PERSONNALITES, POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR, UNIVERSITES

Sciences Po : et maintenant ?

Dès l’instant où il avait menti en niant publiquement connaître les faits reprochés à Olivier Duhamel son départ semblait inéluctable : le mardi 9 février Frédéric Mion a dû se résoudre à démissionner de la direction de Sciences Po face à de nouvelles révélations sur sa connaissance des faits. Alors que c’est à Bénédicte Durand, la directrice des formations initiales de Sciences Po, que Frédérique Vidal a confié les rênes de son institution pendant la période de transition qui débute, nul ne peut dire aujourd’hui quels nouveaux rebondissements vont survenir. D’autant que ce sont tous les IEP sont sous le feu des critiques avec la percée du hashtag #sciencesporcs. Le gouvernement a maintenant six mois pour nommer un successeur à Frédéric Mion mais aussi à Olivier Duhamel. Au sein de Sciences Po un « search comitee », composé à parité de membres du collège des fondateurs et de membres élus du conseil d’administration va être constitué pour proposer des candidats à la présidence de la FNSP (Fondation nationale des sciences politiques).

Mensonges répétés. Selon la mission d’inspection de l’Éducation, du sport et de la recherche, qui menait une enquête sur l’affaire Duhamel et ses implications à Sciences Po depuis deux semaines, Frédéric Mion aurait en effet choisi « de ne pas divulguer l’intégralité des informations dont il dispose et des décisions qu’il a prises ». Comme l’explique Le Monde c’est à deux reprises que Frédéric Mion leur a assuré ne pas avoir évoqué au sein de Sciences Po les accusations d’inceste pesant sur Olivier Duhamel. Et surtout pas avec Marc Guillaume, ancien secrétaire général du gouvernement et actuel préfet d’Île-de-France, parce que, a-t-il précisé, « il ne souhaitait pas exposer » celui qui était alors secrétaire général du gouvernement.

Mais voilà Marc Guillaume avait de son côté finalement admis selon Marianne qu’il avait été informé à deux reprises de « problèmes sexuels » concernant Duhamel (« Mais pas d’inceste ») par… Frédéric Mion. Et ceci dès le printemps 2018. Une révélation qui montre à la fois que Frédéric Mion n’est pas resté inactif après avoir été prévenu par Aurélie Filipetti de l’affaire, mais aussi qu’il était décidément au courant contrairement à ce qu’il avait d’abord prétendu… Au point même de demander à deux personnes au courant de l’affaire, Aurélie Filipetti et un membre du Comex de Sciences Po, de ne pas en faire état « pour ne pas porter préjudice à la notoriété de Sciences Po ».

Dans son courrier expliquant sa démission aux étudiants et enseignants de Sciences Po le directeur Frédéric Mion a déclaré dans une lettre aux étudiants et enseignants de Sciences Po il exprime avoir « jugé en conscience que mon devoir était de ne pas quitter mon poste avant que soit menée à bien l’enquête diligentée, à la demande de la ministre de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, par l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la jeunesse (…) Le rapport provisoire de cette inspection, qui m’a été adressé ce jour, confirme qu’aucun système de silence concerté ou de complaisance n’a existé au sein de notre établissement (…) Le rapport pointe toutefois de ma part des erreurs de jugement, dans le traitement des allégations dont j’avais eu communication en 2018, ainsi que des incohérences dans la manière dont je me suis exprimé sur le déroulement de cette affaire après qu’elle a éclaté. Je mesure le trouble qui en résulte et j’en assume l’entière responsabilité ».

Turbulences en séries. Après la démission de Frédéric Mion Sciences Po Paris entre dans une nouvelle phase de tension qui rappelle celle de 2012 intervenue après le décès de Richard Descoings. A l’époque le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI) avait tenté d’imposer un universitaire. La FNSP s’y était opposée. Le match va-t-il recommencer ? Président du conseil de l’IEP de 2016-2019 Nicolas Metzger écrit ainsi à l’ensemble des membres des conseils d’administration de Sciences Po que « les conseils d’administration de l’IEP et de la FNSP, que j’ai relancés à de nombreuses reprises pour qu’ils assument leurs responsabilités, ont été au mieux absents, en réalité très complaisants ». Et d’accuser : « Cette complicité illustre l’ampleur des défaillances de nos instances de gouvernance, incapables d’exercer leur mission de contrôle. Les démissions d’Olivier Duhamel, de Marc Guillaume et de Frédéric Mion ne sont que le point de départ d’une renaissance profonde de notre institution, dont les mots d’ordre devront être le rassemblement, la confiance, l’ouverture, la transparence et la fin de l’entre-soi ».

En jeu l’indépendance d’une institution très jalouse de son indépendance vis-à-vis du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Mais en jeu également son financement alors que les coûts d’aménagement de l’Hôtel de l’Artillerie menacent son équilibre financier, déjà fragilisé par la large absence des étudiants étrangers cette année. Comme le souligne Le Monde « que la réputation de l’établissement soit entachée par un scandale sexuel – pire, d’un inceste, comme dans l’affaire Duhamel – tu par son directeur, et le financement du projet immobilier se retrouverait en difficulté. C’est la raison, aussi, pour laquelle Frédéric Mion a tenu si longtemps… »

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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