ECOLES DE MANAGEMENT

Stratégie d’école : Audencia et l’hybridation

  • Tout l’été nous vous proposons de retrouver des grands entretiens publiés sur ce blog en 2014-2015 et qui présentaient des stratégies d’établissements.

Depuis plus de dix ans dans le peloton de tête des écoles de management, Audencia Nantes a bâti toute sa stratégie sur « l’hybridation » entre les disciplines. Son alliance avec Centrale Nantes lui permet de former de plus en plus d’ingénieurs-managers et de managers-ingénieurs, elle possède une école de communication et vient de se rapprocher d’une école d’architecture. Plongée dans un groupe d’écoles original avec son directeur général, Frank Vidal (à suivre sur son compte Twitter @DgAudencia)

Frank VidalOlivier Rollot : Le tout nouveau statut d’école d’enseignement supérieur consulaire (EESC) a été adopté par le Parlement. Êtes-vous intéressé ?

Frank Vidal : Il a bien longtemps que nous sommes une association qui intègre toutes les parties prenantes : collectivités, CCI, instituions, diplômés, entreprises, professeurs, collaborateurs et personnalités qualifiées comme le président de l’université de Nantes. De plus, même si notre proximité avec la chambre de commerce de commerce et d’industrie est grande, Audencia n’est pas le service d’une chambre comme c’est le cas dans d’autres régions. Nous ne sommes donc pas directement concernés par ce nouveau statut.

O.R : Ce nouveau statut a pour but de faire entrer dans nouveaux partenaires au capital. Vous n’avez pas besoin de nouvelles contributions financières ?

F. V : Dans l’immédiat, nous ne voyons pas de raisons à faire entrer des partenaires privés dans une école économiquement saine en plein développement. Depuis 2011 notre chiffre d’affaires augmente de 11 à 12% chaque année. Nous avons de plus en plus d’étudiants, de professeurs et d’implantations. Nous devons poursuivre cette croissance dans un contexte compliqué avec la mise en place des Comue (communautés d’universités et d’établissements), la baisse programmée des moyens des CCI ou encore celle de la taxe d’apprentissage.

O.R : Pour se financer les écoles de management font de plus en plus appel à leurs fondations. Qu’en est-il de la vôtre ?

F. V : Elle est très axée sur le financement de la recherche. Nous pensons que les frais de scolarité versés par les étudiants doivent aller à leur formation et que la recherche doit se financer autrement. Nous avons notamment créé six chaires avec des partenaires entreprises.

O.R : Mais les alumni, les anciens, contribuent-ils financièrement, à leur ancienne école ?

F. V : Nous avons beaucoup travaillé sur notre relation avec les anciens : aujourd’hui chaque étudiant est automatiquement adhérent d’Audencia Alumni à vie et peut profiter de l’ensemble des services de l’association dès son entrée dans l’école. Le budget de l’association atteint aujourd’hui 1 million d’euros et nous avons ouvert une maison des diplômés à Paris. Un travail de fond qui donnera bientôt tous ses fruits. Mais il faut aussi avoir conscience que, si notre école a plus de 100 ans, nous avons diplômé autant d’étudiants ces quinze dernières années que les 100 précédentes. La plupart de nos diplômés sont encore relativement jeunes et en train de parvenir à des postes de  responsabilité.

O.R : Quelles sont les grands axes stratégiques que vous vous êtes fixés pour votre développement ?
F. V : La première c’est l’hybridation avec des domaines à la frontière du management symbolisée par notre partenariat avec l’École Centrale et l’Ecole d’architecture de Nantes dans ce que nous avons appelé L’Alliance Centrale Audencia Ensa Nantes. Nous ne sommes plus seulement une école de management ! Cette volonté de travailler avec d’autres profils est également visible en Chine où nous avons ouvert un campus au sein du Beijing Institute of Technology. Même chose en Roumanie où nous venons de lancer un master commun avec le Politehnica Bucarest.

Avec 150 doubles diplômés chaque année, nous avons aujourd’hui un savoir-faire sans équivalent dans la formation des ingénieurs-managers et nous pensons maintenant à créer des bachelors hybrides. Cette légitimité sur ce champ d’hybridation nous ouvre par exemple aujourd’hui les portes de la Russie où nous formons avec Centrale des cadres de l’industrie lourde.

O.R : Vous pensez pouvoir faire la même chose avec l’école d’architecture ?

F. V : Le management va s’y développer et nous avions déjà un parcours dédié mais pas encore un double diplôme que nous savons être très attendu par les professionnels du bâtiment. Plus spécifiquement, nos trois écoles travaillent ensemble sur trois domaines : la « ville intelligente », la mer, le Big Data. Aucun domaine n’est de la compétence exclusive de l’une des écoles et nous voulons être les champions de recherches à l’interface de l’ingénierie, du management et de la création, notamment l’architecture.

O.R : La RSE, la responsabilité sociale de l’entreprise, est également au cœur de votre stratégie.

F. V : Oui, c’est une composante essentielle que l’on pourrait illustrer de multiples façons. Pour faire court, on peut dire qu’il y a dix ans que nous avons signé le Global Compact et nous sommes aujourd’hui l’école la plus en pointe sur les questions de responsabilité sociétale des entreprises. Nous avons d’ailleurs créé un MOOC à ce sujet. Au global, nous voulons être une école qui a action transformatrice et positive sur le monde.

O.R : Vous venez de vous lancer dans un troisième axe de développement : l’art et le management.

F. V : Nous sommes l’école qui reçoit le plus d’étudiants issus de prépas littéraires. Il nous a donc paru logique d’intensifier encore notre positionnement déjà ancien sur le management des arts. Nous avons ainsi créé un incubateur artistique avec les Beaux-Arts de Nantes. Nous lançons maintenant un fond « Mécène pour la musique » pour favoriser le financement d’artistes.

O.R : On parle d’alliance mais où en êtes-vous avec la Comue Université Bretagne-Loire ?

F. V: Les écoles privées, comme on nous considère alors que nous contribuons au service public et que notre financement est pour partie d’origine public, n’ont pas, dans notre région, été intégrées au tour de table des  fondateurs. C’est regrettable. D’autant plus que nous étions parmi les membres fondateurs du PRES (pôle de recherche et d’enseignement supérieur). A l’heure où nous parlons, la Comue qui lui succède ne compte, parmi ses membres fondateurs, que des universités et des grandes écoles sous tutelle du ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Nous ne pourrions aujourd’hui qu’être « conventionnés » mais nous ne sommes pas intéressés tant que les statuts de la Comue n’ont pas été votés.

O.R : Vous êtes sceptique sur le périmètre, très large, de cette Comue ?

F. V : Quel sens cela a pour Audencia de représenter 3000 étudiants au milieu de 250 000 dans un périmètre bi-régional qui n’a pas de sens pour nous ? Nous sommes en effet à la fois très proches de notre territoire nantais et très internationaux, mais l’échelle médiane n’a rien d’immédiatement pertinent pour nous. Aujourd’hui nous voulons mettre l’accent sur notre alliance avec Centrale et l’Ensa – 8000 étudiants à nous trois – et le travail avec l’université de Nantes qui en compte 35 000.

Dans le monde entier, il faut bien prendre conscience que l’enseignement supérieur est un phénomène métropolitain. Nantes est devenu une vraie ville étudiante et notre maire et présidente de la Métropole, Johanna Rolland, comme la vice-présidente de Nantes métropole en charge de l’enseignement supérieur, Karine Daniel, s’investissent beaucoup dans le campus nantais. Je comprends le besoin du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche de mieux piloter ses établissements avec les Comue mais la réponse est excessive avec le regroupement des établissements de deux régions.

O.R : Il s’agit aussi d’obtenir des crédits dans le cadre des initiatives d’excellence (Idex).

F. V : Les  fonds  d’état pour l’enseignement supérieur public dans ces deux régions est de l’ordre 1,3 milliard d’euros à comparer avec les 15 à 20 millions que pourrait rapporter chaque année l’Idex. Se battre pour 0,03% de son budget en montant une structure qui risque d’en coûter beaucoup plus est ce bien raisonnable ? Je ne me sens pas à l’aise quand on parle plus Meccano que projet. Je crois à la diversité des territoires et des modèles.

O.R : Les Écoles Centrale collaborent entre elles sur tout le territoire. Pourquoi les écoles de management n’en font elles pas autant ?

F. V : Nous portons une forte attention au travail commun que réussissent à mener les Écoles Centrale. L’Edhec est partenaire de Centrale Lille, l’EMLYON de Centrale Lyon, l’Essec de Centrale Paris, Kedge de Centrale Marseille et nous de Centrale Nantes. Ce serait formidable si nous pouvions également construire un réseau entre ces écoles de management. Mais je crains que nous ne soyons pas encore murs pour cela en France.

O.R : Le groupe Audencia ce n’est pas qu’une grande école de management. Parlez-nous de vos autres activités.

F. V : Nous avons également une école de communication, Sciences Com, et une école qui propose un bachelor, l’École atlantique de commerce. Mais ce n’est pas tout ! Au chapitre des spécificités, outre l’incubateur artistique déjà cité, on peut par exemple indiquer que nous sommes également actionnaires d’une télé locale et hébergeons Télé Nantes à Sciences Com. Encore une fois un vrai modèle d’hybridation entre les disciplines !

O.R : Mais n’est-ce pas plus facile d’innover en dehors de votre programme grande école tant les accréditations conduisent les business schools à uniformiser leurs programmes ?

F. V : Je ne pense pas et je dirais même que c’est parfois plus facile d’innover dans le cadre des accréditations internationales qu’avec les règles françaises. Prenez la question des sites à l’étranger : il a longtemps été très difficile d’y délivrer des diplômes français alors que nous devrions avoir la fierté d’exporter nos diplômes partout dans le monde.

O.R : La mondialisation de l’enseignement supérieur est un phénomène de plus en plus visible. Vous allez beaucoup augmenter votre recrutement d’étudiants étrangers dans les années à venir ?

F. V : Nous pensons passer de 30% aujourd’hui à 50% d’étudiants étrangers en 2025 sur l’ensemble de nos programmes. Il est facile de recruter des étudiants internationaux mais difficile de recruter de bons étudiants internationaux. Or nous sommes très exigeants sur le niveau. Nous ne voulons pas chercher des étudiants à l’international pour équilibrer le budget d’un campus en France.

En Chine nous allons former des étudiants chinois qui pourront venir passer une partie de leur cursus en France. Il est devenu facile de travailler avec des business schools qui ont les mêmes accréditations que nous mais il faut aujourd’hui aller vers des partenaires qui ne sont pas tous des business schools.

O.R : Vous pensez augmenter la part de la formation continue dans votre activité ?

F. V : C’est pour cela que nous nous sommes installés à Paris. Nous en sommes aujourd’hui à 3 millions d’euros avec une progression de 15 à 20% par an ces dernières années. Là aussi nous comptons beaucoup sur notre capacité à hybrider les cursus pour nous développer.

O.R : Votre recrutement restera fondé sur élèves de classes prépas ?

F. V : Oui, sans aucune ambigüité. En première année du programme Grande Ecole, 100% de nos étudiants viennent de prépas et nous comptons sur elles pour continuer à former des étudiants excellents et, qui plus est, imaginatifs. Ils nous faut ce niveau d’excellence pour intégrer par exemple le double cursus manager et ingénieur. Les élèves issus des classes prépa sont rejoints ensuite en première année de master par des élèves internationaux ou issus d’autres cursus, notamment d’école d’ingénieurs.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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