INTERNATIONAL

Les universités américaines entre sidération et révolte face à l’administration Trump

L’association de scientifiques américains Stand up for science organise une manifestation le 7 mars à Washington et dans tout le pays pour « demander la fin de la censure, la sanctuarisation des financements, la réhabilitation des chercheurs, la remise en place des programmes de diversité d’équité et d’inclusion ».

Sidération : c’est sans doute le mot qui vient le plus à la bouche des universitaires et chercheurs américains chaque jour confrontés à l’administration Donald Trump. En un mois, elles s’est attaquée aux programmes d’aide à l’inclusion des universités (DEI pour Diversity, Equity, and Inclusion) en menaçant de couper les financements fédéraux des universités les conservant, a censuré de nombreux sujets de recherche pour peu qu’ils portent de près ou de loin sur le genre et supprimé des pages internet de recherche scientifique consacrées à l’environnement ou à la santé.

Une offensive qui prend les universités de cours par sa brutalité mais contre laquelle la résistance se porte d’abord devant les tribunaux. S’ils ne sont pas encore entendus sur le fond ces derniers bloquent plusieurs décisions. Un juge fédéral a ainsi émis le 21 février une injonction préliminaire bloquant temporairement une grande partie de l’effort de l’administration Trump pour éradiquer les programmes DEI. L’arrêt indique que les directives pourraient « porter atteinte à la liberté d’expression » et sont entachées d’une « imprécision inconstitutionnelle ». De même un autre juge fédéral a interdit au DOGE – l’agence d’Elon Musk censée sabrer dans les dépenses fédérales – d’avoir accès au fichier des étudiants boursiers. Enfin un autre juge a suspendu le plafonnement du soutien du National Institutes of Health à la recherche. Sur tous ces points la Cour suprême pourrait être amenée à trancher.

Couper les financements fédéraux. Si la lettre envoyée le 14 février par le ministère américain de l’Éducation ordonnant la fin de tous les cours, programmes et activités de diversité, d’équité et d’inclusion (DEI) dans les écoles primaires et secondaires américaines et sur les campus n’a pas force de loi, elle a cependant nombre d’effets. Le 19 février on apprenait ainsi que l’administration Trump donnait aux universités américaines deux semaines pour éliminer toute initiative en faveur de la diversité sous peine de perdre les fonds fédéraux. Toute pratique traitant les étudiants ou les travailleurs différemment en raison de leur race doit être éliminée demande Craig Trainor, secrétaire adjoint par intérim du ministère de l’Éducation chargé des droits civiques, au motif que les universités « ont endoctriné de manière toxique les étudiants avec de fausses considérations selon lesquelles les États-Unis sont construits sur un « racisme systémique et structurel ».

La semaine dernière la National Science Foundation licenciait 10% de ses 1 700 salariés pour complaire à l’administration Trump. Principale agence de financement de la recherche fondamentale aux Etats-Unis elle finance les universités à hauteur de 9 milliards de dollars chaque année. Finance ou finançait car le gouvernement américain lui a demandé de ne plus accorder de fonds aux projets de recherche comprenant les mots «LGBT», «traumatisme», «égalité», «exclusion», «inégalité», «statut», «genre» ou même «femmes». Un tiers de 3 000 programmes qu’elle finance pourrait être touché. Les SHS semblent devoir être majoritairement affectées mais aussi la médecine dès lors que les programmes s’intéressent aux questions de genre.

La National Science Foundation n’est pas la seule agence à couper ses financements. Le National Institutes of Health (NIH) a également annoncé réduire ses financements, mettant en cause le développement de toute la recherche médicale américaine. La nouvelle politique limiterait en effet les remboursements des frais généraux des laboratoires à 15% de la valeur des subventions, au lieu des 50 à 70% que les universités reçoivent souvent aujourd’hui. Or, pour chaque dollar dépensé dans la recherche universitaire, il faut environ un autre dollar pour l’équipement des laboratoires, le personnel de soutien et les systèmes de gestion des subventions. Les institutions de l’État de New York perdraient par exemple 850 millions de dollars et des projets de recherche cruciaux devraient donc être revus à la baisse ou abandonnés. Des tribunaux ont suspendu la mesure mais l’inquiétude est grande à tel point que les universités resserrent leurs budgets, du gel des embauches à la réduction des dépenses établit le site HigherEdDive. De même tout un pan de la recherche universitaire sur l’environnement est attaqué. La « National Nature Assessment », la première évaluation systématique sur l’état des terres, de l’eau et de la biodiversité, a vu sa production stoppée par l’administration Trump.

Rappelons qu’il n’y a pas de ministère de l’Enseignement supérieur aux Etats-Unis ni de diplômes nationaux et que les universités dépendent essentiellement, soit de financements des États, soit de financements privés. L’impact des mesures de l’administration Trump ne peut donc n’être que relatif sur leurs activités. C’est pour cela que le gouverneur de Floride, Ron De Santis, envisage de créer dans son État un organisme chargé de réduire les dépenses des universités sur le modèle du DOGE d’Elon Musk (lire De Santis moves to create Florida’s own DOGE to target college spending sur le site Higher Ed Dive). Mais d’autres mesure pourraient être prises au niveau fédéral contre les universités « rebelles », notamment fiscales en réduisant la possibilité pour les donateurs de défiscaliser leurs dons aux universités.

Mettre les universités et les chercheurs au pas. Alors que Linda McMahon, 76 ans, l’ancienne patronne d’une fédération américaine de… catch attend encore de voir sa nomination au poste de secrétaire (ministre) à l’Education entérinée par le Sénat, la disparition même de ce ministère est de toute façon au programme de Donald Trump. Une volonté de s’attaquer à l’éducation qui rappelle une conférence que le vice-président américain, JD Vance, avait donnée en 2021 devant la National Conservatism Conference, un rassemblement de penseurs et de politiciens trumpistes, intitulé « The Universities Are the Enemy » rappelait récemment l’éditorialiste Michelle Goldberg dans The New York Times. Comparant les universités au totalitarisme de science-fiction de « Matrix », dans lequel des machines parasites ont pris le contrôle de la réalité elle-même, il déclarait : « Une grande partie de ce qui détermine la vérité et la connaissance telles que nous les concevons dans ce pays est fondamentalement déterminée, soutenue et renforcée par les universités. Pourquoi, les conservateurs ont-ils consenti à une telle tyrannie intellectuelle ? »

Aujourd’hui selon Jon Fansmith, vice-président senior des relations gouvernementales et de l’engagement national au Conseil américain de l’éducation (ACE), l’objectif de l’administration Trump est de « semer le chaos et de créer la peur. L’objectif est d’inciter à l’action. Même lorsqu’un respect plus prudent de vos obligations légales indiquerait le contraire » (lire l’article de University World News).

Une reprise en main qui va bien plus loin que celle de l’enseignement : c’est tout le monde de la recherche qui est touché. Comme le résume le journaliste spécialisé dans les sciences Stéphane Foucart dans sa chronique Donald Trump et Elon Musk plongent la science américaine dans un indescriptible chaos « Trump I s’attaquait aux résultats incommodants de certaines disciplines ; Trump II déclare une guerre tous azimuts à la science, comme méthode de description et d’objectivation du réel. L’administration en place met désormais en œuvre une politique qui vise à détruire les instruments permettant de produire des énoncés objectifs. Faire disparaître la réalité pour ne plus laisser les faits porter préjudice à la volonté du chef : c’est exactement ce que l’on attend d’une politique fasciste ».

Cette reprise en main intervient après des années qui ont semblé à beaucoup dominées par le « wokisme ». Un courant de pensée qui aura contribué à façonner l’idée que les universités américaines étaient aux mains d’extrémistes. Le mouvement de protestation contre les menées d’Israël à Gaza, particulièrement virulent dans les universités américaines en 2024, aura également pu donner cette impression. De nombreux donateurs privés, particuliers et entreprises, ont alors cessé leurs financements d’universités jugées laxistes ou liées aux protestataires. Plusieurs présidentes d’université, Harvard et Pennsylvanie notamment, ont même dû démissionner après des auditions au Sénat où elles ont pu donner le sentiment d’être en phase avec les étudiants occupant les campus pour protester contre Israël. Dans l’électorat de Donald Trump s’est peu à peu cristallisée une forte opposition aux universités. Aujourd’hui un « wokisme progressiste jugé coupable de tous les maux par un wokisme conservateur revendiqué à grand renfort de censure et de diktats lexicaux tout en s’arrogeant la bannière de la liberté d’expression » écrit l’éditorialiste, spécialiste des Etats-Unis, Gilles Paris dans Le Monde.

Une opportunité pour l’Europe ? Nombreux sont aujourd’hui les chercheurs qui pensent à quitter les Etats-Unis faute de pouvoir y poursuivre leurs recherches dans la sérénité. Dans une tribune sur le site de Libération le président de l’Ecole des hautes études en sciences sociales et spécialiste des Etats-Unis, Romain Huret, propose donc de les accueillir (Sciences sociales : la France doit accueillir les chercheurs victimes de la chasse aux sorcières de Donald Trump). Une volonté déjà plus affirmée en Allemagne où le président du Max Planck Institute, l’équivalent du CNRS, affirme dans Der Spiegel que les États-Unis représentent désormais un «nouveau réservoir de talents pour l’Allemagne». D’ores et déjà, les candidatures américaines à des postes de responsables de groupes de recherche ont doublé par rapport à l’année dernière selon lui. « C’est terrible de voir comment l’aveuglement idéologique va affaiblir les laboratoires américains et faire partir des chercheurs. Dans les années 30 et 40, les universités américaines se sont largement développées grâce à l’apport de professeurs européens, et notamment juifs, qui quittaient l’Allemagne, venus à Princeton et ailleurs. C’est d’ailleurs un point de désaccord entre Trump et Musk qui sait bien, lui, comment les laboratoires américains fonctionnent avec des post-doctorants venus du monde entier », analyse Romain Huret.

La question se pose également pour beaucoup d’étudiants qui se demandent s’ils seront bien accueillis aux Etats-Unis. Le Royaume-Uni pourrait au tirer ainsi profit de la présidence de Donald Trump en attirant davantage d’étudiants internationaux, dissuadés d’étudier aux États-Unis, selon l’étude Trump presidency could prove beneficial for UK higher education que vient de publier The British Council. Là encore une opportunité pour l’enseignement supérieur français d’attirer les talents !

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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