ECOLE D’INGÉNIEURS, ECOLES DE MANAGEMENT, POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR, UNIVERSITES

« Les grandes écoles ont un potentiel de formation et de recherche important que l’on doit retrouver dans les statuts des Comue »: Philippe Jamet, président de la Conférence des Grandes écoles

Président de la Conférence des Grandes écoles (CGE) et directeur général de l’Institut Mines Télécom, Philippe Jamet est, à ces deux titres, l’une des personnalités les plus engagées dans les mutations que connaît aujourd’hui l’enseignement supérieur. La création des Comue (communautés d’universités et d’établissements), ces grands ensembles qui regroupent universités, grandes écoles et organismes, est notamment au cœur des préoccupations à l’aube d’une année 2015 qui sera cruciale pour l’avenir de notre système.

Jamet Philippe (1)
Philippe Jamet

Olivier Rollot : Après quasiment deux ans de débat, les Comue vont prendre leur envol en 2015. Qu’attendez-vous d’elles ?

Philippe Jamet : Les regroupements de sites vont représenter des opportunités intéressantes pour approfondir les liens entre les établissements membres. C’est donc plutôt positif pour peu que ces alliances se fassent entre égaux, avec des projets partagés qui reconnaissent l’apport de chacun. Les grandes écoles ont un potentiel de formation et de recherche important que l’on doit retrouver dans les statuts des Comue.

Mais il ne faut pas « stériliser » le système en faisant émerger un seul modèle standardisé qui ne créerait pas de valeur. Il faut d’ailleurs cesser de répéter constamment que le système français est plus nébuleux qu’ailleurs. C’est faux ! Un écosystème qui fonctionne est constitué d’établissements en interaction, de tailles et de fonctions différentes qui créent un ensemble performant.

O. R : L’existence de grands organismes de recherche comme le CNRS ne complique-t-elle pas aussi le système ?

P. J : Avoir des acteurs comme le CNRS qui articulent des politiques nationales de recherche fait partie de l’écosystème. Aux États-Unis aussi on trouve de grandes agences de recherche qui soutiennent les budgets des universités tout en animant leurs propres équipes. Il faut valoriser la diversité et ne pas s’aligner sur le seul standard universitaire. Un des intérêts des Comue est justement de faire contribuer des organismes de tailles différentes pour créer de la valeur collective. Si l’enjeu était d’aligner tout le monde cela ne marcherait pas, créerait des tensions et, au final, de la perte de valeur.

O. R : Tout va bien aujourd’hui pour les grandes écoles dans les Comue ?

P. J : Cela dépend des sites. Ce que nous voulons, c’est que ces ensembles ne soient pas instrumentalisés pour faire le tri entre les établissements en fonction de leurs statuts sans critères d’excellence. Comme s’il y avait une hiérarchie dominée par les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP), c’est-à-dire les universités, puis les  établissements publics à caractère administratif (EPA) et enfin les écoles privées.

Je connais des écoles, dont certaines ont eu plusieurs prix Nobel dans leur histoire, non admises à être membre de Comue. Même chose pour plusieurs écoles de business, régulièrement dans le peloton de tête des classements européens. Il faut tordre le cou aux vieux clichés et nous demandons l’inclusion au sens large dans les Comue de tous ceux qui contribuent à l’excellence, sur des critères objectifs. Nous ne revendiquons pas le leadership dans des systèmes où les universités représentent une masse importante mais le partage d’un projet commun.

O. R : Qu’en est-il de la dévolution des diplômes aux Comue ?

P. J : Les grandes écoles doivent pouvoir continuer à délivrer des diplômes d’établissement [le diplôme d’ingénieur par exemple] sans entrer dans un système de coordination locale des formations. Par construction, ces diplômes sont positionnés à l’interface entre une demande et une offre. Un pilotage collectif pour le doctorat et certains masters peut en revanche être envisagé. Il faut aussi bien prendre garde à ce que les établissements qui ont une vocation nationale ne soient pas trop déplacés vers une activité locale. Sous ces réserves, nous pensons que les intentions des Comue sont plutôt bonnes.

O. R : La future gouvernance des Comue vous semble-t-elle devoir être efficace ?

P. J : Un conseil d’administration de 79 membres comme dans la Comue Université fédérale de Toulouse c’est trop ! La gouvernance des Comue doit être resserrée et associée avec les forces extérieures. A cet égard, il y a assez peu aujourd’hui de situations concluantes. La secrétaire d’État à l’enseignement supérieur et à la Recherche, Geneviève Fioraso, assure que les processus sont évolutifs mais attention à que les statuts ne bloquent pas tout.

O. R : On a le sentiment que la situation est très différente à Paris et en Ile-de-France où les Comue sont de plus petites tailles, entre 30 000 et 50 000 étudiants, et en régions où elles sont parfois de très grandes tailles.

P. J : Les Comue d’Ile-de-France se caractérisent plutôt par des alliances entre pairs qui se comprennent (Paris Sciences et Lettres) ou par des équilibres entre universités et grandes écoles préservés, comme à Paris-Saclay. On se trouve là dans des communautés de travail de périmètres raisonnables et non dans un exercice d’aménagement du territoire de grande ampleur. Il est quand même très compliqué de créer une communauté de travail dans des ensembles comprenant plus de 40 établissements et plus de 200 000 étudiants, comme dans le projet de ComUE Bretagne-Loire. Il est non moins complexe de conduire de fronts plusieurs chantiers institutionnels : création de la ComUE, périmétrage de l’Idex et fusion universitaire, comme on le voit sur plusieurs sites.

O. R : Mais quelle serait la taille idéale pour des universités efficaces selon vous ?

P. J : Quand on regarde le Classement de Shangaï c’est clairement la catégorie d’universités située entre 10 000 et 30 000 étudiants qui domine. Les universités de 250 000 étudiants n’y ont pas leur place. L’université de Californie compte bien 200 000 étudiants mais ce n’est qu’une holding formée de campus très autonomes, concurrents et classés séparément. On ne peut pas toujours avoir raison contre la terre entière. Il faudra donc inévitablement sous-structurer les Comue en campus plus resserrés. Pour se projeter à l’international il faut des espaces à l’image de Paris-Saclay, même si 60 000 étudiants, c’est peut-être déjà beaucoup Il faut espérer que les Idex contribueront à  faire émerger ces pôles de taille moyenne.

O. R : Les Comue pourront-elles aussi être des « clusters » où universités et entreprises travailleront ensemble ?

P. J : Paris-Saclay est clairement dans cet esprit avec la présence sur le campus de grandes entreprises comme Thalès ou EDF. Il faut arriver à colocaliser une masse critique suffisante d’acteurs universitaires et d’entreprises pour permettre des échanges productifs entre les acteurs. Dans cet esprit, Grenoble et Strasbourg sont également de bons exemples. Sur des modèles plus diffus, on risque d’en rester au stade du principe.

O. R : Dans ces processus d’innovation et de valorisation de la recherche, de nouveaux acteurs comme les IRT (Instituts de recherche technologique) ou les SATT (société d’accélération du transfert de technologies) sont apparus ces dernières années. Cela ne complique-t-il pas aussi les processus ?

P. J : Nous avons face à nous une multitude d’instruments, notamment ceux du programme investissements d’avenir, qui ne sont pas faciles à gérer. On demande aux responsables des établissements d’enseignement supérieur d’externaliser des ressources dans des IRT qui entrent parfois en concurrence avec leur propre recherche partenariale et commencent à s’intéresser aux activités de formation. Il ne faudrait pas créer des établissements universitaires d’un troisième type ! Nous avons besoin de simplification et d’acteurs qui ne soient pas redondants.

O. R : A côté des Comue les établissements d’enseignement supérieur, et notamment les écoles d’ingénieur, développent des réseaux, que ce soit les Insa, les Écoles centrales ou vous avec l’institut Mines Télécom. N’est-ce pas antinomique avec les Comue ?

P. J : L’Institut Mines Télécom n’est pas un réseau mais un EPSCP sous tutelle des ministères chargé de l’Industrie et des Communications électroniques. L’État a confié une partie de son potentiel (15% du budget de la recherche et de l’enseignement supérieur) à des ministères « techniques » pour mobiliser des forces d’enseignement supérieur et de recherche en appui de politiques sectorielles. Un grand établissement comme l’institut Mines-Télécom est à la fois un acteur d’enseignement supérieur et un instrument de politique publique sectorielle, tandis que les Comue ont davantage vocation à jouer un rôle d’accélérateur académique. Il faut que les deux structures articulent leurs missions, évitent les redondances de mutualisation et définissent des règles de subsidiarité.

O. R : Mais comment hiérarchiser les stratégies nationales et régionales ?

P. J : A partir du moment où un ministère contribue majoritairement au budget d’un établissement la logique veut qu’on fasse, de ses attentes, un axe stratégique prioritaire. Les équilibres dépendent évidemment des situations locales et nous ne souhaitons pas prendre d’engagements irréversibles ou qui affaibliraient la stratégie nationale portée par l’Institut Mines-Télécom. Nous sommes vigilants sur la nature des clauses de retrait des Comue, qui ne doivent pas être floues ou déboucher sur des factures exorbitantes. Nous ne souhaitons pas échapper aux regroupements de sites, mais cela ne doit pas être au détriment des politiques qu’on nous charge de mener, ni d’une stratégie de marque, dont le développement est essentiel pour se projeter à l’international, comme le montre l’exemple du groupe des Ecoles Centrales ou des INSA.

O. R : Les écoles des ministères techniques, dont celles de l’Institut Mines Télécom, ont presque toutes quasiment doublé leurs droits d’inscription et de scolarité en 2014. Cette augmentation était-elle indispensable ? Est-elle juste ?

P. J : L’ensemble des parties prenantes de l’enseignement supérieur va devoir être impliqué dans son financement. Dans ses propositions relatives à la stratégie  nationale de l’enseignement supérieur, la CGE avait suggéré, pour la contribution des familles, une cible à 5 ans de 15% du coût réel des formations. Elle est d’autant plus nécessaire que les ressources comme la taxe d’apprentissage sont en baisse.

Les écoles de l’Institut Mines-Télécom viennent ainsi de réaliser leur première rentrée avec des droits qui sont passés à 1850€ pour les Français et les Européens et 3850€ pour les autres. Cela n’a pas détérioré le niveau de recrutement et nous avons finalement même plus de boursiers : on a plus envie d’aller dans une formation qui coûte plus cher quand on est exempté des droits !

O. R : Vous n’y voyez donc que des effets bénéfiques ?

P. J : Au moins cinq. Un complément budgétaire, mais relativement limité car notre politique d’ouverture sociale conduit vers les écoles de nombreux boursiers. Un renforcement de la qualité de l’offre face à un public exigeant. Une meilleure responsabilisation des étudiants. Un développement du consentement à payer qui deviendra un « consentement à donner » une fois les étudiants diplômés. Et enfin une attractivité internationale accrue pour des formations qui « envoient un signal-prix » sur le marché mondial.

La CGE milite d’ailleurs pour que soit facturé le coût réel de nos formations aux étudiants étrangers non communautaires. Nous sommes convaincus qu’en termes d’attractivité internationale, un prix trop bas n’est pas perçu comme un signe de qualité.

O. R : Les étudiants étrangers doivent contribuer plus fortement à l’enseignement supérieur français ?

P. J : Ils contribuent à l’économie durant leur séjour sur le sol français, comme une étude vient de le rappeler. Mais ils doivent aussi participer directement au financement des établissements d’enseignement supérieur. Nous pourrions passer de 250 000 étudiants étrangers, le chiffre actuel, à 750 000 si 80% des 500000 étudiants supplémentaires acquittaient le coût complet des formations, le reste, soit 350000 continuant à être recruté sur une base gratuite. Cela représenterait, pour les établissements beaucoup plus que le flux du grand emprunt et leur apporterait un appel d’air considérable.

ministères chargé de l’Industrie et des communications électroniques

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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