l’Université catholique de Lille, consacré aux problématiques environnementales et écologiques. Il est destiné à tous les étudiants de l’Université catholique de Lille et chacun de ses établissements l’implante comme il le souhaite. « Avec des podcasts, des vidéos ou encore des jeux nous les préparons en 25 heures d’activités digitalisées sur le climat, la biodiversité, l’énergie, l’économie et la société. Nous avons voulu en faire un outil de compréhension des grandes problématiques pour sortir de la passion et leur faire émettre de véritables raisonnements », repend le directeur.

Ce MOOC est adossé au Sulitest que tous les étudiants doivent passer. « Les questions de biodiversité concernent tous nos étudiants qui peuvent ensuite se spécialiser, selon le parcours qu’ils ont choisi, en société, économie ou technologies », détaille Thierry Occre dont l’école a également signé les Accords de Grenoble et répondons aux normes environnementales Iso 14001. Elle a également été classée deuxième aux Green Gown Awards de l’Onu en 2019.

Les défis de la transition environnementale. Ces plans stratégiques viennent en écho au choc qu’a été en 2022 la diffusion de la vidéo des étudiants d’Agro ParisTech dénonçant leur enseignement, leur appel à se détourner de jobs « destructeurs », auxquels « AgroParisTech forme chaque année des centaines d’ingénieurs ». Comme en témoigne le Manifeste étudiant pour un Réveil Écologique paru en 2018, ce n’était d’ailleurs pas la première fois que les diplômés, et singulièrement ceux des école d’ingénieurs, prenaient la parole pour demander que les questions environnementales soient mieux mises en avant dans leur formation. Un sujet qui avait provoqué beaucoup de réactions lors du colloque de la Cdefi (Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs) de 2022. « On doit entendre ces prises de position dans la mesure où elles sont argumentées. Mais il faut agir de l’intérieur dans les entreprises si on veut les faire évoluer », réagissait ainsi le président de la Cdefi, Jacques Fayolle. Réaction similaire du côté de la Conférence des Grandes écoles (CGE) et de son président Laurent Champaney : « Ces étudiants ont tout à fait le droit de porter ce discours. Je comprends leur démarche personnelle. En revanche affirmer que les technologies et les start up sont des outils capitalistiques, que l’école les pousse à entrer dans des entreprises, est une attitude individualiste. S’ils veulent vraiment faire évoluer le système, ils devraient entrer dans ces entreprises dont ils dénoncent les agissements pour les réformer ».

Dans le livre blanc « Tech, le monde d’après. Un défi pour l’enseignement supérieur », qu’a publié le Pôle Léonard de Vinci avec HEADway Advisory en 2022, un article s’interroge justement : « Les techs sauveront-elles la planète ? » « La tech fondée sur les sciences est un « driver « puissant pour l’évolution de nos sociétés. Nos diplômés doivent en être imprégnés, en maîtriser les enjeux, le potentiel, mais en même en temps en comprendre l’impact dans toutes les dimensions y compris écologique. Et pour cela, il faut qu’ils connaissent ce qu’il y a derrière un « clic » par exemple en allant jusqu’aux mines de lithium et de cobalt en passant par les gigantesques datacenters exigés par l’IA, etc. », soutient le président du Pôle Léonard de Vinci, Pascal Brouaye. Une réflexion que partage Damien Amichaud, chef du projet ClimatSup de The Shift Project, think tank de référence sur les questions de transition énergétique, qui a piloté toute une étude avec le groupe Insa : « Nous travaillons à faire évoluer la formation des ingénieurs qui occupent une place charnière entre la tech et la société. Pour en faire des professionnels éclairés, les amener à questionner le monde ou le mode de fonctionnement des entreprises, il faut changer leurs enseignements ».

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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