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Les IAE business schools de l’université : entretien avec Jérôme Rive, président du Réseau des IAE

Directeur de l’IAE Lyon, l’institut d’administration des entreprises de Lyon3, depuis 2008, Jérôme Rive préside le Réseau IAE qui regroupe 31 établissements et près de 40 000 étudiants. Il revient avec nous sur celles qu’on appelle souvent les « écoles de commerce » de l’université.

Olivier Rollot : Les IAE, tout le monde les connaît sans toujours vraiment savoir ce qu’ils font. Comment les définiriez-vous ?

Jérôme Rive : Les IAE sont des écoles universitaires de management : des business schools dans l’Université comme c’est le cas dans la plupart des pays. Tout est parti, dans les années 50, de la création par Gaston Berger du certificat d’aptitude à l’administration des entreprises (CAAE), devenu aujourd’hui le MAE (master administration des entreprises). Dans ce cadre nous donnons à des ingénieurs, des médecins ou même des littéraires une double compétence en management et une ouverture sur le monde qui continuent à faire sens. Ensemble, ces profils comprennent qu’ils ont des approches et des vocabulaires différents mais qu’ensemble ils peuvent aller plus loin.

Enfin, notre mission est de répondre aux besoins du marché de l’emploi dans le domaine de la gestion et du management quand une grande partie des composantes de l’Université forme principalement de futurs enseignants. Dans ce cadre nous avons développé beaucoup d’autres formations.

O. R : Beaucoup croient effectivement encore que les IAE ne recrutent qu’en master quand, en fait, certains démarrent leur cursus dès la première année de licence. D’où vient cette diversité ?

J. R : Les IAE ont peu à peu créé des formations qui répondaient aux besoins de leurs territoires. Alors que leur point commun est de tous dispenser des masters 2 et des doctorats, certains proposent aussi des licences générales et beaucoup ont développé des licences sélectives et des licences professionnelles. Les IAE ont en effet souvent intégré les ex IUP, des MSG ou encore des MSTCF. Dans ce cadre les licences sont en quelque sort des prépas intégrées à l’entrée en master. Les étudiants les rejoignent aussi bien après un IUT que, de plus en plus, une prépa parce qu’ils cherchent des modèles différents et, disons-le, plus abordables que les écoles de commerce.

O. R : La gamme de masters que vous proposez va donc aujourd’hui bien plus loin que le MAE, avec pas moins de 800 formations différentes. Plusieurs IAE proposent par exemple des masters dans le domaine de l’« enseignement ». Cela paraît bien loin de leur mission originale ?

J. R : Non car il s’agit bien de former les personnels de l’Université à sa gestion. Nous formons en fait dans tous les domaines où il faut animer des collectifs humains dans des logique de gestion de projets, de commercialisation, ou encore de transformations organisationnelles. Si nous sommes historiquement liés aux écoles d’ingénieurs avec le MAE nous avons depuis développé bien d’autres accords avec toutes sortes d’établissements d’enseignement supérieur. Nous formons même 6000 étudiants à l’étranger dans le cadre de différents accords avec des universités.

 

O. R : Qui dit entrée dès la première année de licence dit non sélection. Comment travaillez-vous à faire réussir tous les profils ?

J. R : Dans certains instituts, nous faisons une évaluation des étudiants en première année (en français, anglais, raisonnement logique et culture générale économique) puis nous signons avec eux des contrats pédagogiques personnalisés qui comprennent des axes de tutorat et de développement. L’important c’est d’anticiper les décrochages et nous nous attachons à accompagner par des relations individualisées, par exemple à ouvrir de plus en plus les secrétariats pédagogiques pour permettre aux étudiants de parler de leurs éventuels problèmes.

O. R : A partir de l’entrée en deuxième année de licence, vous faites passer un test propre aux IAE nommé le Score IAE Message. Quel niveau faut-il avoir pour le réussir ?

J. R : Il ne s’agit pas d’un test de niveau mais de positionnement qui est suivi de l’examen du dossier  et d’oraux. Bien sûr, nous sommes sélectifs mais nous tenons à multiplier les zones d’évaluation des 25 000 candidats qui passent le test chaque année dans les IAE chaque mois à partir de janvier. Ils peuvent ainsi postuler dans plusieurs IAE.

O. R : On doit vous poser constamment la question : qu’est-ce qui vous différencie des écoles de commerce et de management ?

J. R : Pour en revenir à leur intitulé même, les écoles de commerce, notamment consulaires, ont souvent été créées bien avant nous et bénéficient donc de réseaux très performants. Pour le reste, comme d’ailleurs aux États-Unis, les écoles de commerce et de management, publiques (IAE) et privées (écoles de commerces), participent à la même industrie des business schools, ayant des liens très importants avec les entreprises, et en forte compétition pour attirer les meilleurs candidats étudiants et ressources enseignantes. La demande des familles dans le domaine de la formation au management est très importante et toujours croissante, il y a donc un développement important de nouveaux intervenants dans le secteur, avec lesquels il faut être vigilant.

Les points de différenciation des IAE sont relatifs aux très fortes diversités de leurs publics, source de valeurs ajoutées, à leur modèle « citoyen » promouvant l’ascension sociale, à leur souci permanent de l’insertion professionnelle, et à leur inscription au sein de l’excellence académique de l’Université, espace de production de recherche et de formation de l’esprit critique.

 O. R : La différence tient aussi dans les accréditations internationales. Seul l’IAE d’Aix-en-Provence est accrédité Equis et Amba par exemple.

J. R : Si à l’heure actuelle, seul l’IAE d’Aix est accrédité Equis, Lyon, Strasbourg et Toulouse bénéficient quant à eux d’EPAS, la seconde accréditation délivrée par l’EFMD, au niveau d’un programme de formation. Notre réseau souhaite soutenir les IAE qui recherchent ces accréditations internationales, demandant beaucoup de ressources et de temps. Nous avons développé depuis plusieurs années, avec l’appui de la société SGS, une certification nationale de garantie qualité, « Qualicert », que tous les IAE de notre réseau devront désormais posséder fin 2013, sous réserve d’exclusion du Réseau IAE.

O. R : Comme les écoles de commerce, les IAE ne sont-ils pas aussi parfois en compétition les uns avec les autres ?

J. R : Nous sommes un réseau et nos enseignants-chercheurs au cours de leur carrière peuvent passer d’un IAE à un autre, ce qui contribue à créer une vraie communauté. Du point de vue de la gouvernance, nous avons appris également à beaucoup coopérer les uns avec les autres, que ce soit en matières de communication, de gestion administrative, de relations entreprises, ou encore en termes d’activités internationales, par exemple en prenant des stands en commun sur les grands salons en France et à l’international. Néanmoins, nos territoires d’activités sont aussi parfois proches, nos programmes de MBA ou de formation continue peuvent être concurrents, tout cela crée aussi une saine émulation.

O. R : Vos étudiants suivent de plus en plus leurs cursus en alternance. Pourtant cela n’a pas le même intérêt que pour un étudiant d’école de commerce, qui économise lui des milliers d’euros quand les frais de scolarité des IAE sont ceux de tous les diplômes universitaires. Pourquoi alors cet engouement pour l’alternance ?

J. R : 5 000 de nos étudiants suivent leur cursus en alternance – en contrats d’apprentissage ou de professionnalisation – et c’est pour eux un vrai choix de vie. Il s’agit d’un choix entre des filières à rythme classique (études puis stage) et des filières à rythmes alternés. La filière alternance offre la possibilité de se confronter à l’entreprise dans le cadre d’un contrat qui représente, la plupart du temps, un pré recrutement. Je suis vraiment impressionné par l’engagement des étudiants et des accompagnants des entreprises dans ce cadre. L’alternance est vraiment une belle occasion de s’impliquer dans un collectif, et d’apprendre à apprendre différemment, tout en bénéficiant d’un salaire, et donc ainsi de la possibilité, pour certains de nos étudiants, tout simplement de poursuivre leurs études supérieures.

O. R : Qui dit alternance dit aussi ascenseur social.

J. R : En effet, l’alternance peut permettre à certains d’obtenir un temps de formation dont ils seraient exclus sinon, en l’absence de ressources financières. Nous sommes fiers d’accompagner des mobilités sociales. Nous devons également bâtir des passerelles pour permettre de passer de licence générale en licence professionnelle, pour une insertion professionnelle optimisée et avec la possibilité de revenir se former chez nous, cinq à sept ans plus tard, pour obtenir un master en formation continue.

 O. R : Vous venez de l’évoquer, la formation continue  joue un rôle majeur dans le financement des IAE qui doivent largement s’autofinancer.

J. R : C’est indéniable, c’est au cœur de notre modèle d’IAE, afin de fournir des services personnalisés à nos étudiants de formation initiale. Un IAE comme celui de Lyon génère près de six millions d’euros de revenus propres sur un budget total de 28,5 millions. L’activité de formation continue dégage de ressources qui nous permettent de développer des services pour tous les étudiants de formation initiale. Ainsi, cinquante des soixante-dix personnels administratifs que nous employons à l’IAE Lyon sont financés par nos revenus propres, alors que nous ne bénéficions que de vingt personnels administratifs fonctionnaires pour 6500 étudiants… C’est la clé de notre succès.

O. R : Quand on parle d’autofinancement, on pense forcément entreprises. Les entreprises ont un rôle majeur dans la gouvernance des IAE ?

J. R : Comme les IUT nous sommes gouvernés par des conseils d’administration qui comprennent beaucoup de personnalités extérieures. En complément, les comités de pilotage de nos diplômes intègrent toujours des responsables de secteurs d’activité. Tout cela permet de faire évoluer rapidement les corpus de formation, pour une adaptation optimisée aux marchés d’emploi. De plus les collectivités locales jouent un rôle important : les IAE sont très impliqués dans leur territoire.

O. R : Impossible aujourd’hui de parler enseignement supérieur sans évoquer les MOOC, ces cours en ligne ouverts à tous que multiplient les universités américaines. Quelle est, plus largement, votre position sur l’émergence des nouvelles pédagogies ?

J. R : Il y a aujourd’hui une véritable prise de conscience de la nécessité d’intégrer des partie de l’enseignement en « distanciel », notamment en formation continue quand les entreprises nous demandent de réduire les temps de présence. Mais attention à ne pas aller trop loin : le dialogue à l’autre est au cœur de la pédagogie de l’enseignement du management. Dans ce cadre nous constatons que les étudiants sont de plus en plus proactifs dans la préparation de leurs cours et demandent à être acteurs du processus d’apprentissage. Les séjours à l’international encouragent le souhait de nouvelles sources d’apprentissage. Les études des cas, qui sont à la base de notre enseignement, étaient elles aussi très novatrices pédagogiquement, à l’origine dans les années 50. A nous d’innover pédagogiquement, pour accompagner les attentes des étudiants et les besoins des entreprises. Les jeunes, Y ou Z, ont une soif d’implication colossale.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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