ECOLE D’INGÉNIEURS

Quelle stratégie pour l’Ecole polytechnique ? : entretien avec Jacques Biot, son président

Âgé de 61 ans, lui-même polytechnicien, Jacques Biot est depuis l’été dernier le premier président exécutif de l’École polytechnique. Il revient avec nous sur la stratégie qu’il met aujourd’hui en œuvre à la tête de son école.

Olivier Rollot : Pouvez-vous nous rappeler les grands axes de la stratégie que vous mettez aujourd’hui en œuvre dans votre école.

Jacques Biot : Nous sommes une école scientifique pluridisciplinaire, traditionnellement liée au ministère de la Défense, dont le rôle est de former des cadres de très haut niveau dotés de fortes valeurs morales. Cet ensemble de qualités permet à nos diplômés d’avoir des débouchés variés qui vont de la fonction publique à l’industrie au sens large, de la recherche – 25% de nos diplômés poursuivent par une thèse – à la création d’entreprise.

O. R : La pluridisciplinarité qui est au centre du projet de l’école est-elle encore un projet d’avenir alors que chaque discipline se complique ? Vous dites vous-même que le réservoir de jeunes capables de maîtriser ces disciplines différentes n’est pas suffisant pour permettre d’augmenter les promotions de l’école.

J. B : C’est la culture scientifique pluridisciplinaire de nos élèves qui est à la base de notre différence avec les autres écoles d’ingénieurs. Et justement, la science et la technologie ne pourront engendrer la prospérité dans les années à venir, conformément aux thèses du Prix Nobel d’économie Edmund Phelps, que si elles sont appliquées dans un esprit multidisciplinaire. Nous entrons dans un monde d’objets extraordinairement complexes dans lequel l’approche des polytechniciens sera de plus en plus nécessaire. Le progrès vient aujourd’hui de la multidisciplinarité.

O. R : On l’appelle la « pantoufle », c’est la somme que devraient bientôt rembourser les jeunes diplômés de Polytechnique qui n’entrent pas dans la fonction publique à la fin de leur cursus et qui correspond à la rémunération qu’ils ont touchée chaque mois au titre d’élèves fonctionnaires. Faute de voir les décrets entérinant ce remboursement paraître, l’Assemblée nationale a entrepris récemment une enquête sur le sujet. Que répondez-vous aux députés ?

J. B : D’abord que l’Ecole a exécuté efficacement, et de manière diligente, la partie du processus qui était en son pouvoir, puisque le conseil d’administration de juin 2013 a adopté les textes nécessaires. La publication des textes nécessite du temps, ce qui est normal puisqu’ils nécessitent une concertation interministérielle et que l’un d’entre eux est un décret. Ceci étant, nous les avons anticipés et les élèves qui entreront dans l’école en 2014 savent déjà qu’ils auront à rembourser les sommes qu’ils auront touchées à l’X s’ils n’entrent pas dans la fonction publique, à l’exception de quelques cas bien spécifiques. Nous n’allons par exemple pas demander à ceux qui partent dans la recherche ou créent leur entreprise de rembourser dans les mêmes conditions que ceux qui entrent dans une grande entreprise.

O. R : Mais pourquoi tout simplement continuer à payer les étudiants de l’X, aux alentours de 900€ par mois ?

J. B : Payer les étudiants permet de les mettre tous sur un pied d’égalité. Ceux qui seront fonctionnaires méritent autant d’être payés que les élèves des autres écoles de la fonction publique. Pour les autres c’est une sorte de prêt d’honneur et le remboursement prévu de la pantoufle règle la question. Je rappelle aussi que tous nos élèves passent une année au service de la collectivité dans le cadre de leur service militaire et civique.

Une vue aériennes du campus de l’École Polytechnique à Une vue aérienne du campus de l’École polytechnique (© École polytechnique, Ph. Lavialle)Une vue aériennes du campus de l’École Polytechnique (©École polytechnique, Ph. Lavialle)

O. R : On parle beaucoup de « fuite des cerveaux » vers l’étranger. Les jeunes polytechniciens partent-ils beaucoup travailler à l’étranger pour leur premier emploi ?

J. B : Ils étaient 22% à faire ce choix parmi les élèves diplômés en 2011, dont plusieurs qui partent dans le cadre d’un volontariat international en entreprise (VIE). Ce qu’il faut savoir c’est que la plupart partent dans des entreprises françaises implantées à l’étranger. Ils y acquièrent une expérience qui sera importante pendant toute leur carrière et qui sera au service des intérêts de la France.

O. R : La dimension internationale de votre école est aussi marquée par le nombre de plus en plus important d’étudiants étrangers qui y suivent des cursus.

J. B : En tout les étudiants étrangers représentent 30% de nos effectifs : 20% de chaque promotion dans le cycle ingénieur polytechnicien, environ 50% dans les masters et les thèses. Nous recevons de plus en plus de Chinois et de Sud-Américains et, bien sûr, beaucoup d’Africains. Nous contribuons ainsi à la formation des élites dans le monde, ce qui représente une mission très importante pour nous. Nous sommes ainsi très fiers d’avoir vu l’un de nos anciens d’origine franco-ivoirienne, Tidjane Thiam, recevoir en novembre dernier le Grand Prix de l’économie des Échos pour son parcours jusqu’à la tête de l’un des principaux assureurs britanniques et mondiaux, Prudential.

O. R : Rappelons que la quatrième année du cursus de l’X s’effectue dans ce qu’on appelle une « école d’application » qui peut être en France – Mines ParisTech, Ponts ParisTech etc. – mais aussi à l’étranger. Vous êtes justement en train de « rationaliser » vos accords avec les universités et écoles partenaires. Pourquoi ?

J. B : Nous avons aujourd’hui plus d’accords de partenariat avec des institutions à l’étranger – 200 – que d’élèves qui y partent au cours de leur quatrième année. Nous préférons dans le futur renforcer nos liens avec des institutions qui partagent vraiment notre philosophie. Nous avons ainsi un double diplôme avec l’université Caltech aux États-Unis, nous avons créé le programme Ignite avec Stanford, nous avons inauguré cette année l’école d’ingénieurs ParisTech-Shanghai Jiao-tong qui accueille plus de soixante élèves chinois. De plus, nous tenons à que ces accords soient à double sens. Nous pensons aujourd’hui pouvoir identifier une quinzaine de grands partenaires stratégiques dans le monde.

O. R : Polytechnique appartient à la future grande université Paris-Saclay qui verra le jour en 2014. Qu’en attendez-vous ?

J. B : D’abord une grande force d’attraction internationale pour une université qui devrait être classée entre la 20ème et la 10èmeplace mondiale dans les classements internationaux. Mais l’École polytechnique n’appartient pas à Paris-Saclay, elle est sous tutelle du ministère de la Défense et co-tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, c’est Paris-Saclay qui nous appartient puisque nous en sommes en quelque sorte  coactionnaires en tant que membres fondateurs avec les autres institutions membres.

O. R : Il va falloir vous y entendre avec des écoles qui sont vos concurrents historiques, par exemple l’École Centrale de Paris. Cela ne vous semble pas difficile ?

J. B : Nous sommes des amis avec des positionnements différents : chacune des grandes écoles a sa place et sa spécificité. Nous ne voyons que rarement des élèves reçus à Polytechnique choisissant finalement d’autres écoles d’ingénieurs.

O. R : Vos grands concurrents sont aujourd’hui à l’étranger ?

J. B : La compétition internationale est effectivement très active. Elle démarre aujourd’hui avant même notre recrutement post prépa. C’est dès le bac que les grandes institutions internationales viennent chercher les meilleurs bacheliers.

O. R : Autre sujet compliqué, le rapprochement qui semble programmé entre Polytechnique et l’Ensta ParisTech si on en croit le rapport qui a récemment été remis sur le sujet. C’est aujourd’hui une chose faite ?

J. B : Il faut laisser du temps au temps. Le rapprochement entre Centrale et Supélec a pris trois ans. Si ce rapprochement avec l’Ensta ParisTech aboutissait, cela permettrait de renforcer de nombreuses synergies entre deux écoles sous tutelle du ministère de la Défense. Mais ce n’est pas une condition du développement de l’École polytechnique

O. R : L’École polytechnique est aujourd’hui très proche d’HEC. Le rapprochement entre écoles d’ingénieurs et de management est-il une nouvelle dimension indispensable dans l’enseignement supérieur aujourd’hui ?

J. B : Mon expérience professionnelle dans l’entreprise m’a montré que les tandems X-HEC fonctionnaient très bien. Il est aujourd’hui possible aux étudiants de nos deux écoles d’obtenir un double diplôme et nous travaillons avec HEC notamment dans le cadre de notre master Innovation technologique et entrepreneuriat.

O. R : Le débat a récemment fait rage quant aux rémunérations des professeurs de prépas. Vous vous sentez solidaires avec eux ?

J. B : Nous parlons beaucoup avec les professeurs de prépas et nos liens pourraient se renforcer.. Ce sont les prépas qui sélectionnent pour nous en amont les étudiants les plus brillants et nous avons une solidarité très forte avec eux.

O. R : Pourtant vous recrutez dans peu de classes prépas, essentiellement parisiennes. Cela peut-il changer ?

J. B : Nous le souhaitons en tout cas et nous encourageons toutes les prépas à présenter des candidats. A cet effet nous maintenons d’ailleurs ouverts des centres d’examen en province pour les concours écrits même s’ils reçoivent peu de candidats.

O. R : L’objectif d’une plus grande diversité dans l’école, notamment de sexes, est toujours au centre de vos préoccupations ?

J. B : La sélection se fait en amont : après un bac scientifique, les jeunes filles choisissent souvent d’autres voies que celles qui mènent à Polytechnique, notamment médecine où elles sont très largement majoritaires. Nous travaillons à ce que cela change.

O. R : Une dernière question, vous venez de mettre en ligne vos premiers cours en ligne ouverts à tous et gratuites, les fameux MOOCs (à lire la semaine prochaine l’entretien avec le directeur des études de l’école Frank Pacard). Quel est votre objectif ?

J. B : Être une force pionnière. D’abord sur la plateforme Coursera et, dès le mois de mars, sur la plateforme du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche France Université Numérique. Avec l’ENS Ulm, l’ENS de Lyon, l’EPFL, l’Université catholique de Louvain et l’Université de Montréal, nous sommes également partenaires du portail Océan qui va permettre de présenter une large offre de MOOCs francophones.

 

Estl 48 Ing Le nouveau logo de Polytechnique bien accueilliUn nouveau logo bien accueilli

Le moins que l’on puisse dire c’est que refondre le logo d’une institution comme l’École polytechnique est un exercice périlleux dont s’est très bien sortie l’agence Babel selon tous les avis en faisant émerger un logo fortement appuyé sur les valeurs de l’école (le fameux X plus la reprise du blason – les armes de l’école) agrémenté d’un « l’ » qui marque son ancrage français sans nuire à sa vocation internationale (le « l’ » n’empêche pas L’Oréal de vendre dans le monde entier, rappelle-t-on à l’école) et d’une mention à l’université Paris-Saclay que Polytechnique est la première à revendiquer. Les premières applications du logo – sites Internet, cartes de visites et même drapeau dans la cour de l’école – reçoivent un excellent accueil. Logique car toutes les communautés de l’X ont largement été consultées pour aboutir à son choix parmi les 42 projets initiaux. « A l’issue d’un appel d’offres public, nous avons été séduits par la proposition de Babel et notamment la dissymétrie du X en haut à droite comme son côté dynamique », explique Jacques Biot avant de rappeler que « le logo final est le résultat d’un très long travail ».
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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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