ECOLES DE MANAGEMENT

« On a parfois l’impression qu’on s’acharne en France sur tout ce qui marche » : Jean-Michel Blanquer (Essec)

Le groupe Essec se porte bien ! Preuve en est sa troisième place – pour la deuxième année consécutive – dans le Classement des masters du Financial Times. Jean-Michel Blanquer, qui la dirige depuis maintenant deux ans nous trace le portrait d’une école en pleine renaissance mais qui reste fidèle à son ADN. Pour autant le paysage des écoles de management françaises n’a rien d’un long fleuve tranquille…

Jean-Michel Blanquer
Jean-Michel Blanquer

Olivier Rollot : On a beaucoup parlé des problèmes financiers que rencontraient les écoles de management cet été. Quel est pour vous aujourd’hui le bon « business model » des business schools ?

Jean-Michel Blanquer : La question du financement de l’enseignement supérieur est un sujet mondial qui concerne tous les établissements, toutes les business schools en plus d’être un cas français particulier. Le système académique dans lequel évoluent les business schools produit un véritable « mercato » international des professeurs qui conduit à une inflation de leurs rémunérations. Cela dans un contexte de développement de notre masse critique nécessaire pour affronter nos grands concurrents. Les business schools sont également particulièrement touchées parce qu’elles sont soumises à des coûts particuliers induits par des cursus entièrement internationaux et à la pointe.

A tout cela s’ajoute un contexte français particulier puisque les écoles de management ne bénéficient que très faiblement de l’aide des pouvoirs publics. Un vrai paradoxe pour des écoles positionnées parmi les meilleures dans le monde dans tous les classements. Cette année la réforme de la taxe d’apprentissage a été un coup dur pour nos écoles, comme pour les universités, en réduisant encore leurs financements. On a parfois l’impression qu’on s’acharne en France sur tout ce qui marche. On croit que les écoles de management sont riches et on leur coupe les vivres jusqu’à affaiblir gravement les plus faibles, alors même qu’elles jouent un rôle très important au service de l’intérêt général. Dans les classements sur la compétitivité de la France, les deux éléments qui tirent notre pays vers le haut sont les infrastructures et le très bon rang de nos écoles de management.

O. R : C’est quand même dommage qu’on parle essentiellement des moyens nécessaires à l’enseignement supérieur aujourd’hui ?

J-M. B : Ce n’est un sujet ni triste ni trivial. La question des moyens permet de comprendre le sens de l’enseignement supérieur dans nos sociétés. Comment imagine-t-on un modèle entre un système américain d’une part, qui se traduit par de très hautes performances mais aussi par des inégalités et la création d’une « bulle » d’endettement des étudiants finalement néfaste à toute la société, et un modèle français d’autre part qui produit de l’excellence mais qui est en voie de paupérisation aux effets potentiellement dramatiques ?

O. R : L’attitude des pouvoirs publics envers les écoles de management peut-elle évoluer ?

J-M. B : Les ressources publiques étant ce qu’elles sont il ne faut pas trop espérer que ça change prochainement. Il n’en faut pas moins se féliciter du bon état d’esprit envers les établissements privés non lucratifs qu’a initié la loi sur l’enseignement supérieur de 2013 avec la création du statut d’établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général (Eespig) dont nous avons été parmi les premiers établissements à bénéficier. C’est un bon signal qui indique qu’on peut être privé et agir dans l’intérêt général. La plupart des grands acteurs de l’enseignement supérieur dans le monde, et en premier lieu Harvard, ont un statut de « non profit », qui est très adapté à notre temps.

O. R : Mais que dites-vous à ceux qui veulent orienter les ressources de l’apprentissage vers les formations pré bac et surtout pas dans les niveaux post licence ?

J-M. B : L’apprentissage dans le supérieur joue un rôle de locomotive en le tirant vers le haut tout en étant un élément d’ouverture sociale. En s’attaquant à l’apprentissage dans le supérieur on nuit aux plus pauvres qui peuvent ainsi financer leur cursus. Les freins au développement de l’apprentissage dans le second degré ne sont pas financiers mais plutôt liés aux contraintes réglementaires : aller chercher des fonds dans le supérieur pour les réaffecter dans le second degré est aberrant et n’a d’ailleurs produit aucun résultat puisqu’on assiste depuis que ces mesures ont été prises à un affaiblissement de l’apprentissage.

O. R : Les écoles de management ne peuvent compter que sur elles-mêmes aujourd’hui ?

J-M. B : L’essentiel pour nous est aujourd’hui de trouver de nouveaux relais de croissance en réinventant notre modèle économique. Cela signifie d’abord nous renforcer sur notre cœur de métier qu’est la formation initiale. L’Essec est aujourd’hui une institution de rang mondial – 3ème dans le dernier classement des masters en management du Financial Times – qui propose des cursus qui vont du bachelor au PhD en passant par la grande école et des masters. En tout nous recevons aujourd’hui plus de 4500 étudiants dont 30 % d’étudiants internationaux. Une croissance qui se traduit cette année par la première rentrée de notre Global BBA à Singapour.

Nous devons ensuite être volontaristes sur la formation continue sans pour autant tout miser sur elle car la croissance reste limitée en France. Mais de belles opportunités sont sans doute à explorer en Asie. Nous devons aussi créer des ressources nouvelles en développant par exemple des MOOC.

O. R : Vous venez d’inaugurer votre campus à Singapour. L’Essec peut-elle s’implanter ailleurs ?

J-M. B : Oui. L’Essec va continuer à se développer internationalement avec des projets en Afrique – notamment au Maroc avec notre partenaire CentraleSupélec et à l’Ile Maurice- et en Amérique du Nord – au Mexique – pour 2016. Mais nous n’allons pas pour autant ouvrir de nouveaux campus de la même taille que celui de Singapour. Chaque cas correspond à un modèle particulier.

O. R : Une institution d’enseignement supérieur peut gagner de l’argent dans les MOOC ? Beaucoup en doutent aujourd’hui après l’euphorie de l’année dernière.

J-M. B : Notre expérience sur la plateforme de MOOCs Coursera – nous sommes également présents sur la plateforme française FUN – nous a permis d’analyser des segments de marché sur lesquels les besoins sont importants. Aujourd’hui les MOOC sont un titre générique pour décrire l’enseignement à distance avec beaucoup de formules possibles. Quand la Harvard business school ouvre un pré MBA à distance qui coûte 1500$ c’est comme si elle organisait une pré-sélection afin de recruter les meilleurs. Nous sommes présents avec de nouveaux MOOCs très porteurs avec Coursera consacrés à « l’hospitality » et au « strategic business analytics ».

O. R : Au-delà des MOOCs, l’Essec a toujours été en pointe sur la pédagogie. Où en est le Knowledge Lab que vous avez créé en l’année dernière ?

J-M. B : Nous entrons dans sa phase 2 dès cette rentrée avec la mise en place de notre Knowledge Center, une bibliothèque du XXIème siècle sur trois étage dans laquelle les étudiants pourront aussi bien consulter les documents que les bases de données, travailler collectivement et enfin produire du savoir dans le cadre de laboratoires expérimentaux. Notre Knowledge Lab est le cœur matriciel de l’Essec dans lequel on pourra utiliser des murs d’image ou se familiariser avec les technologies 3D. Nos étudiants pourront ainsi travailler sur les applications de la 3D dans de multiples domaines économiques – demain on pourra visiter un pays virtuellement – en liaison avec notre incubateur.

L’innovation en recherche et en pédagogie est dans les gènes de l’Essec. Je veux renforcer cette identité née au début du XXème siècle et très adaptée aux défis d’aujourd’hui.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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