C’est l’une des très grandes universités françaises. Créée en 2014 après la fusion de trois des quatre universités bordelaises, l’Université de Bordeaux compte plus de 50 000 étudiants. Son président, Manuel Tunon de Lara, trace le portrait d’un monde universitaire en pleine mutation dans un entretien en deux parties dont nous vous livrons ici la deuxième moitié.
Olivier Rollot : On évoque une explosion des effectifs universitaires. Quelle évolution a connu l’Université de Bordeaux en 2016-2017 ?
Manuel Tunon de Lara : Nos effectifs sont assez stables : en un an ils sont passés de 52 000 à 54 000 étudiants mais la très grande majorité de ces nouveaux étudiants – 1600 – sont des doubles inscriptions d’élèves de CPGE. En tout nous avons reçu cette année 8900 néo-bacheliers. Les collèges universitaires qui connaissent la plus forte hausse sont les sciences de la santé – nous acceptons tous les candidats en PACES (première année commune aux études de santé) -, le droit et les sciences politiques. La pression reste très forte en STAPS (sciences et techniques des activités physiques et sportives), dont les capacités d’accueil sont limitées, et en psychologie. Mais là les étudiants commencent à comprendre qu’il existe un véritable goulet d’étranglement entre la licence et le master et nous avons un peu moins de demandes.
O. R : Devez-vous parfois recourir au tirage au sort pour l’entrée en première année de licence ?
M. T de L : Je suis défavorable au tirage au sort qui n’a aucun sens. Celui ci n’est pas réalisé par les universités mais par le dispositif APB mis en place par le ministère. Et oui cela reste nécessaire, en particulier en STAPS, même si on essaye d’orienter le plus possible les bacheliers et de mieux accueillir ceux qui ont un avenir dans le sport.
O. R : Y a-t-il une évolution des séries du bac sont issus ces néo-bacheliers ?
M. T de L : Nous recevons de plus en plus de bacheliers issus des filières générales. Ils représentent aujourd’hui 85% des effectifs entrants. Les bacheliers technologiques représentent 15% sur l’université mais 32% dans notre institut universitaire de technologie (IUT) . En revanche, nous recevons très peu de bacheliers professionnels.
Par ailleurs, on observe un meilleur niveau avec de plus en plus de bac avec mention dans la filière sciences et en technologies. On sent vraiment l’attractivité de l’université dans les grands domaines scientifiques.
O. R : Avez-vous réorganisé vos cursus pour favoriser la réussite des étudiants ?
M. T de L : Faisant partie des universités de la « vague A » nous venons de mettre en place une nouvelle offre de formation avec de nouvelles maquettes, un nouvel accompagnement pédagogique et de nouveaux intitulés de master.
Nous favorisons beaucoup l’orientation progressive de nos étudiants. Par exemple en première année de licence scientifique, ils suivent un tronc commun avant de s’orienter ensuite vers les mathématiques, la physique, la chimie, ou l’ingénierie. De même, le parcours en SHS est initialement transversal permettant ensuite de s’orienter vers la psychologie, la sociologie ou l’anthropologie.
O. R : Cela porte-t-il ses fruits en ce qui concerne la réussite en licence ?
M. T de L : Les taux de réussite sont assez stables avec 40 à 50% de réussite dans les licences générales et 90 à 100% en licence professionnelle. Cela étant, nous n’avons pas assez de recul pour mesurer les effets de l’offre de formation récemment mise en place et des mesures d’accompagnement pédagogique.
O. R : Faut-il réformer les pédagogies pour mieux assurer la réussite des étudiants ?
M. T de L : Nous mettons en action de nouveaux dispositifs et de nouvelles maquettes de formation pour passer d’une offre centrée sur le contenu disciplinaire lié à la compétence des enseignants à un contenu centré sur les compétences que nous voulons donner à nos étudiants. L’internationalisation fait aussi partie de cette nouvelle approche avec pas moins de 30 masters dispensés en anglais.
Financée par notre Idex (Initiative d’excellence), nous avons installé une « Mission d’appui à la pédagogie » (MAPI) qui accompagne les enseignants du site dans la création de nouvelles pédagogies, les aide à mieux délivrer leur message ou à créer de nouvelles formes de cours. Dispensés en anglais par des formateurs ayant une expérience internationale, ces séminaires ont eu beaucoup de succès auprès des enseignants qui s’approprient ainsi d’autres démarches pédagogiques.
O. R : Tous les enseignants adhèrent à cette volonté de réforme ?
M. T de L : Si cela bouge beaucoup, c’est aussi à la demande d’enseignants qui constatent que leurs étudiants sont hyper connectés, suivent des cours en ligne, s’informent par eux-mêmes. Aujourd’hui un étudiant peut très bien aller sur You-Tube ou ailleurs regarder ce qui se fait de mieux dans son domaine avant de venir en cours. Les exigences ne sont plus les mêmes et les enseignants sont de plus en plus enclins à donner à leurs étudiants des outils leur permettant de construire une approche critique. Le temps du cours magistral où on se contente de délivrer une information, aussi pointue soit elle, est révolu. L’attente des enseignants est très forte et il ne faut pas être trop long pour leur répondre car les étudiants vont vite !
Cela se traduit par aussi par leur demande d’adapter nos locaux aux techniques nouvelles, la connectivité wifi doit être optimale partout pour permettre les interactions avec les smart phones et les tablettes, les salles doivent être mieux adaptées aux nouvelles techniques pédagogiques participatives.
O. R : Cette volonté d’innovation pédagogique se ressent dans toutes les disciplines ?
M. T de L : Vivre dans une grande université multidisciplinaire comme la nôtre c’est aussi voir ce que font les autres disciplines. Les étudiants de médecine passent leurs examens depuis trois ans sur des tablettes. Ils y voient des scénarios à résoudre, des situations à comprendre, des images en temps réel, autant de ressources dont peuvent s’inspirer les autres unités de formation. Il règne aujourd’hui une vraie émulation entre les enseignants. Ils répondent ainsi de plus en plus volontiers aux appels d’offre sur des projets d’innovation pédagogique alors qu’ils étaient plutôt habitués à le faire pour des projets de recherche. Maintenant nos collèges soumettent des projets de plus en plus ambitieux dans le domaine pédagogique.
O. R : Cette année va entrer en vigueur la réforme permettant la sélection en master. Qu’en attendez-vous ?
M. T de L : Tous nos masters sont sélectifs. La réforme va nous permettre de faire ce qui se faisait déjà mais en respectant les textes alors que la sélection était plus ou moins déclarée jusqu’ici. Elle nous a également permis de réfléchir aux critères de sélection de manière plus rationnelle en tenant mieux compte des passerelles possibles. Au sein de l’université de Bordeaux nous pouvons le plus souvent proposer d’autres spécialités de master lorsque l’on n’est pas retenu dans un master donné. En réalité les problèmes de véritable sélection n’ont eu lieu que sur quelques masters en tension, débouchant souvent sur des professions contingentées. Par ailleurs nous travaillons avec les autres universités de la région à la possibilité de mieux partager notre offre en poursuite d’études.
En revanche, il nous appartient de bien assumer la sélection que nous autorise la Loi et de bien en préciser les critères. La seule chose qui nous embarrasse dans le nouveau système c’est qu’une non réponse à une demande d’admission dans un master pendant les deux mois qui suivent la réception du dossier complet vaut accord (Code des relations entre l’administration et les usagers). Cela a des conséquences organisationnelles, mais le texte de Loi et les décrets nous conviennent globalement.
O. R : Cette réforme a également un impact en amont du master ?
M. T de L : Quand on peut sélectionner on étudie de plus près l’offre de formation et la demande de chaque secteur. En psychologie on a changé le tronc commun pour ouvrir plus de passerelles vers des formations transversales. Une perspective dans laquelle on s’inscrit également en droit dans lequel de nombreuses professions sont soumises à des quotas.
Il faut aussi pouvoir réfléchir aux passerelles et évoluer en amont de la licence. Cela n’avait pas de sens de ne pas autoriser de sélection alors qu’il y a des contingences d’effectif en psychologie, en droit, etc. Si on veut vraiment travailler dans une perspective L-M-D il faut pouvoir aller sur le marché du travail avec une licence, un master ou un doctorat.