Mathias Vicherat dirige Sciences Po
Le 14 janvier 1872 se tenait la séance d’installation de l’École Libre des Sciences Politiques en présence de son fondateur Emile Boutmy. Un siècle et demi plus tard, c’est également un 14 janvier que le tout nouveau directeur général de Sciences Po, Mathias Vicherat, a tenu à faire sa rentrée médiatique. Preuve de l’intérêt particulier qu’il suscite, autour des habituels représentants de la presse française étaient présentes ce jour-là ceux deux correspondantes de la presse européenne, Frankfurter Allgemeine Zeitung et du Corriere della Sera.
Apaiser pour les 150 ans. « Depuis deux mois que je suis en poste je me suis d’abord appliqué à apaiser les communautés. Début février nous organisons une grande consultation, la dernière date de 2011, pour partager avec tous les personnels. » Comme il s’y était engagé dans son programme, Mathias Vicherat entend mettre son mandat sous le signe du dialogue. Le rôle du sénat académique serait ainsi accru alors qu’il a entamé la visite de l’ensemble des campus qui doivent « prouver leur autonomie financière ».
Si l’acte majeur des 150 ans de la création de Sciences Po sera l’inauguration, le 28 janvier, de son nouveau bâtiment dit « Saint-Thomas », l’année sera également marquée par une nouvelle enquête de son Cevipof sur ses étudiants. Des étudiants qui pourraient bientôt bénéficier de la « banalisation » du mercredi après-midi pour « bénéficier de plages de travail ou de détente ». Parce que la transition environnementale est au cœur de leurs préoccupations, ces mêmes étudiants devraient suivre dès leur première année de bachelor un cours obligatoire de 24 h qui lui sera consacré.
On imagine le soulagement de la communauté de Sciences Po : suite à son passage controversé à ESCP, Emmanuel Zemmour a déclaré ne plus vouloir intervenir dans des établissements d’enseignement supérieur. Invité par les associations étudiantes, les autres candidats seront confrontés à des débats contradictoires : « Nous ne voulons surtout pas que des meetings se tiennent à Sciences Po », insiste le nouveau directeur.
Rapprocher recherche et enseignement. Début février sera lancé le recrutement d’un « provost », un nouveau poste qui aura de larges responsabilités allant de l’enseignement à la recherche. « Il n’aura pas un profil à l’américaine où il peut aller jusqu’à gérer les budgets. Il devra rapprocher enseignement et recherche qui sont encore trop souvent dans des silos parallèles. »
Le provost – ou quel que soit son nom définitif – aura notamment en charge l’augmentation de 30% du nombre de professeurs permanents d’ici 5 ans. Un effort continu depuis maintenant plus de dix ans alors qu’ils sont aujourd’hui 260 pour plus de 1 000 à la London School of Economics par exemple. Mais comment les financer ? « Ces nouveaux professeurs pourront soit être recrutés par la FNSP (Fondation nationale des sciences politiques) soit par la CNRS », espère Mathias Vicearat qui s’appuie également sur les 25 millions d’euros de l’Institut McCourt que le milliardaire américain du même nom a apporté cette année à Sciences Po.
Un modèle économique compliqué. Alors que son financement dépend aujourd’hui autant des droits de scolarité que de ressources propres et de l’Etat, c’est bien vers ce dernier que Mathias Vicherat entend se tourner pour remplir des caisses bien entamées notamment par la construction de son nouveau campus : « Nous souhaitons engager une discussion avec l’Etat sur des objectifs à atteindre alors que, depuis 2012, sa contribution n’a pas augmenté si on excepte une aide de 500 000 euros ces deux dernières années ».
Aucune augmentation des frais de scolarité n’est envisagée, pas plus, comme le suggérait Christine Musselin sa concurrente à la direction, de rediriger les effectifs vers les masters, plus « rentables » que les bachelors, car cela « remettrait en cause la politique d’ouverture sociale et un modèle en 5 ans extrêmement fort, avec des établissements en régions, qu’il faut absolument préserver ». Pour autant une hausse des effectifs dans certains masters très porteurs est possible.
Mathias Vicherat entend en revanche faire progresser la part de la formation continue (10 millions d’euros chaque année contre 50 pour HEC Paris). Enfin le levier mécénat lui semble « très porteur ». Mathias Vicherat entend également proposer des projets de collaboration au tout nouvel Institut national du service public (INSP), successeur de l’Ena, qui n’a que peu de professeurs permanents.
De plus en plus de boursiers. 97% des reçus 2021 ont reçu une mention très bien – dont la moitié ayant les félicitations du jury -, Mathias Vicherat en est convaincu : la qualité du recrutement 2021 est exemplaire. Elle se conjugue même avec une hausse de 5% du taux de boursiers (qui frôle la barre des 30% à 29%) alors que les inscriptions ont explosé de 107% avec le passage du Parcoursup.
Cette hausse du nombre de boursiers s’appuie notamment sur une plus forte contribution des lycées puisque le nombre de lycées qui ont envoyé cette année des étudiants à Sciences Po a cru de 45% et qu’ils viennent à 75% de régions. Résultat : les grands lycées, notamment parisiens, ont vu leur part baisser. « Il vaut mieux être très bien classé dans un bon lycée de Bordeaux que moyennement dans un lycée parisien qui, de toute façon, pousse ses têtes de classe à aller plutôt en classe préparatoire », revendique Mathias Vicherat.
L‘ouverture sociale pourrait également passer par une hausse du nombre d’alternants que Mathias Vicherat a demandé à tous les cycles de master de proposer.
Question spécialités du bac, les candidats reçus sont issus de 18 combinaisons différentes en terminale, avec très logiquement un primat de Histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques (HGGSP) devant les Sciences économiques et sociales (SES) et les mathématiques.
Mieux écouter les étudiants. Dans une période de crise sanitaire marquée par la montée de la précarité étudiante, Sciences Po va ouvrir un centre Santé et accompagnement psychologique avec l’ARS (Agence régionale de santé) d’Ile-de-France pour le campus de Paris.
L’IEP poursuit également la mise en œuvre du plan de lutte contre les violences sexistes et sexuelles annoncé le 27 août 2021. A la rentrée 2021, ont été mis en place des référents et infirmières sur les campus, l’activation d’un dispositif d’écoute externalisé avec France Victimes et le déploiement de formations obligatoires (suivies par près de 10 000 personnes depuis septembre). Une « cellule d’enquête interne préalable (CEIP) » a même été mise en place ce mois de janvier 2022, avec le soutien de la magistrate administrative Catherine Fischer-Hirtz, épaulée par une chargée d’enquête.