ECOLES DE MANAGEMENT

« Notre rôle est de former pour un monde incertain » : Vincenzo Esposito Vinzi (ESSEC)

L’éternel challenger d’HEC entend plus que jamais préserver sa singularité dans un monde incertain qui lui convient très bien. Directeur depuis un peu plus d’un an de l’ESSEC, Vincenzo Esposito Vinzi trace les objectifs qu’il donne aujourd’hui à son école.

Vincenzo Esposito Vinzi

Olivier Rollot : Il y a maintenant un peu plus d’un an que vous êtes directeur général de l’ESSEC. Une école que vous connaissiez bien puisque vous en étiez déjà doyen des professeurs après l’avoir intégrée en 2007. Quels objectifs lui donnez-vous aujourd’hui ?

Vincenzo Esposito Vinzi : Nous vivons une période passionnante avec la quatrième révolution industrielle. Mais aussi avec beaucoup d’incertitudes sur l’avenir des emplois. Beaucoup de métiers évoluent, disparaissent ; sans parler de l’impact de l’intelligence artificielle (IA). Cela pose quantité de questions pour la formation des étudiants comme pour la formation continue. Notre rôle est de former pour un monde incertain dans lequel 60 à 80% des métiers de 2030 n’existent pas encore. La raison d’être de l’ESSEC c’est de « donner du sens au leadership de demain ». Notre ambition est de devenir un « école-monde » aux racines françaises avec un ancrage géographique sur trois continents et un impact global.

L’excellence doit être toujours là, c’est un combat de tous les jours qui ne suffit pas car sinon il y a risque de standardisation des process. Nous devons conjuguer avec une singularité à laquelle nous tenons beaucoup et qui nous différencie. Les business schools doivent se poser la question de leurs modèles pédagogiques et du contenu de leurs formations. Le leader de demain doit être hybride, capable de parler à différents acteurs en créant des ponts, que ce soit entre le public et le privé, le national et l’international, l’entreprise classique et l’entrepreneuriat. D’où la nécessité de former de plus en plus de profils hybrides, manager et ingénieur, manager et designer, etc. avec à la clé des doubles diplômes. L’ESSEC est particulièrement bien placée pour former ces personnalités hybrides en recrutant elle-même des profils différents dès l’entrée.

O. R : Quel modèle pédagogique défendez-vous ?

V. E-V : Nous travaillons sur trois piliers. Les connaissances et les savoirs bien sûr mais aussi les savoir-faire et savoir-être. Ce qui va bien au-delà des soft skills. Il s’agit de transformer les savoirs en compétences et de savoir-êtres qui mettent la dimension humaine au cœur des pratiques managériales. Nous avons ainsi créé un cours – obligatoire et 100% en ligne – consacré au « leadership responsable » (comment être responsable vis à vis de ses clients, employés, de son environnement, de sa RSE-responsabilité sociale des entreprises) couplé à un séminaire « Comprendre et changer le monde » pour bien aborder les enjeux sociétaux. La société demande que nous explicitions ce que nous faisons.

Les étudiants ne doivent pas seulement appliquer des recettes toutes faites. Ils sont imaginatifs et innovants. Là encore nous travaillons avec eux le sujet avec une semaine « Imagination week » pendant laquelle ils sont confrontés à des philosophes, artistes, hommes de sciences pour stimuler cette imagination. On dit que les écoles forment les étudiants. Je préfère dire que les étudiants se forment et se transforment dans les écoles. Ils doivent être acteurs de leur scolarité pour intégrer un monde dans lequel on va leur demander d’avoir ce l’imagination et de s’adapter. Tout un état d’esprit à acquérir en s’appuyant sur des connaissances.

O. R : Qu’est-ce que l’« école-monde » que vous évoquez ?

V. E-V :Nous devons être de plus en plus un partenaire intégré. Pas seulement en créant des lieux pédagogiques mais aussi des lieux d’entrée dans les économies régionales pour tous leurs acteurs. Là où nous n’avons pas de campus il nous faut conclure des alliances fortes et structurantes. Aux Etats-Unis, en Europe comme en Chine nous voulons avoir des partenaires clés stratégiques pour asseoir notre légitimité. En Europe nous créons une alliance avec quatre ou cinq écoles de premier plan dans la formation professionnelle. C’est d’autant plus le moment que les nouveaux modes de formation permettent de dépasser son marché national.

Nous voudrions exporter la capacité d’hybridation des compétences dont nous avons fait la preuve avec CentraleSupélec. Et pas seulement en ingénierie mais aussi en droit ou en médecine. Aux Etats-Unis nous avons une carte à jouer avec des écoles de premier plan à qui nous présentons notre modèle hybride.

O. R : A Rabat vous avez fait évoluer votre projet. Pourquoi ?

V. E-V : Nous y avons réaffirmé notre modèle de graduate school en recevant maintenant tous les étudiants de notre Global BBA à Cergy en première année afin de créer un esprit de promotion. Les étudiants marocains commencent donc leur cursus en France et peuvent suivre les deux dernières années à Rabat. Nous allons également y lancer des executive masters pour répondre aux besoins locaux spécifiques.

Des étudiants devant les locaux de l’Essec à Cergy-Pontoise

O. R : La dimension numérique est aussi importante pour la création de cette « école monde » ?

V. E-V : C’est même ce que nous appelons cinquième campus. Après Cergy, Paris, Rabat et Singapour notre « campus numérique augmenté » ne se limite pas aux MOOCs et autres SPOCs. Il s’agit pour nous de parvenir à transmettre la même expérience en ligne qu’en présentiel. Dès ce printemps nous allons remettre en formation continue un certificat « Big Data pour le business », lui-même élément d’un master « Transformation digitale ». Puis nous allons créer des salles virtuelles avec un professeur en chair et en os s’exprimant devant des écrans où seront ses étudiants. L’objectif est de délivrer toute « l’expérience ESSEC» avec une partie de gamification qui permettra de s’assurer de l’engagement de chaque apprenant. Au-delà des cours, l’expérience – « education by experience » – est cruciale.

O. R : Quel impact doit avoir la recherche dans cet environnement pédagogique ?

V. E-V  : La recherche est très importante pour nous et doit respecter trois principes : être rigoureuse, pertinente et impactante. Nous avons un rôle éminent à jouer dans la création de savoirs. Des savoirs que nous devons disséminer dans la société. C’est tout le sens de notre investissement dans notre plateforme « ESSEC Knowledge ».

En février nous inaugurons un « Finance Lab » pour réaffirmer qu’il y a des disciplines qui doivent être réinvesties au sein des business schools. Nous devons produire des savoirs de pointe qui vont bien au-delà des savoirs être. Avoir de l’éthique dans les entreprises « for profit » c’est possible !

O. R : La question de l’économie des business schools est au cœur de toutes les conversations. Quel est le business model de l’Essec ?

V. E-V : Nous sommes et resterons une associations à but non lucratif qui réinvestit tous ses résultats. Il faut rester « non profit » pour ne pas risquer de diluer la marque en cédant à la tentation d’une croissance indéfinie des effectifs. Si cette année nous ouvrons vingt places de plus aux élèves de classes préparatoires pour notre programme Grande école, c’est sans baisser en termes d’exigence. L’autre écueil est une hausse non contrôlée des frais de scolarité. Sans parler de la nécessité de garantir la qualité des services que nous rendons. C’est aussi pour cela que nous bénéficions de l’appellation d’EESPIG (établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général).

O. R : Quel a été votre résultat cette année ?

V. E-V : Nous avons terminé l’année académique 2017-2018 à l’équilibre avec même un résultat meilleur que prévu à 650 000€. Il nous faut maintenant gérer la disparition progressive de la subvention de la CCI Paris Ile-de-France qui va passer de 7% de notre budget à 0 en 2021-2022. Il est très important pour l’ESSEC de consolider son équilibre et notamment en s’appuyant sur ses alumni et sur les entreprises pour lever des fonds afin de financer nos projets de développement. C’est aussi pour cela que nous avons créé des business units spécifiques : services aux étudiants, services aux participants et services aux entreprises pour mieux répondre à leurs besoins.

O. R : Les pouvoirs publics sont-ils assez attentifs à la santé financière des business schools ?

V. E-V : Les acteurs publics devraient intervenir pour nous soutenir ou du moins ne pas fragiliser le système. Or nous avons encore beaucoup d’interrogations sur la réforme de l’apprentissage et de la formation continue qui intervient cette année. Les business schools françaises portent la marque France à l’international. Cette année et pour la première fois l’ESSEC a ainsi intégré le top 10 des meilleures business schools européennes du Financial Times. Il ne faut pas nous fragiliser alors que nous avons besoin d’investir dans notre développement.

O. R : Quelle hausse des frais de scolarité prévoyez-vous ?

V. E-V : Ils augmenteront de 5,3% en 2018-2019 pour rester dans une fourchette raisonnable. Toute hausse des frais de scolarité doit considérer notre ouverture sociale. Les bourses et les dispositifs d’égalité des chances représentent 11% de notre budget, 15 M€ sur 140.

O. R : Les salaires proposés aux professeurs en France ne sont pas toujours à la hauteur de ceux qu’on peut trouver à l’international. Qu’est-ce qui fait qu’on vient travailler en France ?

V. E-V : L’ambiance académique, le fait d’être excellent dans certains domaines, d’être singuliers. Il ne faut pas abandonner l’exigence et la singularité pour entrer dans des processus de standardisation.

O. R : Un de vos projets phares est la création de votre « Campus 2020 » pour 2023 à l’occasion des 50 ans de l’installation de l’Essec à Cergy.

V. E-V : C’est un investissement de 35 M€ sont nous avons déjà obtenu 19 M€ des collectivités (5 M€ du conseil départemental, 5 M€ de la communauté d’agglomération et 9 M€ de la région Ile-de-France). Nous avons un ancrage local à préserver en nous ouvrant plus sur la ville de Cergy tout en étant associée à l’université cible de Cergy-Pontoise et à son campus international.

Nous allons construire un nouveau centre sportif (« sports & leisure center ») qui sera consacré à de nombreux sports quand celui actuel, à l’image de ce qui se faisait dans les années 70, l’est surtout au basket. Mais l’objectif est surtout de proposer de nouveaux modes pédagogiques, des salles virtuelles pour garder le contact avec les autres campus ou encore des espaces de co-working pour les alumni et les professeurs. L’actuelle principale tour du campus, aujourd’hui administrative, va être dédiée à la recherche pour créer une dynamique entre les professeurs et les entreprises. Nous allons créer un véritable « green campus », dans lequel les voitures disparaîtront dans des parkings souterrains, qui sera un vrai lieu de vie. Il nous faut encore trouver 16 M€ auprès des entreprises avec les alumni et la fondation ESSEC.

O. R : La culture du don est suffisante en France pour apporter des financements complémentaires conséquents à l’enseignement supérieur ?

V. E-V : Il n’y a évidemment pas la même culture du don qu’aux Etats-Unis. Pour obtenir des dons nous avons à présenter des projets, c’est ce qu’on appelle le « fundraising projects based », pour accroître la fierté d’appartenir à une collectivité et de répondre aux enjeux de demain.

O. R : Le concours d’admission postbac Sesame, que vous présidez, passera en 2020 sur la plateforme Parcoursup. Qu’est-ce que cela va impliquer pour vous en termes d’organisation ?

V. E-V : La première décision que nous avons prise cette année a été de nous ouvrir à de nouveaux programmes pour clarifier l’offre de formation et être gage de qualité. Nous avons deux types de programme, à bac+4 et bac+5, et nous voulons clarifier la communication entre ces deux modèles pédagogiques. Sur Parcoursup nous serons une banque d’épreuves de référence pour les meilleurs programmes en 4/5 ans. Il nous reste maintenant à attaquer le sujet de l’adaptation du concours. Notamment avec le développement du numérique.

O. R : Parlons un peu de vous. Vous avez eu la chance unique de naître dans l’un des plus beaux endroits de la planète, l’île de Capri. Comment peut-on quitter Capri ?

V. E-V : J’aurais effectivement pu travailler dans le tourisme comme toute ma famille mais je voulais suivre mes passions et faire de la recherche. D’abord obtenir un doctorat en Italie puis devenir professeur de statistique à Naples. Mais là aussi c’était une vie toute tracée et je voulais une nouvelle dynamique. C’est comme celui que je suis venu un jour en France comme professeur visitant à l’ESSEC puis que j’y suis entré comme professeur de statistiques en 2007. Puis doyen du corps professoral. A ce titre j’ai participé au recrutement de Jean-Michel Blanquer. J’étais en fin de mandat quand il est parti au ministère de l’Education. Je réfléchissais à prendre une année sabbatique à l’international, sans doute aux Etats-Unis où j’étais déjà allé pendant 1 an en 1987, quand je me suis dit « pourquoi pas être directeur ».

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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