CLASSES PREPAS, ECOLES DE MANAGEMENT, POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR, PROGRAMMES

« Promouvoir l’ascenseur social en France, mais aussi à l’étranger, fait partie des missions d’HEC Paris »

A la direction d’HEC Paris depuis début 2021, Eloïc Peyrache a entrepris d’en faire évoluer le concours dès 2022. Pour les boursiers comme pour tous les candidats. En 2023 d’autres évolutions sont à venir. Dans cet entretien paru pour la première fois en décembre 2021 dans « l’Essentiel Prépas », il explique tout ce qui va changer pour les candidats. (Photo : Magali Delporte)

Olivier Rollot : Le soutien que HEC entend apporter aux boursiers dès son concours 2022 a fait couler beaucoup d’encre. Quelles en seront les modalités exactes ?

Eloïc Peyrache : Tout le monde en retient l’idée d’une discrimination positive, alors qu’il s’agit tout d’abord de donner des points en plus à l’ensemble des étudiants dits « carrés ». L’effet premier sera ainsi d’accélérer le temps en classe préparatoire ce qui, indépendamment de la grande qualité du parcours en prépas, est une bonne nouvelle pour l’ensemble des candidats.

C’est déjà le cas depuis longtemps dans les écoles d’ingénieurs. In fine, nous aurons aux alentours de 80% de nos étudiants qui seront bonifiés et donc aucune stigmatisation des étudiants boursiers.

O. R : Mais alors pourquoi ne conserver ce « coup de pouce » en cubes qu’aux seuls boursiers ?

E. P : C’est effectivement la deuxième dimension de la mesure. Nous avons longuement étudié les données des étudiants boursiers sur critères sociaux. Il est clair que ces étudiants ont besoin d’un peu plus de temps en classes préparatoires pour exprimer tout leur potentiel. Les classes préparatoires ont une extraordinaire capacité à réduire les inégalités par rapport à la sortie du bac. Mais cela peut prendre du temps. Maintenir la bonification – ni plus ni moins – pour les étudiants boursiers s’ils cubent nous permet de les mettre sur la même ligne de départ au concours que les carrés non boursiers. Cette année de plus leur donne ainsi toute leur chance d’exprimer tout leur potentiel.

O. R : Au-delà de l’ouverture sociale, ce dispositif a-t-il d’autres vertus ?

E. P : L’analyse de nos données de concours montre qu’un tel système devrait avoir un effet positif sur la part des femmes admises à HEC. Un effet de l’ordre de 10% d’accroissement.

L’autre impact est de favoriser l’entrée d’élèves issus d’un plus grand nombre de classes préparatoires, notamment en dehors de l’Ile de France. Cette plus grande diversité est à notre sens une dimension clé pour l’avenir de la filière. Favoriser les carrés permettra un peu plus à des étudiants de province par exemple d’intégrer en deux années plutôt que de cuber à Paris. Logiquement nous devrions ainsi avoir une progression du nombre de lycées.

En résumé avec cette réforme nous allons accroitre la diversité de genre, sociale et territoriale sans stigmatiser une population plutôt qu’une autre.

O. R : Ce n’en est pas moins une réforme à laquelle certains sont opposés.

E. P : Nous avons travaillé depuis plusieurs années sur cette idée de bonification des carrés avec de nombreux proviseurs de prépa. Je conçois bien que les changements ne peuvent avoir 100% d’adhésion. Mais c’est une mesure qui nous semble simple et juste.

O. R : Vous subissez aussi la pression du gouvernement pour accroitre la diversité sociale dans les « très grandes écoles ».

E. P : Notre décision n’est pas liée à une quelconque pression du gouvernement. Nous sommes une institution académique pour laquelle les enjeux d’ascension sociale sont très importants. C’est cela qui nous pousse à prendre des mesures qui font sens.

Nous ne sommes pas en train de plier le bras face à des injonctions politiques. Il y a plus de dix ans que nous sommes fortement mobilisés sur les questions d’égalité des chances. C’est un engagement très fort que nous avons pris, notamment avec le soutien de la fondation HEC, pour amener plus d’étudiants vers la filière. En dix ans nous sommes ainsi passés de 5% à 15% de boursiers parmi nos étudiants. Mais il fallait aussi constater que nous étions parvenus à un palier et qu’il était temps de nous engager dans d’autres dispositifs complémentaires et justes.

O. R : Une évolution des épreuves est-elle nécessaire pour favoriser la diversité sociale ?

E. P : Tout en gardant l’esprit et l’exigence de nos concours, il est possible de mieux structurer certaines épreuves. Parfois, cela peut passer par le libellé des sujets. Un exemple : il y a quelques années, dans le cadre de notre épreuve d’oral dite de « triptyque », où les candidats tirent un sujet au hasard, nous avions posé la question « Faut-il rendre à la Grèce la Victoire de Samothrace ? ». Or l’un des deux candidats ne connaissait pas l’œuvre et donc n’a pas pu débattre. Il est apparu que poser la question autrement en indiquant « Faut-il rendre à la Grèce la Victoire de Samothrace, œuvre de l’antiquité exposée au Musée du Louvre ? » n’aurait pas changé l’esprit de l’épreuve et aurait permis au débat d’avoir lieu.

En parallèle, nous voulons bien entendu conserver l’épreuve de culture générale. Mais là, aussi, en ajustant sans doute un peu la structure de manière que le sujet soit compris et la culture générale de chaque candidat mobilisée au service du sujet à traiter. C’est une posture assez différente.

O. R : Avec l’arrivée en 2023 des premiers candidats issus des nouvelles classes préparatoires économiques et commerciales générales (ECG), l’évolution des épreuves des concours fait débat. Notamment en langues. Notamment pour la banque Elvi dont vos professeurs font partie de ceux qui rédigent les sujets. Comment voulez-vous faire évoluer ces épreuves ?

E. P : La concertation est importante pour une filière qui doit s’adapter régulièrement. Ce que nous souhaitons en faisant évoluer les épreuves de langues c’est que les étudiants s’expriment et écrivent mieux dans une langue étrangère. Notre vocation est de recevoir des étudiants du monde entier, qui doivent pouvoir communiquer entre eux.

O. R : Mais faut-il vraiment supprimer toute épreuve de version ?

E. P : Dans un univers où tout le monde dispose de Google Traduction, il était nécessaire de faire évoluer nos épreuves. Traduire de l’anglais au français, ou toute autre langue, cela nous intéresse moins. Nous voulons recevoir des étudiants qui s’expriment – à l’écrit comme à l’oral – en anglais, arabe, italien, etc. le thème ou la version sont sans aucun doute des exercices intéressants mais ne peuvent pas être au cœur de notre sélection.

O. R : Vous entendez quand même les critiques que vous font les professeurs de langues de classes préparatoires?

E. P : Bien sûr et nous évoluons ensemble, tant sur la longueur des textes du dossier ou des attendus des élèves. Je suis très ouvert à une association avec les professeurs de classes préparatoires pour affiner ensemble nos projets. Une nouvelle fois, le monde change. En mathématiques il y a aujourd’hui de la programmation. En langues nous avons besoin de plus d’expression personnelle. Il est très sain que les concours évoluent régulièrement.

O. R : Aujourd’hui HEC Paris est la seule école de management à ne pas dispenser de bachelor. Allez-vous bientôt le faire ?

E. P : Ce n’est en tout cas pas dans les cartons. Nous regardons bien entendu en permanence comment évoluent les business schools. HEC est aujourd’hui une graduate school, leader à la fois en formation continue, sur le segment des MBAs et dans le domaine des Master pré-expérience professionnelle. C’est une force extraordinaire.

Il faut avoir en tête qu’avec la classe préparatoire, nous offrons en fait un véritable parcours intégré en 5 ans. C’est avec les classes préparatoires que nous délivrons la formation en arts libéraux comme le font les plus grandes institutions mondiales, Wharton, le MIT (Massachusetts Institute of Technology), Harvard. La différence c’est que, dans ces grandes institutions, l’enseignement des liberal arts dure tout au long des quatre ans de bachelor. Dans notre modèle, il est concentré sur les deux années de classes préparatoires. La sélection ne se fait également pas au même moment. Mais sur le fond, le projet intellectuel est assez proche.

O. R : La pandémie a été rude pour les business schools, notamment en Executive Education. Comment se portent les finances d’HEC aujourd’hui ?

E. P : Notre structure de revenus est en fait assez équilibrée avec un tiers pour les MBAs, un tiers pour la formation continue et un tiers sur le segment pré-expérience. L’Executive Education a connu pas mal de soubresauts mais nous avons pu largement les surmonter dans la mesure où beaucoup de coûts sont également variables. De plus, des élèves, bloqués dans leurs pays, ont dû reporter leur arrivée en MBA. Tout ceci a eu un effet négatif. En revanche, nous n’avons jamais eu autant de candidatures en pré-expérience.

Alors qu’HEC est une institution à but non lucratif dont le budget est chaque année à l’équilibre, ces deux dernières années, nous avons donc connu un léger déficit.

Une vue du campus d’HEC Paris

O. R : Allez-vous un jour recevoir plus d’élèves en classes préparatoires ?

E. P : Nous sommes passés de 380 à 400 places il y a quatre ans. Notre volonté a été, en parallèle, de continuer à accroitre la diversité disciplinaire et internationale au sein du programme Grande Ecole. Et donc, à court terme, nous pensons rester à 400 admis.

O. R : Comment se développent les collaborations entre HEC et ses partenaires, dont l’Ecole polytechnique, au sein de l’Institut polytechnique de Paris ?

E. P : Elles sont en plein essor avec notamment la création d’un institut dédié à l’Intelligence artificielle (IA), HI ! Paris, il y a un an. Nous y recrutons ensemble des chercheurs de premier plan venus du monde entier et favorisons les collaborations. Je vous donne un exemple : aujourd’hui des professeurs de droit d’HEC travaillent avec des professeurs d’informatique de l’Ecole polytechnique pour développer une Intelligence artificielle pour la Cour de Cassation.

Nous formons également plusieurs centaines d’élèves dans des programmes commun, que ce soit dans le domaine de l’intelligence artificielle, de l’entrepreneuriat ou de l’innovation.

O. R : Pas question pour autant pour vous de faire partie un jour de l’Institut polytechnique de Paris ?

E. P : L’Institut polytechnique de Paris est une school of engineering avec laquelle nous avons conclu une alliance très forte. Nous avons des liens très forts sur beaucoup de sujets, dont celui de l’égalité des chances, mais pas vocation à entrer dans l’Institut polytechnique de Paris.

O. R : Selon un classement que vient de publier le Times Higher Education, les diplômes français sont les deuxièmes les plus prisés au monde. Derrière les États-Unis. C’est un classement qui vous étonne ou pas ?

E. P : Notre capacité d’attraction des meilleurs étudiants est excellente. Nous regardons par exemple de près quelle est la proportion, parmi les étudiants qui sont admis chez nous et dans d’autres institutions de premier plan, de ceux qui nous choisissent ou qui démissionnent. Le taux de confirmation est excellent. La France s’appuie également sur de très bonnes écoles d’ingénieurs.

Cette réputation est bien entendue connue des recruteurs. A HEC nous recevons ainsi des entreprises présentes sur de nombreux continents qui viennent recruter des étudiants qu’elles emploieront ensuite dans le monde entier. Là aussi, prenons un exemple : Bain & Company, l’un des cabinets de conseil les plus renommés au monde, vient ainsi recruter sur le campus avec une grande partie de ses bureaux dans le monde, qu’il s’agisse de New York, Dubai, Hong Kong ou Londres. C’est une chance inouïe pour nos élèves, quelle que soit leur nationalité.

O. R : La concurrence entre les business schools du monde entier est rude. Comment HEC la vit-elle aujourd’hui ?

E. P : Je ne sais pas si c’est un effet Trump qui se poursuivrait, ou Brexit, mais nous n’avons jamais eu autant de candidatures. La France reste en effet extrêmement ouverte aux étudiants grâce aux mesures prises par les autorités pour les recevoir. La France reste une terre d’accueil. Dans un monde qui a tendance à se replier sur lui-même nous devons saluer la richesse de cette diversité. Sur notre campus des étudiants de 110 nationalités, dont les pays sont parfois en guerre, se croisent.

Promouvoir l’ascenseur social en France, mais aussi à l’étranger, fait partie de nos missions.

O. R : Vous avez pris la direction d’HEC il y a moins d’un an, en janvier 2021. Qu’est-ce que vous avez déjà pu faire évoluer depuis cette date ?

E. P : Avec toute la communauté d’HEC, l’école, les alumni, la fondation, nous avons entrepris de redéfinir la raison d’être, la mission et les valeurs de l’école. Ensemble nous avons pu délivrer une feuille de route qui met l’impact a cœur de notre ambition.

Dans une entreprise c’est souvent le triptyque « people / business / finance » qui permet de créer de la valeur. Dans une business school, le triptyque est à mon sens articulé autour de « people / impact / ressources ». Les personnes de l’écosystème HEC – salariés, professeurs, étudiant ou diplômés – sont bien au cœur de notre capacité d’action. A nous de créer les conditions de pleine expression de cette énergie. L’impact, quant à lui, c’est le cœur de notre métier. C’est en grande partie celui de nos chercheurs qui forment des étudiants qui seront des leaders inspirés et inspirants. C’est aussi celui de nos équipes qui rendent cela possible et aident nos élèves à grandir. Les ressources sont quant à elle une conséquence de notre impact et seront réinvesties au service de notre mission. C’est parce que sommes une formidable plateforme au service de l’impact que nous avons une capacité à générer des ressources externes avec notre fondation et nos alumni.

 

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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