CLASSES PREPAS, ECOLE D’INGÉNIEURS, ECOLES DE MANAGEMENT

« Les professeurs de prépas doivent être à la fois très engagés et très bons pédagogues »

Proviseur du prestigieux lycée Louis-le-Grand de Paris et président de l’Association des proviseurs de lycées ayant des classes préparatoires aux grandes écoles (APLCPGE), Jean Bastianelli.

Olivier Rollot : On reproche souvent aux grands lycées recevant des classes préparatoires de ne pas être ouverts à tous les profils, notamment sociaux. Quen est-il à Louis-le-Grand ?

Jean Bastianelli : Vu de l’extérieur Louis-le-Grand est simplement un lycée d’excellence qui sélectionne ses élèves sur leur travail. Mais la réalité est que Louis-le-Grand est également un lycée très ouvert culturellement, géographiquement et socialement. En seconde, nous recrutons nos 270 élèves dans 200 collèges différents de Paris et d’Ile-de-France, de Garges-Lès-Gonesse comme du 5ème arrondissement de Paris, plus quelques-uns en région mais c’est plus compliqué car nous ne disposons pas d’un internat pour le second cycle. Ce public mélangé donne une ambiance de travail remarquable et des classes très solidaires.

O. R : Cest la même chose en prépa ?

J. B : Encore davantage car nous recrutons sur tout le territoire et à l’international. L’objectif des 30% de boursiers reçus dans l’ensemble des prépas est aujourd’hui atteint. En résumé, nous recrutons des jeunes de bon niveau, travailleurs et qui vont réussir – quelle que soit leur origine. Une élite au bon sens du terme ! Et une élite qui peut poursuivre son chemin dans un enseignement public qui produit des pôles d’excellence qu’il ne faut surtout pas laisser à l’enseignement privé.

O. R : Comment sélectionnez-vous vos élèves de prépas ?

J. B : Quand nous regardons les dossiers sur APB nous scrutons les documents associés, que ce soit les bulletins scolaires, les notes aux épreuves anticipées du baccalauréat, les fiches pédagogiques synthétiques que remplissent les professeurs et les chefs d’établissement. Dans ces fiches, les professeurs écrivent des appréciations prospectives sur le potentiel de leurs élèves, leurs qualités, ils indiquent comment ils vont s’épanouir dans l’enseignement supérieur. Cela nous permet d’aller au-delà de notes dont on sait qu’elles peuvent varier d’un établissement, d’une classe ou d’un professeur à l’autre.

O. R : Combien de dossiers analysez-vous chaque année ?

J. B : Pas loin de 10 000. Qui sont très bons car, l’autocensure jouant, seuls les bons candidats postulent chez nous. C’est un travail très important dans lequel beaucoup de nos professeurs sont très investis, tant l’enjeu est fort. Nous ne voulons ni recruter des élèves qui seront en difficulté, ni passer à côté d’un bon profil. Bien évidemment, nous ratons quelques bons dossiers, dans lesquels les qualités des candidats n’ont pas été assez bien mises en valeur, ou bien que nous n’avons su voir, mais je suis confiant dans la qualité de l’ensemble du système des CPGE pour que ces élèves réussissent, confiant aussi dans la diversité de notre enseignement supérieur pour faire réussir tous les profils par des chemins différents.

O. R : Parce quaujourd’hui une bonne prépa se doit avant tout faire réussir tous ses élèves ?

J. B : Nous ne sommes plus au temps où les élèves étaient en compétition les uns avec les autres. Là aussi, il faut lutter contre une vision extérieure et obsolète qu’ont encore beaucoup de parents qui ont vécu la prépa d’une manière très différente de ce qu’elle est aujourd’hui. Le mieux, pour un élève qui veut comprendre ce qu’est aujourd’hui une prépa, c’est de venir à nos journées portes ouvertes et d‘y rencontrer des camarades heureux d’être là. Des expériences qu’ils racontent également volontiers sur les forums Internet.

O. R : Mais tout le monde ne peut pas obtenir l’école dont il rêve !

J. B : Dans les filières scientifiques comme économiques, beaucoup d’écoles se sont ouvertes et il y a beaucoup plus de places après les concours qu’il y a trente ans. Tous les élèves de prépas savent qu’ils trouveront une place, la question est seulement de savoir où. Ils n’ont donc pas besoin de se faire concurrence mais plutôt d’être solidaires pour bien se préparer ensemble. Même dans la filière lettres, un nombre très important de perspectives s’est ouvert avec la création de la banque d’épreuves littéraires.

O. R : Les pédagogies évoluent-elles en prépas ?

J. B : Depuis la réforme des programmes du lycée en 2011, les approches ont changé, en particulier en sciences avec la montée en puissance des pédagogies par compétences et de formes d’évaluation différentes (par exemple les « résolutions de problème »). Nos professeurs s’appuient sur ces évolutions pour introduire des modes de travail collaboratifs : deux, trois élèves peuvent ainsi travailler ensemble et rendre un travail commun à la demande du professeur à qui il n’importe pas de savoir qui a fait ou trouvé quoi, mais bien plutôt d’avoir fait chercher et échanger ensemble. Toute la question est alors de les former en amont le mieux possible à ces modes de travail.

O. R : Votre travail est de préparer au mieux vos élèves à des concours très sélectifs. Comment devient-on prof de prépa ?

J. B : Les professeurs de prépas sont des agrégés qui candidatent sur les postes spécifiques nationaux. Ils sont sélectionnés par des inspecteurs généraux. Ce sont des postes très exigeants du point de vue académique car ils requièrent un très haut niveau de compétences dans tous les champs de la discipline, ce qui est assez exceptionnel. Par ailleurs, ce sont des postes qui impliquent un engagement exceptionnel et une grande aptitude au travail en équipe pour faire réussir les élèves. Les professeurs de prépas doivent être à la fois très engagés et très bons pédagogues.

O. R : De plus en plus vos professeurs sont également docteurs.

J. B : Effectivement, aujourd’hui, la majorité des professeurs recrutés en prépa ont un doctorat. C’est un élément important de leur formation, mais disons-le clairement : ils ne peuvent guère poursuivre une véritable activité de recherche tout en étant en prépa, compte tenu du travail que cela représente.

O. R : Les écoles de management les ont largement développés, les écoles d’ingénieurs sy mettent à leur tour, pensez-vous que les bachelors soient de nouveaux concurrents des CPGE ?

J. B : Nous portons de l’intérêt à leur développement, sans tellement d’inquiétude cependant. Il faut pouvoir proposer différentes formes de cheminement aux jeunes. Les classes prépas sont très bonnes et vous avez compris que je suis très convaincu par ce système,  mais tous les élèves ne sont pas bâtis sur le même moule, tous ne trouvent pas le bonheur dans la prépa. De plus, entrer dans une prépa est parfois compliqué pour un élève étranger dont la culture de l’enseignement supérieur est celle de l’université et pas d’une prépa qui reste dans l’ambiance du lycée. Je comprends évidemment que des élèves rêvent d’un autre contexte pour leurs études.

Pour revenir aux bachelors, ils concernent des profils différents de ceux qui choisissent la prépa, des élèves qui visent avant tout un niveau bac+3/bac+4, professionnalisant. Tous ne poursuivront pas leur cursus au-delà, et certainement pas tous dans le même établissement. Ils candidateront éventuellement sur des Masters dans différentes universités ou Grandes écoles.

Par ailleurs, le nombre de formations grandit, le nombre de places dans chaque formation grandit aussi – y compris en CPGE – mais le nombre d’étudiants grandit lui aussi, si  bien qu’il y a de place pour tous les dispositifs, et je dirais même qu’il est important que différents dispositifs soient proposés. On constate seulement qu’au sein de cette diversité, l’attrait des prépas reste très fort, à juste titre à mon sens.

O. R : De plus en plus les grandes écoles mixent leurs effectifs entre élèves issus de prépas et dautres diplômés. Comment les élèves issus de prépas vivent-ils cette cohabitation avec dautres profils dont on pressent quils ont peut-être travaillé moins intensément pour arriver au même point ?

J. B : Passer par une classe préparatoire c’est avoir acquis des fondamentaux qui vous seront utiles toute votre vie. C’est avoir suivi une formation généraliste qui vous a enrichi. C’est avoir appris des méthodes de travail et d’organisation fondatrices pour l’ensemble de son parcours académique et professionnel. A une époque où l’on se repose trop facilement sur Google et Wikipédia dès qu’il s’agit de rechercher de l’information, c’est disposer de vraies connaissances tout en s’étant forgé des compétences. Alors oui, on peut trouver des parcours différents dans les grandes écoles, mais être passé par une classe prépa c’est posséder des qualités personnelles spécifiques, une culture, une créativité, une capacité d’engagement qui font qu’on réalisera ensuite un parcours exemplaire.

O. R : Une proportion de plus en plus importante d’élèves de prépas économiques et commerciales cubent (redoublent leur deuxième année), souvent dans des prépas privées, pour obtenir la meilleure école. Ne faudrait-il pas mettre le holà à cette pratique ?

J. B : 6 à 7% des étudiants cubent dans les prépas scientifiques (on dit alors qu’ils sont 5/2), alors que c’est le cas de près de 25% des étudiants en prépa économique et commerciale intégrant une des « parisiennes ». Comment expliquer cela ? D’une part par les « points jeunesse »  {qui sont accordés aux élèves n’ayant pas refait leur deuxième année de prépa scientifique}, d’autre par le grand nombre d’écoles scientifiques de grande qualité, dans de nombreuses spécialités différentes. Je fais partie de ceux qui pensent qu’il serait certainement intéressant d’introduire des « points jeunesse » pour les concours des écoles de commerce et de management, cela permettrait de mieux équilibrer les choses, et, notamment, cela induirait certainement un recrutement de meilleur qualité en supprimant l’intérêt de tout bachotage.

O. R : Lidée de constituer un « collège des prépas » pour leur donner une meilleure représentation est ressortie fin 2016. Y êtes-vous favorable ?

J. B : C’est une bonne idée dont il reste à définir le format précis. Avec l’évolution du paysage de l’enseignement supérieur et la montée en puissance des communautés d’universités et d’établissements (Comue) il serait pertinent de donner une bonne lisibilité aux prépas et de leur permettre de devenir un partenaire – à tout le moins un interlocuteur –  des Comue comme de la DGESIP, sur le modèle du « collège » que les instituts universitaires de technologie (IUT) utilisent.

O. R : Où en sont les conventions que les classes préparatoires ont été amenées à signer avec les universités pour que leurs élèves y soient également inscrits comme le prévoyait la loi Fioraso de 2013 ?

J. B : Aujourd’hui, les conventions sont signées, pratiquement partout. Notre sujet est bien davantage de voir comment fonctionne le système d’inscription et de validation des semestres universitaires. En 2016, pratiquement toutes les universités se trouvaient en année électorale, la majorité d’entre elles engagées dans les politiques de site plus ou moins complexes : elles ne se sont donc guère emparées de la question jusqu’ici et cela  pose réellement problème ! De notre côté, nous essayons de rendre les choses les plus fluides possibles pour nos étudiants qui ont d’autre soucis que les tracasseries administratives.

O. R : Et quen est-il du partage que vous revendiquiez des droits de scolarité versés par vos étudiants aux universités ?

J. B : Nous observons comment cela se déroule, nous notons aussi comment le travail est partagé et, notamment, le surplus administratif qui nous incombe. Par ailleurs, les étudiants sont bien scolarisés dans nos lycées, si bien que, au quotidien, c’est nous qui supportons une très grande partie des charges administratives afférentes à leur scolarisation.  Il y a donc une vraie logique de réversion de la part des universités. Et certaines le font d’ailleurs, comme à Lyon ou à Grenoble, mais cela reste minoritaire et nous n’avons pas la main sur la décision !

O. R : Quest-ce que cette double inscription amène à vos élèves ?

J. B : Si cela se passe bien, cela leur permet de valider leurs années de prépas au-delà d’une simple équivalence. Ils obtiennent une L1, une L2 voire parfois, pour les prépas littéraires, une licence complète. De plus, cela leur ouvre l’accès à des stages en entreprise ou en institution que l’université est règlementairement en droit de signer, mais pas les lycées -une vraie expérience supplémentaire pour eux.

 

 

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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